PAR JEAN-MARIE NOL*
La conséquence d’une crise politique et d’une crise financière probable en France impactera directement les régions d’Outre-mer et d’ailleurs en fonction des données existantes on va vers une crise financière et sociale monumentale en France, alertent certains économistes.
C’est aussi le même schéma de crise qui se profile en Outre-mer. En Martinique, comme en Guadeloupe, en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie, le manque de liquidités de trésorerie risque d’intensifier un climat social déjà électrique. Les difficultés budgétaires de la CTM, combinées aux incertitudes liées aux politiques nationales, pourraient provoquer des tensions accrues en Martinique, rendant plus difficiles la gestion des investissements, des services publics et des aides sociales.
Cette situation, si elle persiste, pourrait avoir des conséquences profondes sur la stabilité économique et sociale de l’île, exacerbant les inégalités et accentuant le sentiment d’abandon des populations locales. Avec un budget global avoisinant 1,7 milliard d’euros, la CTM est un acteur clé des dépenses publiques en Martinique. Une diminution de sa capacité à injecter des fonds dans l’économie locale aurait des répercussions importantes, réduisant les moyens des collectivités, des entreprises et des familles.
Dans un contexte où l’économie martiniquaise reste fragile, une telle contraction budgétaire pourrait précipiter l’île vers une récession. Et l’une des conséquences préoccupante des dernières émeutes, c’est la crise assurantielle aux Antilles : Generali, Allianz et Groupama suspendent des garanties cruciales pour les entreprises et surtout les banques qui ne prendront plus de risques de crédits.
Ce scénario inquiète, d’autant que la situation financière de l’État, sur lequel repose une grande part des financements publics, est tout aussi instable. La France traverse une période critique, un moment charnière où les choix politiques, économiques et sociaux pèseront lourdement sur son avenir. Ce contexte n’épargne pas les régions d’outre-mer, où la situation est particulièrement préoccupante. L’affaiblissement progressif de l’État met en péril la cohésion sociale et économique de ces territoires, exacerbant les tensions et multipliant les crises locales.
Les défis auxquels ces régions font face révèlent les failles d’un système qui peine à répondre à des besoins urgents, alors que les tensions sociales s’intensifient et que les conséquences économiques se font sentir avec une violence inédite.
Le Premier ministre Michel Barnier a dressé un constat sombre, soulignant que la France, prise dans une spirale de crises politique et financière, risque de s’enfoncer davantage si des mesures correctives ambitieuses ne sont pas adoptées rapidement. Selon lui, une crise financière de grande ampleur semble inévitable, avec des répercussions dévastatrices dans des territoires déjà fragilisés. En Martinique , par exemple, les récentes émeutes ont causé des pertes économiques colossales, estimées à plus de 80 millions d’euros.
Ces chiffres traduisent une véritable hémorragie économique, où près de 140 entreprises ont été détruites ou affectées par les émeutes et des milliers d’emplois ont été perdus. Selon nous, ce sont souvent les grandes structures qui parviennent à se faire rembourser, laissant les plus petites dans une situation critique, sans visibilité ni capacité d’investissement. Ce blocage économique contribue à amplifier les défaillances d’entreprises et à miner la confiance dans l’avenir, accentuant un climat déjà tendu.
Cette fragilisation économique s’accompagne d’une montée des violences sociales et politiques. En Martinique, plusieurs élus locaux dénoncent un climat d’intimidation grandissant. Une vidéo diffusée par Rodrigue Petitot, leader du mouvement activiste RPPRAC, illustre cette dérive inquiétante.
Ce dernier a exigé la fermeture des mairies pour pousser au départ du préfet, menaçant implicitement les élus qui ne se plieraient pas à ses demandes. Ces pressions marquent une rupture avec les formes traditionnelles de mobilisation sociale. Elles traduisent une radicalisation, portée par des frustrations profondes et un sentiment croissant de désaffiliation envers l’État et ses représentants.
