PAR PATRICK KARAM*
Après la Guadeloupe, je me suis rendu en Martinique lundi 23 août afin de livrer les 13 lits de réanimation que Valérie Pécresse a décidé de fournir au CHU de la Martinique dans le cadre de notre politique de coopération et de solidarité interrégionale.
Le programme du jour comprenait des échanges sur la situation avec les présidents Letchimy et Saliber, la vice-présidente en charge de la santé, le docteur Dinal, président de la commission santé, une visite au CHU, de multiples échanges avec le directeur général et ses collaborateurs, les professeurs et médecins, les infirmiers, les brancardiers, et les militaires qui ont monté un centre de réanimation COVID dans une aile de l’ancien hôpital.
Nous avons également échangé avec les renforts venus de l’hexagone, les sapeurs-pompiers du centre de secours du Robert, les équipes du centre de vaccination du Lamentin, les élus de la collectivité territoriale ou encore les adjoints aux maires qui m’ont accompagné tout au long de mon déplacement.
Même impression qu’en Guadeloupe, même malaise, même cœur serré, même tristesse. Le sentiment d’un immense gâchis, celui d’une immense souffrance des familles touchées par la pandémie, celui d’une grande dignité dans l’épreuve. Ce que j’ai pu voir et entendre m’a profondément marqué.
Le constat est partagé par tous, la situation est grave.
Les taux d’incidence, bien que deux fois inférieurs à la Guadeloupe, de l’ordre d’un millier de cas pour 100 000 habitants contre 2 000 en Guadeloupe, sont inquiétants car ils atteignent des niveaux jamais, JAMAIS, atteints dans l’hexagone.
Le CHU de Fort-de-France est équipé de 389 lits COVID sur 3 sites dont 61 lits de réa, 20 lits gérés par les militaires et 26 lits dotés d’équipements d’oxygénothérapie. 45% des patients sont en médecine et non en réa.
Sur 120 passages aux urgences par jour, en moyenne 50 patients sont en urgence COVID et il n’y a plus de places pour placer en réanimation ceux dont l’état le nécessiterait.
Une fois en réanimation, les patients occupent les lits en général pendant 3 semaines. Les évacuations sanitaires se font au compte-goutte. Comme en Guadeloupe, les services classiques accueillent de nombreux malades qui auraient dû être en réanimation, et ceux qui ne trouvent pas de place à l’hôpital sont renvoyés chez eux, sous surveillance.
Pour tenter de libérer des lits en réanimation, lorsque les patients vont mieux, ils sont placés en médecine hospitalière.
Le nombre de morts en raison du COVID concerne 17% des hospitalisés, ce qui représente entre 10 et 16 décès par jour.
L’approvisionnement en oxygène a été compliqué en raison des difficultés à fabriquer rencontrées par Air Liquide et à l’intérieur de l’hôpital, tous les services ne peuvent accueillir des patients COVID+ en raison du sous-dimensionnement des tuyaux qui ne permettent pas d’injecter de l’oxygène à haute dose.
A ce jour, il reste 24 emplacements où il serait possible de mettre des lits supplémentaires de réanimation. C’est une excellente nouvelle car les 13 lits spécifiques pour la réanimation envoyés par Valérie Pécresse, la présidente du Conseil régional d’Ile-de-France seront très vite opérationnels, sans qu’il soit besoin de faire des travaux de réhabilitation de site comme en Guadeloupe.
L’hôpital a gagné en agilité et a renforcé sa capacité à déménager les unités, former le personnel qui a dû s’adapter et parfois changer de lieu de travail.
La Martinique a un atout car le nouvel hôpital a été construit à côté de l’ancien, ce qui a permis d’y positionner 202 malades dont 20 lits en réanimation lesquels sont pris en charge par le personnel de santé militaire. J’ai pu accéder aux patients en réanimation et vu de nombreuses personnes, hommes et femmes, en situation d’obésité, dont des jeunes.
J’ai été ému tout au long de ma visite dans les services de réanimation du CHU, car tous ces malades inanimés, autour desquels s’affaire le personnel de santé héroïque, peuvent être des parents, des amis ou encore des proches et la COVID les a frappés, pour certains, en bonne santé.
