Opinion. La vie chère aux Antilles n’est pas une fatalité mais une question de volontarisme pour promouvoir un autre système économique !

PAR JEAN-MARIE NOL*

La vie chère aux Antilles est une problématique persistante qui risque hélas de perdurer dans le temps, et qui malgré des mesures correctrices mises en place par les pouvoirs publics, continue de peser lourdement sur le quotidien des habitants.

La baisse de l’octroi de mer et de la TVA, la limitation des marges commerciales, le financement de la continuité territoriale ou encore le bouclier qualité-prix ne sont que des ajustements techniques qui, bien qu’essentiels, n’attaquent pas le cœur du problème. C’est là un coup d’épée dans l’eau !.. Et surtout gardons nous de toute illusion sur la relance de l’agriculture telle que pratiquée actuellement et ce même avec une nouvelle répartition du POSEI , ainsi que sur le mirage de l’autonomie alimentaire. Tout cela ne changera rien, absolument rien à la vie chère.

Dans ce contexte, malgré les efforts de nos élus pour régler la question par le dépôt de propositions de lois, gageons que nous sommes encore loin de finir de gloser sur cette thématique de la vie chère. Nous en voulons pour preuve les tensions qui persistent après la signature du protocole d’accord et de moyens en Martinique et voire même de façon larvée en Guadeloupe. Et d’ailleurs aux dires de l’organe de presse France Antilles, dans un très récent communiqué, le Rpprac a invité l’ensemble des syndicats à se réunir rapidement afin de poursuivre échanges et réflexions sur la suite à donner à la lutte contre la vie chère dans les Outre-mer, et plus particulièrement en Martinique.

D’ores et déjà plusieurs représentants syndicaux ont bien répondu à l’appel de mobilisation pour préparer la suite à donner à la lutte, et ce en dépit des errements d’un passé proche (violences, émeutes, pillages et destructions d’entreprise, etc.). A notre sens, pour sortir de cette spirale de tensions sociales et offrir une véritable alternative, un changement de modèle économique s’impose, inspiré des expériences d’autres territoires confrontés à des défis similaires. En fait, la résolution de ce problème de vie chère est politique.

L’actuelle organisation économique des Antilles est marquée par une forte dépendance aux importations, un tissu productif restreint et une concentration du pouvoir économique entre quelques acteurs dominants. Ce modèle, hérité de l’histoire coloniale et perpétué par des logiques administratives, favorise une économie de comptoir où la grande distribution et l’import-export jouent un rôle prépondérant. Les marges exorbitantes pratiquées sur les produits de première nécessité découlent de cette situation de quasi-monopole, rendant le coût de la vie bien plus élevé qu’en France hexagonale ou dans d’autres territoires insulaires du monde.

Dans plusieurs régions confrontées à des problématiques similaires, des stratégies alternatives ont permis d’inverser la tendance. À La Réunion, par exemple, des politiques publiques ont encouragé la production locale à travers des subventions ciblées et des incitations fiscales pour les entreprises agricoles et manufacturières. A l’île Maurice, un modèle fondé sur la diversification économique a permis de réduire la dépendance aux importations en développant des secteurs à forte valeur ajoutée, comme le textile, le tourisme haut de gamme et les nouvelles technologies. Dans les Caraïbes anglophones, certains États ont favorisé le développement de circuits courts et la mise en place de coopératives agricoles pour limiter l’impact des intermédiaires.

S’inspirer de ces expériences implique une refonte en profondeur du modèle économique antillais, articulée autour de plusieurs axes stratégiques. D’abord, il est impératif de renforcer la production locale en investissant massivement dans une agriculture de type nouveau et développer l’industrie agroalimentaire à partir de produits importés dans notre proche environnement géographique.

Les Antilles disposent de terres fertiles et d’un climat encore propice à une large diversité de cultures. Pourtant, la production agricole y demeure largement insuffisante face à la demande, en raison d’un manque de soutien structurel et d’une concurrence déloyale des produits importés, souvent subventionnés à l’origine. Une politique volontariste de relance de l’agriculture, sur de nouvelles bases, couplée à une protection douanière ciblée pour les produits locaux, permettrait de réduire cette dépendance alimentaire tout en créant des emplois.

Ensuite, la diversification économique est un levier incontournable. L’exploitation du potentiel touristique doit être repensée en faveur d’un modèle durable et inclusif, où les retombées économiques bénéficient directement aux populations locales et non uniquement aux grandes chaînes hôtelières . Le développement du numérique, et de l’économie verte offre également des opportunités considérables pour réduire la dépendance aux importations  et aux transferts financiers de la métropole.

Par ailleurs, la structuration d’un véritable réseau d’acteurs économiques locaux est nécessaire pour contrer l’emprise des grandes enseignes d’importation. Le soutien aux PME et aux coopératives, la facilitation de l’accès au crédit pour les jeunes entrepreneurs et la mise en place de circuits de distribution alternatifs en provenance du Canada et de l’Amérique du Sud permettraient d’offrir aux consommateurs une plus grande diversité de produits à des prix plus compétitifs.

Enfin, une réforme en profondeur du système de formation et d’éducation est indispensable pour accompagner cette transition. Trop de jeunes antillais sont contraints de quitter leur territoire faute d’opportunités professionnelles adaptées. En valorisant les compétences locales et en adaptant les cursus aux besoins réels du marché, il serait possible de retenir ces talents et de favoriser l’émergence d’une classe d’entrepreneurs capable de porter le développement économique de la région.

Changer de modèle économique ne se fera pas du jour au lendemain et nécessitera une volonté politique forte, ainsi qu’une mobilisation des acteurs économiques et de la société civile. Mais c’est une condition sine qua non pour mettre un terme à la vie chère et offrir aux Antilles un avenir où la prospérité ne serait plus synonyme de dépendance.

« Débrouya pa péché »

– traduction littérale : faire le debrouillard n’est pas pécher .

– moralité : On ne blame pas quelqu’un qui se débrouille à trouver d’autres alternatives que l’immobilisme de l’ordre établi .Autrement dit : La débrouillardise n’est pas un défaut.

*Economiste

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