Opinion. Le combat contre la vie chère, une arlésienne, est-il voué à l’échec ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Le combat contre la vie chère, une arlésienne, est-il voué à l’échec ?

L’ajournement par la CTM du débat concernant la suspension de l’octroi de mer sur 54 familles de produits ,et l’absence de réponse à ce jour de l’État sur la suppression de la TVA, le fond de compensation sur l’aide au fret et la continuité territoriale signe qu’on le veuille ou non un combat perdu d’avance pour la Vie chère, alors quid d’une sortie de crise illusoire en Martinique ?

La question de la vie chère en Martinique et plus largement dans l’ensemble des territoires ultramarins français est depuis longtemps une problématique récurrente et complexe, qui s’enracine dans des causes profondes, à la fois historiques, politiques et économiques. Les négociations en cours pour tenter de résoudre cette crise semblent vouées à l’échec, et ce pour une raison majeure : elles se concentrent essentiellement sur des mesures économiques conjoncturelles, sans aborder les véritables racines du problème, qui sont profondément politiques.

En effet, la structure même du modèle économique de la Martinique, hérité de l’époque coloniale, est au cœur de cette situation.Le coût de la vie dans les territoires ultramarins français, en particulier en Martinique, est sensiblement plus élevé qu’en France hexagonale . Ce phénomène est le résultat de plusieurs facteurs structurels, tels que la dépendance aux importations, le monopole de certaines grandes entreprises dans des secteurs clés de l’économie (notamment la grande distribution), et des prix couteux d’un marché local limité par une population restreinte.

Ces facteurs économiques sont certes cruciaux, mais ils ne sont que les symptômes d’un problème plus profond : la continuité du modèle économique hérité du passé colonial, qui perpétue des rapports de domination entre la métropole et ses territoires d’outre-mer.Ce modèle repose sur une dépendance économique de la Martinique vis-à-vis de la France hexagonale , où la quasi-totalité des biens de consommation courante est importée, souvent à des prix très élevés en raison du coût du transport et des taxes. La structuration de l’économie locale n’a jamais véritablement permis l’émergence d’une économie autonome et résiliente.

Les grands groupes békés et métropolitains, parfois même internationaux, contrôlent une large part du secteur économique martiniquais, en particulier dans la grande distribution, contribuant ainsi à maintenir les prix élevés et à restreindre la concurrence locale. Cette situation de monopole renforce les inégalités et limite les possibilités de développement local.

Or, face à cette réalité, les négociations actuelles sur la vie chère semblent ignorer ces dimensions structurelles. On discute de baisses de prix ponctuelles, de la création de dispositifs d’aide tels que des baisses de taxes ou des compensations financières pour les foyers les plus modestes, mais on ne touche pas à l’essence même du problème. Le modèle économique de la Martinique reste inchangé, et les décisions prises ne font que pallier les symptômes sans s’attaquer aux causes profondes. En d’autres termes, on cherche à résoudre une crise systémique avec des solutions conjoncturelles. Cela crée un décalage flagrant entre la nature des mesures proposées et la profondeur des réformes nécessaires.

En effet, la question de la vie chère en Martinique n’est pas seulement une affaire de prix. Elle est le reflet d’un déséquilibre économique et social qui perdure depuis des décennies, voire des siècles, et qui trouve ses racines dans les rapports de dépendance économique entre la Martinique et la France métropolitaine. Le vieux pacte colonial, bien qu’officiellement révolu, continue d’exister sous des formes modernes, avec des élites économiques locales souvent complices de ce système, qui ne favorise pas une véritable autonomie économique de l’île.

Le véritable enjeu de ces négociations sur la vie chère réside donc dans la remise en question de ce modèle économique hérité de l’histoire coloniale. Cependant, aborder cette question impliquerait une refonte en profondeur des rapports statutaires entre la France et ses territoires ultramarins, et l’on comprend aisément pourquoi l’État français est réticent à s’engager sur cette voie. La mise en place d’un nouveau modèle économique pour la Martinique, reposant sur une plus grande autonomie locale, une diversification de l’économie et une réduction de la dépendance aux importations, nécessiterait des investissements colossaux et un changement de paradigme qui aurait des répercussions non seulement en Martinique, mais également dans l’ensemble des territoires ultramarins.

La crainte de l’État français est donc double : d’une part, accepter de revoir en profondeur le modèle économique de la Martinique reviendrait à admettre l’échec des politiques menées depuis des décennies dans ces territoires, et d’autre part, en ce qui concerne les mesures destinées à régler le problème de la vie chère, cela créerait un précédent qui pourrait être revendiqué par d’autres départements et territoires d’Outre-mer. Cette situation pourrait entraîner des demandes similaires en Guadeloupe, à La Réunion, en Guyane ou en Polynésie, ce qui pèserait très lourdement sur les finances publiques françaises.

