Opinion. Le cauchemar républicain

PAR DIDIER DESTOUCHES*

Depuis mercredi, la France n’a pas de premier ministre, (toujours) pas de majorité à l’Assemblée nationale, pas de gouvernement, pas de budget  (en tout cas de nouveau budget).

Et tout cela du fait d’une motion de censure déposée par l’extrême gauche et adoptée grâce aux voix de l’extrême droite. Du jamais vu ! Il est évident que Marine le Pen fait payer, pas qu’ à Michel Barnier et à Emmanuel Macron, mais aussi aux français, ses déboires judiciaires et les contrariétés portées à son ambition présidentielle. Pas sûr qu’elle n’ait pas perdu quelques électeurs et soutiens dans cette affaire… Alors oui la motion de censure est un outil parfaitement constitutionnel et donc républicain pour faire tomber un gouvernement.

Mais l’usage de cet outil n’exempte pas de la réflexion sur l’opportunité, les (vraies) motivations et les dynamiques ou conséquences engendrées par lui. Cette motion de censure, quelque soient les justifications fantasques, bonimenteuses ou légitimes qui l’ont accompagné est le signe irréfutable non pas d’un chaos politique qui était déjà installé depuis l’émergence électorale des extrêmes lors de la présidentielle de 2017, mais d’un déclin brutal de la rationalité et de l’ordre en politique française.

Un précédent qui voit l’extrême droite et l’extrême gauche s’unir dans un vote commun au delà des idéologies, de leurs invectives réciproques et de leur propre éthique. C’est un message terrible envoyé aux électeurs et une escalade vertigineuse vers le non sens politique, et le mur du déclin inéluctable dans plusieurs domaines pour la France.

Absolument tous les députés et une partie du gouvernement dont le premier ministre, ont une responsabilité dans les conséquences de cette séquence historique et tragique pour l’avenir de la France dans le contexte géopolitique actuel. Ils ont fait pire que ce qui était prévu, se montrant à la fois indignes et incapables au regard de la confiance accordée par leurs électeurs. Quant au Président de la République, il incarne un peu plus le décalage insondable existant désormais entre le peuple et le pouvoir, tant il est à l’origine de cette crise politique interminable.

Concernant les dits « outre-mer », la chute de Michel Barnier entraîne la mise au placard des maigres avancées contre la vie chère quoi qu’on en dise et une ostracisation supplémentaire de leurs intérêts. C’est la chute…sans filet. Quand un président échoue quatre fois politiquement et plonge son pays dans le vide et la fragilité géopolitique et financière, il doit assumer ses actes et jouer son vrai rôle d’arbitre avec abnégation et sans ressentiments.

L’intervention télévisée très attendue du président de la République à la suite de cette motion de censure à laquelle il ne croyait pas, a révélée son intention de nommer un premier ministre qui devra être à la tête d’un « Gouvernement d’intérêt général » selon ses propres mots. Il faut savoir que la notion d’intérêt général est utilisée par le Conseil constitutionnel pour qualifier les motifs de nature à justifier une intervention de la puissance publique réductrice de certains droits ou libertés individuelles appelés à céder devant des impératifs collectifs. La vision que l’on se fait de l’intérêt général est nécessairement fluctuante d’une démocratie à l’autre et d’une époque à l’autre.

Pour autant, sa fonction reste la même : l’intérêt général est le fondement légitime de toute action publique. De la même façon, ceux qui détiennent le pouvoir politique (au niveau du gouvernement, des assemblées nationales ou locales) et ceux qui dans l’administration l’exercent au nom de ces derniers n’agissent pas pour leur profit, mais pour celui de la collectivité. Un gouvernement d’intérêt général tel que proposé par le Président de la République est donc formé en tant que tel pour assurer avant tout les missions de service public, la mise en place de politiques publiques prioritaires et surtout la continuité de l’État en tant qu’institution vitale à la cohésion nationale, et sans parti pris idéologique ou partisan.

Ce n’est ni un gouvernement d’union nationale (en cas de guerre) ni un gouvernement de salut public (en cas de révolution ou de guerre civile ) ni la mise en œuvre de l’article 16 (danger extérieur ou intérieur) mais un petit peu de tout ça dans un cadre encore républicain. Cela suppose un gouvernement resserré et très technique (avec des experts apolitiques de la société civile), et une coalition parlementaire tenue par un pacte de non censure et incarnée par un futur premier ministre qui peut être soit investi d’une autorité élargie, soit de nouveau en tutelle du président de la République qui, a la faveur de cette censure qu’il qualifie d’anti-républicaine, peut reprendre la main.

Quoiqu’il en soit, quand un pays vote sciemment avec plus de 10 millions d’électeurs pour l’extrême-droite, il doit assumer les actes politiques de l’extrême droite… Et les difficultés pesantes qui vont avec. Le contexte est désormais plus anxiogène que jamais, la France est au bord d’un désastre financier et social et très affaiblie sur la scène européenne. Un peu de sagesse et d’unité ne serait pas du luxe pour sortir de ce cauchemar républicain.

*Universitaire et essayiste

Auteur de « La République à bout de souffle »

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