Autre indicateur de l’étendu du drame qui se déroule sous nos yeux, les avis d’obsèques sur les radios s’allongent comme c’est le cas en Guadeloupe.
En ce qui concerne l’admission aux urgences COVID, si aujourd’hui la situation s’est améliorée, car on n’assiste pas au même phénomène de saturation à tous les bouts de la chaîne hospitalière, on a frôlé le pire. Faute de place jusqu’à 74 patients, dont certains étaient placés sous respirateur, ont dû être installés sous 3 tentes à l’extérieur de l’hôpital et le couloir d’entrée était plein. L’attente pouvait atteindre jusqu’à 15 heures.
Parmi les patients, il y avait notamment des jeunes sans pathologie mais en surpoids. Sur les 130 patients qui devraient être en réanimation 25% ont moins de 30 ans, 25% moins de 50 ans.
Le variant delta atteint plus les femmes enceintes que les formes précédentes. Il y a eu une dizaine de cas, il y a 10 jours qui sont de véritables drames car il a fallu faire des césariennes comme en Guadeloupe et si les bébés vont bien, les mères en revanche restent en réanimation avec un pronostic compliqué.
Les renforts venus de l’hexagone ont apporté une aide essentielle et ils sont arrivés à un moment où la situation serait devenue intenable sans eux. Ces renforts restent 12 jours en moyenne et sont remplacés quand ils repartent mais il manque encore du personnel.
Des personnels de santé en congés bonifiés ont également participé à la mobilisation générale et sont intervenus sur des temps qu’ils avaient souhaités. L’APHP a donné une liste de volontaires (aides-soignants et infirmiers) que le CHU a par la suite rappelés.
Je veux vraiment saluer la direction, les cadres, le personnel soignant, totalement dévoués et épuisés par l’ampleur de l’épidémie mais également les brancardiers qui multiplient les interventions pour déplacer les malades au gré des besoins.
Je tiens à saluer également les sapeurs-pompiers qui sont totalement engagés dans la campagne de vaccination mais également ceux du centre de secours du Robert, épaulés par les renforts de l’Hexagone qui mettent tout en œuvre pour réagir rapidement. Un sapeur-pompier venu de l’hexagone me disait que leur organisation était plus rigoureuse et efficace que ce qu’il connait dans sa région. J’avoue avoir été fier et je veux leur tirer un grand coup de chapeau.
Depuis quelques jours, la Martinique connaît une inflexion des cas COVID. Quand j’y étais lundi, dans le grand couloir des urgences à l’entrée il n’y avait personne, et peu de patients en attente sous respirateur, sous les tentes. Depuis le week-end dernier, on constate une baisse du nombre de décès. En moyenne, 6 nouveaux corps par jour.
Je veux donner un chiffre que les médecins du CHU m’ont indiqué : sur les derniers décès, on compte 0 vaccinés et 0 vaccinés sont en réanimation. Peu de vaccinés sont hospitalisés.
Le vaccinodrome du Lamentin connaît une augmentation forte de sa fréquentation : 500 à 600 vaccinés par jour il y a 3 semaines environ, aujourd’hui 900 à 1000. J’ai interrogé de nombreuses personnes qui attendaient leur tour, et certains viennent en famille, avec les parents et grands-parents : les raisons de la vaccination sont multiples : les images fortes et la communication sur la gravité de la situation, la volonté de protéger les parents et la famille, l’intervention de Serge Letchimy à la sortie de sa visite du CHU en juillet, un débat télévisé avec en particulier les mots de Marijosée Alie,…
La Martinique connaît une éclaircie depuis ce week-end. La courbe se stabilise, voire baisse mais il faudra encore 2 à 3 semaines pour désengorger la réanimation. C’est le grand point noir : le manque de lits en réa pour prendre tous les patients dont l’état de santé l’exigerait. La baisse du nombre de lits de réa mobilisés devrait avoir lieu d’ici 15 jours/3 semaines, reste que pour le moment 121 patients qui devraient être en réanimation sont en service classique, ce qui est une perte de chance et peut avoir des conséquences néfastes.
Les Martiniquais sont habitués aux épreuves, mais celle-ci est d’une violence extrême et ils font preuve d’une grande résilience. Je veux leur dire force et courage.
*Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Ile-de-France