Opinion. Le Congrès des élus de Guyane, un bel exercice consensuel aux conséquences politiques incertaines

PAR FRED RENO*

Le congrès des élus de Guyane s’est réuni samedi 13 mai 2023. Au moment où la Martinique et la Guadeloupe s‘apprêtent à faire de même, il convient d’observer ce qui se passe dans le territoire amazonien. D’autant que la Guyane a anticipé et inspiré nombre d’initiatives politiques prises aux Antilles. Par exemple, la pratique de réunir le congrès a existé en Guyane avant d’être institutionnalisé dans les trois collectivités d’Amériques. On peut également citer l’influence sur la déclaration de Basse Terre de décembre 1999 du pacte de développement de la Guyane adopté en février 1999 par le premier congrès des élus de Guyane. C’est comme si les guyanais défrichaient le chemin. Ne nous privons donc pas de savoir ce que font nos frères et sœurs d’Amérique du sud.

S’il n’est pas question d’en faire la référence de la trajectoire des deux îles de la caraïbe insulaire, l’expérience guyanaise mérite le détour.

L’observation du déroulement du congrès de 2023 appelle trois remarques et nous inspirent 2 pistes de réflexion qui pourraient concerner la Guadeloupe et la Martinique.

La première remarque concerne la tenue de cette réunion. Le climat est détendu même si le moment est perçu comme historique. La président Serville dirige les débats avec à la fois autorité, rigueur, souplesse et convivialité. La parole est généreusement partagée. Il s’autorise même une entorse exceptionnelle au règlement en donnant la parole à un invité non-élu. Dans le même temps, il n’hésite pas à tancer un élu pour ses « inepties » et le temps qu’il faisait perdre à l’assemblée. Le tout, sur un fond consensuel où majorité et opposition sont favorables à un changement statutaire fondé sur une autonomie du territoire. Il faut noter au passage la qualité de prise de parole de certains représentants de l’opposition, notamment monsieur Boris Chong-Sit et madame Audrey Marie.

La seconde remarque concerne le processus lui-même et son caractère participatif. A croire le président Servile, rien n’est définitif ni exhaustif, même si comme on peut le constater, le travail préparatoire est conséquent. Autrement dit tout reste amendable à la hausse ou à la baisse et soumis au vote des congressistes. Lorsqu’un point de blocage surgit, il est écarté définitivement ou provisoirement pour avancer dans l’ordre du jour. Souvent les décisions sont ainsi prises à l’unanimité, ce qui renforce un consensus largement partagé sur les objectifs à atteindre.

La troisième remarque porte sur la variable ethnique. A la différence de la Guadeloupe et de la Martinique, la Guyane est une société multiethnique ou plus précisément pluriculturelle comme le mentionne plusieurs passages des rapports du Congrès et plusieurs participants. Cela signifie que les tensions dans ce type de société, les clivages et débats sur la répartition des ressources publiques sont souvent liés à des considérations socio-ethniques. Au Surinam et au Guyana voisins, les peuples premiers ont été victimes des conséquences du même « choc de  colonisation » qui  a conduit à « la déstructuration de l’ordre social et politique des peuples autochtones ». A l’évidence cette question ethnique qui concerne aussi les bushinengués est et sera un objet permanent de tension qui, pour l’heure, semble trouver dans le statut une réponse politique consensuelle dans des institutions de représentation de ces peuples. Sur ce sujet on ne peut rester insensible à l’intervention stimulante de Jean Paul Fereira qui tout en réaffirmant ses origines culturelles, n’en fait pas une assignation à résidence identitaire .

Ce congrès du 13 mai 2023 conforte les choix de celui du 26 mars 2022. Ses objectifs politiques sont sans ambiguïté. A l’écoute des congressistes et à la lecture des rapports, pour atteindre ses objectifs, la Guyane consensuelle doit faire face à deux défis : vaincre les résistances de l’Etat et obtenir l’adhésion du peuple guyanais. Ce sont deux défis qui sont partagés par les entrepreneurs du changement statutaire en Guadeloupe et en Martinique.

Concernant le premier défi, les élus attendent du gouvernement qu’il reconnaisse au territoire « une vraie responsabilité locale au sein de la République dans ses rapports avec le pouvoir central ». A l’occasion du congrès précédent, cette demande était clairement énoncée à travers la revendication d’un statut d’autonomie. D’après ce document, il s’agit de : « … doter la Guyane d’un statut particulier garantissant son autonomie et prenant en compte ses intérêts propres ».

En 2023, on précise que : « Ce statut d’autonomie, tel qu’il est pensé par les élus, ne signifie nullement la sortie de la Guyane de la République française, mais son insertion dans la Constitution pour tenir compte de ses singularités au sein de l’ensemble géographique sud-Américain ». 

La référence avouée des élus est la Polynésie. En réalité, il semble bien que l’audace guyanaise aille plus loin, jusqu’à faire des emprunts aussi au statut de la Nouvelle Calédonie.  Les cas de la Martinique et de la Corse sont parfois évoqués, s’agissant de l’architecture institutionnelle et de la répartition du pouvoir entre un conseil exécutif, mini gouvernement, issu mais séparé d’une assemblée délibérante ; ce que les congressistes ont appelé la bicéphalité (un président de l’exécutif et un président de l’assemblée).

