Opinion. La vie chère en question aux Antilles : mais qui est responsable de cette incroyable incurie ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

La problématique de la vie chère dans les Antilles est un sujet qui cristallise les tensions depuis des années, une situation souvent perçue comme une fatalité inévitable.

Pourtant, il s’avère que ce fléau n’est pas immuable, mais bien le fruit de facteurs politiques structurels et historiques qui, s’ils sont réformés, pourraient offrir des solutions durables. L’idée d’un retour à une réglementation des prix est souvent évoquée, notamment dans le cadre d’initiatives comme le Bouclier Qualité Prix, mais ces mesures, pour utiles qu’elles soient, restent largement insuffisantes pour répondre à l’ampleur du problème.

La situation en Guadeloupe et en Martinique met en lumière l’urgence de repenser en profondeur le modèle économique de ces territoires. 

Ivan Odonnat, président national de l’Institut d’Émission d’Outre-mer (IEDOM), a récemment exprimé ses préoccupations concernant le problème persistant de la vie chère dans les territoires d’Outre-mer, et en particulier à Mayotte. Lors d’une conférence tenue à Mayotte dans le cadre de la visite du gouverneur de la Banque de France dans l’océan Indien, Odonnat a abordé la question avec une franchise inhabituelle, mettant en lumière non seulement les causes économiques de la situation, mais aussi le manque de volonté politique pour y remédier.

Le problème de la vie chère, bien qu’universel en raison de l’inflation mondiale déclenchée par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, prend une dimension particulière dans les territoires d’Outre-mer. Ces territoires, déjà marqués par des prix beaucoup plus élevés qu’en métropole, subissent de plein fouet les effets de ces crises globales. À Mayotte, par exemple, les prix des produits alimentaires sont 30% plus élevés qu’en métropole et aux Antilles c’est plus de 40%, un écart qui n’a fait qu’augmenter depuis 2015.

Malgré les nombreuses tentatives politiques pour juguler cette vie chère, notamment via la loi Lurel sur la régulation économique ou les interventions du Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM), les résultats restent largement insuffisants. Le président de l’IEDOM, M. Odonnat, souligne que les solutions proposées, bien qu’efficaces en théorie, ne sont pas appliquées avec la rigueur nécessaire. La situation est exacerbée par des facteurs structurels comme l’étroitesse des marchés, la dépendance aux importations et la multiplication des intermédiaires.

L’une des propositions majeures d’Ivan Odonnat est de réformer le modèle économique des Outre-mer, un changement qu’il juge indispensable pour sortir de cette spirale de cherté de la vie. Pour lui, il est crucial de renforcer l’autonomie alimentaire en investissant dans l’agriculture locale. Toutefois, il dénonce le manque d’engagement des entreprises, qui préfèrent réorienter leurs bénéfices vers d’autres marchés plutôt que de les réinvestir localement.

Monsieur Odonnat reconnait que les entreprises ne réinvestissement pas leurs profits dans les économies d’Outre-mer et que les banques n’investissent pas localement l’épargne locale qui est très élevée. Cela conforte notre proposition de créer une nouvelle société financière de développement voire une banque de développement.

Cela serait sans nul doute un pas en avant significatif.

M. Odonnat a également critiqué l’inefficacité du Bouclier Qualité Prix (BQP), un dispositif censé plafonner les prix de certains produits, en raison d’un manque de contrôle sur son application. Il appelle à une meilleure régulation de la grande distribution pour s’assurer que les produits concernés par le BQP soient effectivement disponibles à des prix abordables.

La question des dessertes maritimes est un autre point clé abordé par Odonnat. Il insiste sur la nécessité d’améliorer la connectivité des routes maritimes et de mutualiser les investissements dans les ports pour réduire les coûts d’importation, qui contribuent de manière significative à la hausse des prix.

Enfin, le président national de l’IEDOM a mis en lumière un problème fondamental : le manque de réinjection de l’épargne ultramarine dans les économies locales.

Malgré l’existence d’une épargne privée significative dans les territoires d’Outre-mer, cet argent est rarement utilisé pour financer des projets locaux, ce qui freine le développement économique et empêche la création d’emplois dans le secteur privé.

Ces observations font écho aux revendications des collectifs ultramarins qui luttent depuis des années contre la vie chère. Enfin M. Odonnat propose une véritable refonte des stratégies économiques pour ces territoires, passant par un investissement massif dans l’éducation, la formation et l’accompagnement entrepreneurial, indispensables pour sortir du sous-développement.

Il estime que, sans des actions déterminées et à long terme, les mêmes discussions auront lieu dans dix ans, sans que rien n’ait véritablement changé. Les vérités exposées par M. Odonnat, loin d’être de simples constats, se veulent une base de travail pour construire des solutions à la hauteur des défis auxquels sont confrontés les Outre-mer, et ainsi mettre fin aux mouvements sociaux récurrents qui minent ces territoires.

L’aggravation des inégalités et le coût de la vie exorbitant ont mené à une colère grandissante parmi la population, comme en témoigne l’appel à une mobilisation massive pour aligner les prix locaux sur ceux de la métropole. Ce mouvement, bien qu’expression légitime d’une frustration collective, repose cependant sur une méconnaissance des conséquences potentielles d’une action directe trop radicale.

