Par arrêté, en date du 3 février 2021, le président de la République a nommé un Comité consultatif indépendant devant élaborer le projet d’une « nouvelle constitution » en Haïti. Selon cet acte de nomination, le comité a comme objectif de proposer une nouvelle constitution « permettant entre autres de préserver les acquis démocratiques et les aspirations au développement durable du peuple haïtien ; renforcer les mécanismes de l’État de droit ; prendre en compte l’évolution du contexte institutionnel, politique, économique, social et culturel du pays etc. ».
Ayant fini d’élaborer ce fameux document, aujourd’hui c’est le moment pour l’exécutif de passer à l’étape suivante, celle de proposer à la « population » de voter le projet de constitution par voie référendaire, notant qu’une telle démarche est formellement interdite par la Constitution de 1987. Telle n’est pas la raison de ma disconvenance dans ce processus. D’ailleurs, il n’y a que l’administration en place qui avance dans cette logique sans aucun support de la majorité de la population, des pays partenaires et après des organisations internationales et/ou supranationales telle que l’Union européenne (UE).
… (La première partie de cette tribune a été publiée sur Karib’Info vendredi 25 juin.
si vraiment ce projet a pour but de répondre aux différentes mutations que connait la société haïtienne y compris le recul de la « démocratie représentative », ce comité saurait que toutes les démocraties représentatives tentent de s’aligner sur les principes de la démocratie dite « participative » afin de pallier à ce recul, aux enjeux et défis contemporains. Face à ce constat, je pense que ce projet devrait introduire la reconnaissance des mécanismes relatifs aux « initiatives citoyennes et populaires » qui permettraient à la population d’exercer leur droit de participer à la « prise des décisions » qui concerne son avenir et son bien-être. Ces mécanismes et outils qui facilitent la participation des citoyens à la gestion de la chose publique, tels que : les motions, veto populaire, sondages, consultations populaires, référendums d’initiative citoyenne et populaire, pétitions et tant d’autres mécanismes démocratiques, devraient être intégrés dans ce projet afin de consolider notre démocratie.
Il est vrai que dans son article 127, le projet fait référence aux « pétitions » sans aucune précision y afférentes. C’est-à-dire qu’il n’y est pas mentionné les sujets et les domaines sur lesquels cet outil pourrait être utilisé, aucune mention n’est faite non plus sur les conditions de validité d’une pétition et qui peut lancer une pétition, un élu ou un citoyen on ne sait pas. Il est vrai qu’une constitution ne rentre pas forcément dans les détails, cependant il n’y est pas prévu qu’une loi serait publiée pour donner les précisions concernant les pétitions donc le flou total. En théories politiques contemporaines, il est généralement nécessaire de se référer à des modèles de réussite en matière de gouvernance, de système et de régime politique.
À ce titre, je me permets de prendre l’exemple d’Italie et notamment le fonctionnement de sa démocratie en référence aux « referendums d’initiative citoyenne » permettant aux citoyens italiens de participer à la prise des décisions de leur pays. Ce type de référendum englobe des méthodes qui permettent à la population de voter ou d’abroger une loi, à son initiative. D’ailleurs, ce mécanisme existe déjà dans deux États fédéraux, aux États-Unis et en Suisse, où il contribue aussi à la « démocratie de concordance » qui est basée sur la négociation, le compromis et le consensus. Les initiatives citoyennes sont constitutionnellement bien encadrées en Italie, par exemple, l’article 71 de la Constitution italienne prévoit que le peuple « exerce l’initiative des lois au moyen d’une pétition formulée par cinq cent mille électeurs au moins et constitue un projet rédigé en articles. » En plus, la proposition de loi d’initiative populaire doit ensuite suivre le processus législatif normal et donc être votée par le Parlement. Autre point novateur qui me parait très intéressant dans la démocratie italienne est celui prévu à l’article 75 de sa constitution qui introduit la notion de « référendum abrogatif ou veto législatif », qui permet au peuple de s’opposer à une loi adoptée.
Par le moyen du référendum abrogatif, la population a aussi le droit de proposer une loi. À condition que cette demande doit être faite par cinq cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux. Cette procédure est encadrée par la cour constitutionnelle italienne, qui examine préalablement la constitutionnalité du projet de référendum. Toutefois, le référendum n’est pas admis dans certains domaines notamment dans le cadre de la ratification des traités internationaux, des lois fiscales, d’amnistie, etc. Il est vrai que les sociétés sont différentes, mais je pense qu’on pourrait trouver une formule pour adapter notre démocratie à certains de ces mécanismes en s’inspirant de ce modèle italien qui est un véritable progrès démocratique à condition de ne bien les encadrer. Une telle démarche aiderait le pays à ne pas dépenser pour des « législateurs non productifs » comme la dernière législature haïtienne.