Cette violence trouve ses racines dans une désocialisation qui touche particulièrement les jeunes, mais qui n’épargne pas les autres générations. Ce phénomène d’anomie, caractérisé par une perte des repères sociaux et une déconnexion du tissu communautaire, alimente des comportements extrêmes, parfois dirigés contre les élus locaux. Ce désengagement citoyen est le symptôme d’un malaise plus large, où le rapport à la communauté nationale se délite, laissant place à des formes d’expression de plus en plus virulentes à l’égard de l’État comme le dénote la lettre incendiaire de serge Letchimy au préfet.
Dans ce contexte, les élus locaux se retrouvent en première ligne, souvent démunis face à des revendications qui dépassent leurs prérogatives. Leur rôle, pourtant central pour maintenir un lien de proximité avec les populations, devient périlleux, pris en étau entre des attentes insatisfaites et une défiance croissante envers les actions de l’État.
Ces tensions mettent en lumière les limites d’un modèle de gouvernance qui peine à s’adapter aux spécificités des territoires ultramarins, tout en révélant les fractures sociales et économiques qui traversent ces régions. La Martinique, territoire à l’histoire complexe et à l’identité en quête de repères, se trouve aujourd’hui confrontée à une situation sociétale inédite. Si la notion de « disruption », théorisée par Clayton Christensen, se limite initialement à une analyse économique, elle prend ici une résonance sociale et politique particulière.
Cette disruption, qui désigne un processus d’innovation remettant en cause les modèles établis, est devenue un prisme pour comprendre les bouleversements que connaît la société martiniquaise. Mais, ce qui interpelle davantage, c’est l’absence criante d’une analyse prospective à l’échelle locale, un manque qui mine la cohésion sociale et aggrave les fractures déjà existantes. D’ailleurs les élus locaux de la Martinique en sont pleinement conscients car ils envisagent la mise en œuvre d’un nouveau congrès pour rebattre les cartes existantes.
En effet, le temps n’est plus à concocter des plans et schéma de développement, mais de s’attaquer à la racine du mal à travers une réflexion prospective partagée pour l’émergence d’un nouveau modèle économique et social.
L’analyse prospective est un outil essentiel pour anticiper les mutations économiques, technologiques et sociales, et pour préparer les sociétés à affronter les défis à venir. En Martinique, cette démarche semble largement négligée, laissant la population et les institutions naviguer à vue dans un contexte de transformations rapides. La globalisation, la transition numérique, les défis écologiques, ainsi que les mutations démographiques, touchent l’île de plein fouet sans que des réponses structurées ne soient véritablement apportées. Cette absence de vision stratégique a des répercussions profondes, nourrissant un sentiment d’abandon parmi les Martiniquais et exacerbant une crise de confiance entre citoyens et élus.
Dans ce contexte, la fracture sociale et politique est de plus en plus visible. Les quartiers populaires, particulièrement affectés par le chômage, la précarité et les inégalités, deviennent des zones de tension où l’autorité de l’État se délite au profit de réseaux parallèles, notamment liés au trafic de stupéfiants. Loin d’être une situation isolée, cette réalité reflète une dynamique de désengagement progressif entre une partie de la population et les institutions de la République. L’absence de politiques publiques adaptées aux spécificités locales alimente un sentiment de déconnexion et de rejet, renforçant ainsi le fossé entre les Martiniquais et leurs représentants. Cette rupture se manifeste également par une désaffection croissante vis-à-vis de la politique.
La baisse continue de la participation électorale témoigne d’une perte de confiance dans la capacité des élus à répondre aux attentes des citoyens. Ce phénomène, loin d’être propre à la Martinique, prend ici une dimension particulière en raison du poids de l’histoire coloniale et de la complexité des relations entre l’île et l’État français. Les élus locaux, perçus comme des relais d’un pouvoir central déconnecté des réalités martiniquaises, peinent à incarner une alternative crédible. Cette défiance, combinée à une montée des mouvements contestataires, crée un terreau fertile pour des revendications radicales, comme celles portées par des groupes populistes tels que le RPPRAC.
