Opinion. Le déni constitutionnel de Jean-Luc Mélenchon

PAR DIDIER DESTOUCHES* 

Le nouveau patron de la gauche française, Jean-Luc Mélenchon, a récemment déclaré en interview  : « Je demande aux Français de m’élire Premier ministre, je leur demande pour m’élire Premier ministre, d’élire une majorité de députés insoumis, Insoumis et Union populaire (…) Il y a donc un troisième tour, et tout sera sacrifié à cet objectif. »

Jean-Luc Mélenchon a répété à plusieurs reprises cette idée en évoquant, plus loin le fait que « ce sont les Français qui décident de qui va être le chef du gouvernement. »

Il en appelle donc à une nouvelle cohabitation. Cette cohabitation, que le général de Gaulle, père de la constitution de 1958, avait déjà envisagé à l’approche des élections législatives de 1967 ; se définit comme la coexistence d’un président de la République et d’une majorité politique qui lui est opposée à l’Assemblée nationale.

Dans ce cadre, le nature dyarchique (à deux têtes) de l’exécutif apparaît complètement, puisque le chef de l’État élu au suffrage universel direct, perd sa fonction de direction de l’exécutif au profit du Premier ministre, responsable devant l’Assemblée nationale.

Le chef du Gouvernement devient ainsi la figure prépondérante du pôle exécutif et le véritable chef de la majorité parlementaire. « Le Premier ministre conduit et dirige la politique de la Nation », d’après l’article 20 de la constitution. On peut ici émettre une critique de l’expression selon laquelle le peuple irait jusqu’à « élire le Premier ministre » alors que, sous l’empire de la constitution de la Ve République, il est en réalité « nommé » par le président de la République.

Le fait est que depuis l’introduction du quinquennat, les élections législatives sont quasiment couplées à l’élection présidentielle et l’électeur français donne jusqu’ici toujours une majorité parlementaire au président élu. Il est à noter également que le scrutin majoritaire à deux tours des législatives rend plus difficile la victoire pour des candidats qui situés dans une stratégie d’union feront déjà le plein de voix au premier tour (sans faculté de bénéficier de report de voix) et pour ceux situés aux extrêmes qui ont le plus grand mal à conclure des alliances au deuxième tour.

Double difficulté donc pour les candidats de l’union populaire (comme pour ceux du Rassemblement National). On doit à ce stade noter l’impropriété de la formule de Mélenchon selon laquelle l’article 20 donnerait le titre de Premier ministre en quelque sorte au « mieux élu ».

Cet article définit la fonction du chef de gouvernement et en aucun cas l’origine de son pouvoir et de sa légitimité. Le premier ministre n’est choisi ni par le peuple ni par l’opinion, il est désigné par le président. Que nous apprend l’Histoire à ce sujet ? La cohabitation était possible sous le septennat durant lequel les élections législatives distinctes dans le temps de l’élection présidentielle, pouvaient offrir une alternance anticipée aux citoyens.

Ce fût trois fois le cas en France (1986,1993 et 1997). Situation inédite sous la Ve République, à l’issue des élections législatives de 1986, le président et le Premier ministre ne sont pas du même bord politique !

Le président Mitterrand ne fit cependant pas la même erreur que Mac Mahon et désignera bien le chef de la majorité parlementaire Jacques Chirac à la tête du gouvernement. La relation entre les deux hommes sera d’autant plus tendue qu’ils seront rivaux aux élections présidentielles de 1988, dont le vainqueur sera finalement le président sortant.

Mais Bis repetita, en 1993 au terme des élections législatives, le président Mitterrand perd de nouveau sa majorité législative et se voit de nouveau contraint de désigner un responsable de droite. Cependant le nouveau chef de la majorité, Jacques Chirac, échaudé par la première cohabitation laisse entendre qu’il n’est pas intéressé par Matignon. C’est ainsi qu’Édouard Balladur sera nommé à défaut suite au refus anticipé de Jacques Chirac au poste de Premier ministre en étant simple député.

Il devient chef de la majorité parlementaire non pas au moment de sa nomination mais du fait de sa nomination. En France c’est le premier ministre qui est le chef constitutionnel de la majorité parlementaire. Si à l’issue des législatives, l’actuel président de la République choisit une autre personnalité que Mélenchon en cas d’obtention de la majorité à l’assemblée nationale, c’est cette personnalité politique qui deviendra le (ou la) chef de la majorité.

Loin d’être élu par le peuple, le Premier ministre est donc nommé par le chef de l’Etat en fonction des rapports de force, de son rôle d’arbitre de la vie publique, de l’état de l’opinion ; et d’une certaine idée de la stabilité de l’ordre public et des institutions. Rien n’est automatique au regard de la constitution. Cette méconnaissance intentionnelle par Jean-Luc Mélenchon des dispositions constitutionnelles vise à créer un conflit de légitimité, en opposant l’élu le plus récent (celui des législatives) à l’élu le plus ancien (de l’élection présidentielle), même si l’écart temporel serait de deux mois seulement.

En droit constitutionnel, cela n’en demeure pas moins une erreur : sous la Ve République, le Premier ministre, quel que soit l’équilibre des forces politiques, reste nommé, et en plus par le chef de l’Etat. La raison est d’ailleurs évidente : la France est sous un régime parlementaire dont le gouvernement est responsable devant le Parlement titulaire du pouvoir législatif. En tant que chef de ce gouvernement et deuxième figure du pouvoir exécutif, le Premier ministre est responsable devant l’assemblée nationale mais il n’est nullement investi par l’Assemblée nationale et donc la représentation nationale.

La seule confiance du président de la République suffit à valider le choix du Premier ministre. En un mot, c’est le patron de l’exécutif qui choisit son « second », même si en cas de cohabitation ce « second » choisit plus ou moins librement les membres de son gouvernement. Une fois choisi, il y a un autre obstacle. Celui pour le nouveau Premier ministre d’obtenir sa légitimité par le vote de confiance de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire de « sa » majorité parlementaire issue des élections.

Le chef du gouvernement est désigné non par le chef de parti en amont ou d’un groupe parlementaire, mais par l’intégralité de la majorité parlementaire. Et les premier ministres de cohabitation étaient tous députés au sein d’une majorité parlementaire. Jean-Luc Mélenchon prend donc un risque en ne se présentant pas dans une circonscription et en se prévalant de sa place de troisième à l’élection présidentielle pour se poser en futur premier ministre. Ce sont les parlementaires qui choisiront in fine l’un des leurs pour devenir premier ministre (en fonction des résultats électoraux).

En outre la logique du régime parlementaire repose le plus souvent sur des compromis mouvants entre les partis désireux de constituer une majorité de coalition. Rien n’autorise donc Jean-Luc Mélenchon à s’imaginer comme l’inévitable Premier ministre issu des rangs d’une coalition car d’autres candidatures que la sienne pourraient être envisagées et qui proviendrait des différents groupes constitués à l’issue du scrutin législatif même s’il est certes le mieux placé. En politique les pôles positions n’assurent pas toujours la victoire sur la ligne d’arrivée.

*Maître de conférence à l’université des Antilles
Auteur de  la République à bout de souffle

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