L’influence polynésienne se vérifie également dans l’architecture mentionnée mais aussi et surtout dans la possibilité pour l’assemblée d’adopter des « lois de pays »

Sur le plan institutionnel le statut de la Guyane dans sa version initiale comprend un exécutif composé d’un président et d’un gouvernement dont les membres ont le titre de ministres comme en Polynésie. Cette version n’a pas fait l’unanimité. Boris Chong-Sit a appelé ses collègues à plus d’humilité et à éviter des appellations pompeuses et honorifiques qui pourraient les couper de la population. Ce gouvernement est collectivement responsable devant l’assemblée qui peut le renverser par une motion de défiance dans la tradition des régimes parlementaires.

Cette assemblée locale peut également voter des lois de pays dont la force juridique est assimilable à celle d’un règlement et pas d’une loi comme en Nouvelle Calédonie.

Les textes adoptés par l’assemblées peuvent être soumis au contrôle juridictionnel du Conseil d’état à la différence des lois de pays de Nouvelle Calédonie qui relèvent du contrôle du conseil constitutionnel, comme les lois votées par le parlement de la république française

Le champ des compétences est divisé en trois catégories. Ce qui appartient à l’Etat, ce qui relève exclusivement de la collectivité et les compétences partagées avec l’Etat .

A cette assemblée s’ajoutent un Conseil économique, social et culturel et un Sénat coutumier qui représentera les peuples amérindiens et bushinengués.

Le consensus guyanais pourrait cependant se heurter à de fortes résistances de l’Etat, moins sur la revendication d’autonomie que sur le rapprochement opéré par les élus avec le modèle calédonien.

L’idée de « favoriser l’’émergence d’une citoyenneté guyanaise » rappelle la citoyenneté calédonienne complémentaire de la citoyenneté française. Mais ce n’est peut-être pas là le principal problème.

La demande  guyanaise d’autonomie porte aussi sur  la création d’un « Titre XII bis » nouveau dans la Constitution qui la sortirait de la « catégorie outremer » jugée trop uniformisante et inadaptée à la prise en compte de la singularité du territoire continental amazonien.

Il n’est pas sûr que le contexte politique actuel soit favorable à cette demande ; ce qui pourrait contrarier la revendication guyanaise.

Le résultat négatif du dernier referendum sur l’indépendance, organisé en Nouvelle Calédonie par le gouvernement et boycotté par une grande partie de l’électorat notamment kanak, est présenté comme une des raisons de la prochaine révision de la constitution. Cette révision peut s’analyser comme l’opportunité pour le gouvernement de revoir le statut de ce territoire et de modifier voire d’effacer le titre XII consacrant la reconnaissance du droit à l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie. Cette position dans la constitution justifiait jusque-là, l’inscription de ce pays sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes auxquels s’applique la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.

En réalité les guyanais cherchent à obtenir ce que le gouvernement cherche à démanteler. A l’évidence la négociation portera sur des intérêts divergents.

De ce point de vue le contexte ne semble pas favorable à une autonomie « politique ». Cependant, les guyanais pourraient bénéficier d’un renfort non négligeable. La victoire récente des indépendantistes du Tavini Huiraatira et l’arrivée de leur leader Moetai Brotherson à la présidence de la Polynésie pourraient constituer un allié de la revendication d’autonomie de la Guyane.

Le second défi des autonomistes sera l’adhésion du peuple.

Certains échanges entre représentants de la majorité et représentants de l’opposition donnent quelques indications sur les incertitudes qui planent sur le sujet. Cayenne n’est pas exclu du constat quasi-unanime d’une méfiance généralisée des populations à l’égard de leurs élus.

Bien qu’ils soient favorables à la consultation du peuple, le président Servile et d’autres congressistes s’interrogent sur le fait que la départementalisation, la décentralisation outre-mer ou encore le changement institutionnel dans certains territoires de l’hexagone et en Corse n’ont pas fait l’objet de consultation.

Si l’on entend l’argument, il est difficilement défendable. C’est précisément pour faire face à la peur du changement que la consultation des électeurs a été présenté comme une garantie du respect de la volonté populaire et qu’elle a été constitutionalisée dans des articles qui ne concernent que les outre-mer. Contrairement à ce laissent entendre certains élus, il n’est pas sûr que la simple volonté du président de la République d’outrepasser cette disposition soit juridiquement acceptable. Pour éviter la consultation, il faudrait éventuellement profiter de la prochaine révision pour modifier la constitution, mais un tel choix serait politiquement contestable et assimilé à un déni de démocratie, voire à une forme de trahison renforçant l’image déjà négative des politiques.

Le principe de la consultation du peuple a été accepté par les congressistes. Mais la question pourrait resurgir dans le débat. Certains élus n’en font pas un simple principe, à l’instar de ce représentant de l’opposition qui conditionne son vote au respect d’une véritable prise en compte de la volonté du peuple. « L’article évoquant la consultation populaire ne doit pas être ambigu sur le fait que cette consultation populaire n’aura pas simplement pour objet le principe validé par tout le monde. Il faut qu’il contienne également le contenu qui sera le support de la loi organique qui va définir et inscrire dans l’ordonnancement de la France ce qu’est le pays Guyane » déclare ce conseiller territorial.

En conclusion, si le gouvernement n’est pas opposé au changement statutaire, il sera attentif au degré d’autonomie réclamé par les différents territoires. Comme l’a montré récemment notre collègue Fred Constant dans son ouvrage consacré à la géopolitique des outre-mer, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie et la Guyane ont une plus-value géopolitique et stratégique élevée. La Guyane ne participe pas à la richesse française uniquement par l’importance de sa forêt et de sa biodiversité. Son sous-sol, la forte probabilité d’hydrocarbures dans son espace maritime, le centre spatial de Kourou n’ont pas d’équivalents. Ces atouts économiques pourraient paradoxalement constituer des contraintes politiques.

*Professeur de science politique, directeur du CAGI

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