L’arrestation récente de Rodrigue Petitot, figure emblématique de ce mouvement, illustre la tension croissante qui caractérise la vie politique et sociale martiniquaise. Ses appels à la mobilisation et ses critiques acerbes envers les autorités traduisent une colère partagée par une partie significative de la population. Cette contestation, loin d’être uniquement dirigée contre des figures spécifiques de l’autorité, est le reflet d’un malaise plus profond. Elle souligne l’incapacité des élus à répondre aux aspirations des Martiniquais et à offrir une vision d’avenir porteuse d’espoir.
L’absence d’analyse prospective aggrave cette situation. Sans une compréhension claire des enjeux et des opportunités, il devient impossible de construire des politiques publiques cohérentes et adaptées. Cette lacune expose la Martinique à des risques majeurs, parmi lesquels une accentuation des inégalités, une aggravation des tensions sociales et un affaiblissement de la résilience face aux crises. Les transitions écologique et numérique, qui constituent des défis mondiaux, nécessitent des réponses spécifiques en raison des contraintes insulaires. De même, la question de la vie chère et de la souveraineté alimentaire, cruciale dans un contexte de dépendance accrue aux importations, reste largement sous estimée tant les réponses apportées semblent insuffisantes.
Si aucune initiative sérieuse n’est prise pour inverser cette tendance, les conséquences pourraient être dramatiques. Une société fragmentée, où les incivilités et les violences urbaines deviennent la norme, pourrait émerger, avec des répercussions profondes sur la qualité de vie et le tissu social. La montée des tensions politiques, marquée par des attaques croissantes contre les élus, reflète déjà une dérive inquiétante. Cette violence, symptôme d’une société en rupture, risque de s’intensifier si les causes profondes du malaise ne sont pas traitées.
Il est urgent que la Martinique se dote d’une vision stratégique et qu’elle engage une réflexion collective sur son avenir. Cette démarche nécessite une collaboration étroite entre les acteurs politiques, économiques et sociaux, mais aussi une écoute sincère de l’État français . L’objectif doit être de construire une société résiliente, capable de relever les défis du XXIe siècle tout en préservant son identité et ses valeurs. A défaut, l’île pourrait s’enfoncer davantage dans une spirale de division et de stagnation, avec des conséquences irréversibles pour les générations futures. Pour éviter cette sombre perspective, la sérénité doit de nouveau être de mise en Martinique avec la réforme du modèle économique actuel.
Alors que la France se trouve à un tournant, les choix à venir seront décisifs pour l’avenir de ces territoires et du pays tout entier. Accepter un budget de redressement, comme l’évoquait récemment une personnalité politique sur France info, pourrait permettre de relever la tête et d’éviter une dégradation durable. A défaut, le pays risque de s’enfoncer davantage dans un déficit économique, social et diplomatique, compromettant toute possibilité de rétablissement des comptes publics .
Les événements qui secouent l’outre-mer à l’instar de la nouvelle Calédonie et de la Martinique sont un signal d’alarme, un appel urgent à repenser les politiques publiques pour ces territoires, mais aussi pour l’ensemble de la nation. A travers ces crises, ce sont les questions fondamentales de la solidarité nationale, de la justice économique et de la légitimité des institutions qui se posent.
La France doit choisir entre laisser s’enliser ces fractures ou saisir cette occasion pour restaurer une cohésion sociale mise à mal, en commençant par une écoute attentive des réalités de ces territoires et des solutions adaptées à leurs spécificités.
« Les foules s’imaginent volontiers que leurs gouvernants appartiennent à une humanité supérieure infaillible. De là leurs fureurs dès qu’une défaillance révèle l’homme derrière l’idole. »
Gustave Le Bon
Psychologie des foules (1895)
Economiste