De plus, toujours dans l’ordre d’idée de la participation citoyenne notamment les jeunes dans la gestion de la chose publique, Monsieur Guy André Junior François alors ministre délégué auprès du Premier ministre en charge de la citoyenneté et du patriotisme a annoncé sur son compte Twitter que « dans la 2e version de l’avant-projet de la Nouvelle Constitution, la participation des jeunes sera effective. Ainsi, pour être élu CASEC, maire ou député, il faut avoir 22 ans au moins. Et 25 ans pour être nommé ministre ou secrétaire d’Etat. » C’est une innovation à saluer au profit de la jeunesse haïtienne dans un pays où les autorités ne font pas preuve de compétence dans la gouvernance de dernier. Cependant, tous les jeunes n’aspirent pas à briguer des « postes électifs » et ces derniers ne sont pas les seuls moyens pour un jeune de participer aux affaires politiques d’une véritable démocratie.
De cette façon, il faut à fortiori l’avant-projet prévoit les mécanismes et outils dont j’ai fait mention ci-haut pour faciliter la participation de tous sans exclusion. Déjà, les conditions sociopolitiques et économiques actuelles ne permettront pas à un jeune d’accéder à ces postes, car la politique est « gangstérisée ». La constitution prévoit la mise en place d’une cour constitutionnelle qu’on espère, cette fois-ci, verra le jour. Pour le bien-être de la population, pour la consolidation de nos acquis démocratiques, je sollicite respectueusement l’intelligence des « experts » du texte devant donner naissance à une nouvelle constitution haïtienne de bien vouloir revoir ce texte.
D’autres insuffisances relevées dans l’avant-projet de la nouvelle constitution ;
En fait, les membres du comité ne font pas la nuance entre une « majorité votante » et « majorité populaire ». Dans ce sens, sur une population de 12 millions d’électeurs (par exemple) nous aurons toujours des élus sur la base de 500 000 voix donc où est la majorité populaire ? Dans telle situation, bien évidemment l’élu est légal mais il ne sera pas légitime (ou encore légitime pour une infime partie de la population).
Par conséquent, lorsqu’un président n’est pas populairement légitime, il y a plusieurs facteurs peuvent entacher son mandat notamment des risques d’éclatement social, manque d’adhésion populaire dans ses décisions etc. Une telle démarche est une menace pour notre démocratie qui devrait se mettre sur la voie de la majorité. D’où l’importance de prévoir des mécanismes et outils « incitatifs » permettant à la population de reprendre confiance dans la politique en Haïti. En référence aux méthodes de participation citoyenne, je propose de prévoir la création d’une « instance pour la promotion de la démocratie participative » qui aura pour objectif le fonctionnement desdits outils. La dernière remarque dans cet avant-projet se réside dans la section 3 du chapitre 3 correspondant aux « attributions du président de la République », il n’y est pas interdit au président de dissoudre le parlement (ou la chambre des députés comme prévue dans ce texte) dans les moments exceptionnels (crise, guerre, pandémie, épidémie, etc.).On le sait tous qu’en temps de crise, le chef de l’Etat détient des prérogatives exceptionnelles selon la « théorie des circonstances exceptionnelles » et sous l’auspice de la raison d’Etat, il peut outrepasser ses compétences donc ce projet donne le « plein pouvoir » à un président en période exceptionnelle en Haïti.
Somme toute, tout au long du texte nous avons remarqué diverses faiblesses et insuffisances relatifs à l’avant-projet de la nouvelle constitution haïtienne. Pour contenir aux effets de ces lacunes, nous avons fait des propositions qu’on estime importantes pour renforcer notre démocratie et permettre à la population civile de participer à la prise des décisions. Sinon le projet actuel prévoit plutôt de renforcer le pouvoir des autorités tandis que la population n’a qu’un seul pouvoir celui de voter chaque 5 ans pour sanctionner un élu (démocratie électorale). S’il n’y a pas aucune raison occulte derrière ce projet, il faut qu’il soit modifié sinon la population doit être prudente quant au référendum du pouvoir en place.
Il est vrai qu’on a besoin d’une constitution qui répond aux réalités actuelles mais celle-ci doit être au profit de la population non pas contre celle-ci. Nous sommes déjà témoins des soucis d’interprétation dont fait l’objet notre constitution actuelle donc n’importe quel texte qui nous ferait office de constitution devrait être le plus explicite possible autrement on pourrait d’ores et déjà présager l’avenir de ce texte.
Wilson GILBERT
Master II en Sciences Politiques
Master II en Administration Internationale et Gestion des Partenariats
gilbertwilson34@gmail.com