Les souvenirs de la mobilisation de 2009 sont encore présents dans les esprits, une période où le blocage économique a révélé les fractures profondes du tissu économique antillais, déjà fragile. Les faillites d’entreprises, le départ des investisseurs et la perte de dynamisme entrepreneurial ont laissé des séquelles qui sont encore visibles aujourd’hui.

Ainsi, renouveler des actions aussi drastiques sans une véritable réflexion en amont risque d’aggraver encore davantage la situation. Si la vie chère est indéniablement une réalité, les solutions doivent être trouvées dans la coopération plutôt que dans la confrontation. Certains prônent une collaboration renforcée entre les différents acteurs locaux pour revitaliser l’économie et améliorer le pouvoir d’achat, une approche qui s’oppose à une vision plus radicale plaidant pour une refonte totale du modèle économique actuel.

Cette dernière thèse, soutenue par une partie de la population et certains économistes, met en cause les oligopoles et monopoles qui, selon eux, maintiennent artificiellement les prix à un niveau élevé. Ces structures économiques inégalitaires, dominées par des grandes familles souvent associées aux descendants des colons européens, sont au cœur des tensions.

La crise de 2009 avait déjà mis en lumière ces déséquilibres, et depuis, peu de choses ont réellement changé. Les monopoles continuent de régner, et les réformes promises n’ont pas apporté les résultats escomptés. En observant d’autres territoires comme la Nouvelle-Calédonie, où des tensions similaires ont conduit à la destruction d’entreprises et à des milliers de pertes d’emplois, le risque d’un scénario comparable aux Antilles est de plus en plus palpable.

Il est essentiel de comprendre que la responsabilité de la vie chère ne se limite pas seulement aux monopoles ou aux importateurs. Les producteurs locaux, artisans et prestataires de services, participent également à cette dynamique inflationniste. Paradoxalement, certains produits locaux sont eux-mêmes vendus à des prix prohibitifs, ce qui décourage la consommation locale, pourtant cruciale pour l’économie des ménages modestes.

Ce paradoxe, souvent ignoré dans le débat public, contribue à maintenir un discours simpliste qui ne reflète pas la complexité des enjeux économiques locaux. Les appels à la mobilisation se multiplient, alimentés par des témoignages poignants de citoyens qui peinent à joindre les deux bouts, malgré les primes de vie chère ou le recours au troc pour pallier les hausses des prix.

Cependant, l’unanimité n’est pas de mise. Certains appellent à la prudence, préférant des alternatives plus nuancées comme l’éducation à l’acte d’achat ou la promotion des circuits courts. Toutefois, cette stratégie se heurte à la désorganisation actuelle de la production locale. L’approche de la rentrée scolaire accentue les tensions, avec une inflation qui touche particulièrement les fournitures scolaires, aggravant encore la situation des familles antillaises.

L’allocation de rentrée scolaire n’arrive plus à compenser ces hausses, menaçant de déclencher une nouvelle explosion sociale, semblable à celle de 2009. Pourtant, l’efficacité de telles mobilisations reste à démontrer, tant les causes du problème sont profondément enracinées dans l’économie antillaise. Dans ce contexte, une révision en profondeur du modèle économique des Antilles apparaît comme une nécessité pour éviter le chaos.

La promotion d’une économie locale plus résiliente, l’encouragement des circuits courts, et le soutien à l’entrepreneuriat local sont autant de leviers qui pourraient transformer les dynamiques actuelles. Il s’agit de diminuer la dépendance extérieure en favorisant l’agriculture locale, l’élevage, et la transformation des produits sur place, des mesures susceptibles de réduire la dépendance aux importations et de faire baisser les prix.

Cependant, pour réussir cette transition, il faut une volonté politique claire et une action coordonnée entre l’État, les collectivités locales et les acteurs économiques. La crise actuelle souligne l’urgence d’une telle transformation, faute de quoi, la colère pourrait bien se transformer en révolte ouverte, avec des conséquences difficiles à maîtriser. Et, comme mentionné précédemment, Ivan Odonnat, président national de l’Institut d’Émission d’Outre-mer (IEDOM), a récemment souligné cette urgence en exprimant ses préoccupations concernant la vie chère .

Selon M. Odonnat, bien que les crises globales comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine aient aggravé la situation, la vie chère dans les territoires d’Outre-mer est une problématique spécifique, exacerbée par des facteurs locaux.

Pour M. Odonnat, il est impératif de réformer le modèle économique à l’instar de ce que nous ne cessons de proposer à travers nos tribunes depuis des lustres. Il critique surtout également le manque d’investissements locaux, qui freine le développement économique et empêche la création d’emplois. Les observations d’Ivan Odonnat résonnent avec les revendications des collectifs ultramarins, et ses propositions pourraient servir de base pour repenser les stratégies économiques de ces territoires. Il appelle à une refonte des politiques économiques, axée sur l’éducation, la formation et l’accompagnement entrepreneurial, pour sortir du sous-développement et mettre fin aux mouvements sociaux récurrents.

Sans actions déterminées, le risque est de voir se reproduire, dans dix ans, les mêmes débats stériles, sans que rien n’ait véritablement changé.

*Economiste

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