Par ailleurs, les exemples précédents, comme celui de la continuité territoriale ou du fonds de compensation sur le fret maritime, montrent que l’État n’est guère enclin à engager des dépenses importantes pour soutenir les territoires ultramarins. Le dispositif de continuité territoriale, pourtant essentiel pour garantir une égalité d’accès aux services publics entre la France et les territoires d’outre-mer, reste largement insuffisant. Quant au fonds de compensation sur le fret maritime, souvent cité en exemple en raison du modèle corse, il n’a jamais été véritablement étendu aux autres territoires ultramarins, faute de volonté politique et de moyens financiers.

La mise en place de telles mesures représenterait un coût faramineux pour l’État français, estimé à environ 920 millions d’euros pour l’ensemble des territoires, une somme que le gouvernement semble peu disposé à débourser dans un contexte de contraintes budgétaires croissantes.De plus, la suppression de la TVA, autre revendication récurrente pour alléger le coût de la vie en Martinique, est un autre point de blocage dans les négociations. L’État français a toujours refusé de céder sur cette question (hormis le cas de la Guyane et Mayotte) arguant que cela créerait un effet boule de neige qui remettrait en cause l’unicité du système fiscal français. Là encore, la dimension politique est évidente : il ne s’agit pas seulement d’une question de coût, mais d’une volonté de maintenir un cadre législatif et fiscal commun entre la métropole et l’Outre-mer, au risque de voir émerger des revendications d’autonomie plus affirmées dans ces territoires.

Finalement, les négociations en cours sur la vie chère en Martinique apparaissent comme une impasse inévitable, car elles occultent les véritables enjeux de fond, qui sont avant tout politiques. Tant que l’on ne remettra pas en cause le modèle économique et politique qui régit les relations entre la France et ses territoires d’outre-mer, les mesures proposées ne seront que des solutions temporaires, incapables de résoudre durablement le problème de la vie chère.

Cette crise est avant tout le symptôme d’un déséquilibre plus large, d’une incapacité à repenser en profondeur les rapports de dépendance hérités de l’époque coloniale. C’est pourquoi nous subodorons un échec patent des négociations en cours en Martinique car le problème est politique et non pas seulement avant d’être économique comme on pourrait le laisser croire à première vue. C’est le vieux pacte colonial qui est en cause dans cette affaire de vie chère et donc la remise en cause du modèle économique actuel de la Martinique.

Par ailleurs, se pose la question de savoir comment l’État français accepterait de payer le plus lourd tribut financier dans le dispositif envisagé pour mettre un terme à cette situation de vie chère ?  Et ce notamment quand l’on sait que toutes ces mesures si elles sont adoptées devraient être étendues à l’ensemble de l’outre-mer.La question des échanges commerciaux entre les territoires d’outre-mer et leur environnement géographique immédiat est un autre enjeu central pour l’économie ultramarine, particulièrement en ce qui concerne la réduction du coût de la vie et l’amélioration des circuits d’approvisionnement. Toutefois, le cadre juridique imposé par l’Union européenne (UE), notamment en matière de normes et de régulations, a longtemps restreint ces échanges.

La récente dérogation concernant les matériaux de construction obtenue par les autorités françaises illustre bien les difficultés rencontrées, tout en ouvrant la porte à de possibles évolutions futures.Les territoires d’outre-mer français, bien que géographiquement éloignés de l’Europe, sont soumis aux mêmes règles européennes que les États membres de l’UE. Cela inclut des normes strictes sur les produits alimentaires, les biens manufacturés, et les exigences en matière de santé et de sécurité. Le marquage « CE », par exemple, est une certification qui atteste de la conformité des produits aux normes européennes, et il est obligatoire pour un grand nombre de biens importés et vendus au sein de l’UE, y compris dans les territoires ultramarins.

Cette harmonisation des normes, qui vise à garantir un niveau élevé de protection des consommateurs et à faciliter les échanges au sein du marché intérieur européen, pose cependant problème pour les territoires d’Outre-mer. En effet, ces régions sont souvent situées à des milliers de kilomètres de l’Europe, et leur environnement géographique est constitué de pays voisins avec lesquels il serait plus logique et plus économique de commercer. Or, ces pays, qu’il s’agisse des Caraïbes, de l’Amérique du Nord, de l’Amérique du Sud, de l’Océan Indien ou de l’Afrique de l’Est, ne sont pas soumis aux mêmes normes européennes. Cela rend difficile, voire impossible, l’importation de produits provenant de ces zones, car ceux-ci ne répondent pas aux critères de certification européens.

L’une des raisons majeures pour lesquelles l’UE maintient ces normes est la volonté de protéger la santé des consommateurs européens et de garantir que les produits importés respectent des standards élevés, notamment en matière de qualité, de sécurité sanitaire, et d’impact environnemental. Cette logique, valable pour les échanges intra-européens, devient contraignante lorsqu’il s’agit des territoires ultramarins, pour lesquels l’importation depuis la métropole est coûteuse en raison des distances, et où les normes locales ou régionales pourraient être plus adaptées aux réalités économiques et environnementales.La dérogation obtenue pour les matériaux de construction est donc un premier pas important.

Elle permet de reconnaître que l’éloignement géographique et les spécificités locales justifient un traitement différent pour les territoires ultramarins. Ce dispositif permet, par exemple, à la Martinique, la Guadeloupe ou à La Réunion d’importer des matériaux de construction depuis leurs régions voisines, où les produits sont souvent moins chers, plus adaptés aux climats tropicaux et plus rapides à acheminer. En revanche, cette dérogation reste limitée aux matériaux de construction, un secteur certes crucial mais qui ne représente qu’une part des besoins économiques de ces territoires.

La généralisation de ce type de dérogation à d’autres secteurs, notamment les produits alimentaires et manufacturés, se heurte encore à des réticences au sein de l’UE pour plusieurs raisons. D’abord, l’UE craint que la multiplication des dérogations ne fragilise l’unité du marché intérieur et ne crée des distorsions de concurrence. Si les territoires ultramarins pouvaient importer massivement des biens non conformes aux normes européennes depuis des pays tiers, cela pourrait être perçu comme un avantage concurrentiel injuste vis-à-vis des producteurs européens soumis à des standards plus élevés.

Ensuite, il y a également une crainte que l’importation de produits ne respectant pas les normes européennes entraîne des risques pour la santé des consommateurs ou pour l’environnement, bien que les spécificités locales puissent parfois rendre ces craintes excessives.Cependant, il est important de souligner que des arguments forts plaident en faveur d’une extension de ces dérogations à d’autres secteurs, notamment alimentaires et manufacturés. De plus, les produits importés des zones voisines seraient souvent mieux adaptés aux réalités climatiques et culturelles locales, qu’il s’agisse des denrées alimentaires tropicales ou des biens manufacturés conçus pour des environnements similaires.Un autre argument en faveur de cette généralisation est la promotion du développement économique régional.

En facilitant le commerce avec leurs voisins géographiques, les territoires d’Outre-mer pourraient non seulement réduire leurs coûts d’importation, mais aussi contribuer à dynamiser les économies locales et régionales. Cela pourrait encourager la création de partenariats économiques plus étroits avec les pays voisins, permettant ainsi de diversifier les sources d’approvisionnement et de renforcer les relations commerciales au sein de chaque région.

En définitive, la question de l’extension de ces dérogations à d’autres secteurs que les matériaux de construction soulève des enjeux complexes, mais elle mérite d’être explorée plus avant. Les autorités françaises ont démontré qu’il est possible d’obtenir des adaptations du droit européen pour répondre aux spécificités des territoires ultramarins, et il serait logique de poursuivre sur cette voie pour alléger le coût de la vie dans ces régions et leur permettre de se développer de manière plus autonome et résiliente.La révision des régulations européennes relatives aux produits de construction montre que des exceptions peuvent être négociées.

Le prochain défi sera de faire reconnaître que les spécificités géographiques et économiques des territoires d’outre-mer justifient une approche plus flexible dans d’autres secteurs clés, afin de leur permettre de commercer plus facilement avec leurs voisins et ainsi d’améliorer leur compétitivité économique et leur autonomie.

Tant que ces questions de nature politique ne seront pas abordées de manière claire et courageuse, toute tentative de négociation sera condamnée dans le temps à l’échec, et les populations ultramarines continueront de souffrir des conséquences d’un modèle économique obsolète et inadapté à leurs réalités , donc le vent de la colère n’est pas encore  prêt de s’arrêter de souffler aux Antilles et ailleurs en Outre-mer .  

« Fò on dézòd pou mété on lòd » 

Traduction littérale :Il faut du désordre pour mettre de l’ordre.

Moralité : Les choses complexes ne s’arrangent pas toutes seules et surtout sans épreuves de forces au préalable…

*Economiste 

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​