PAR JEAN-MARIE NOL
La vie chère aux Antilles, bien que largement documentée et ressentie par la population, n’est pas une fatalité.
Elle résulte principalement de facteurs structurels et historiques qu’il est possible de réformer. Une réflexion sur un nouveau modèle économique pour les Antilles permettrait de proposer des solutions durables pour atténuer cette problématique. Pour ce faire, il faudrait un retour à la réglementation des prix en Outre-mer.
L’initiative du bouclier qualité prix, pour heureuse qu’elle soit, est très loin d’être satisfaisante. La situation en Guadeloupe, et surtout présentement en Martinique, résonne avec une urgence familière : celle de la vie chère, une problématique persistante qui cristallise une colère de plus en plus palpable. Une vidéo virale appelle à une mobilisation massive dès le 1er septembre pour forcer les grandes surfaces à aligner leurs prix sur ceux de la métropole.
Les justifications traditionnelles de la vie chère, telles que l’octroi de mer ou les coûts logistiques, sont balayées d’un revers de main, laissant place à une injonction claire et radicale. Ce discours, qui se présente comme la voix du peuple martiniquais, fait écho à une lassitude collective, en dénonçant l’échec des mobilisations passées, notamment celle de 2009.
Cette révolte, bien que compréhensible sur le fond, soulève toutefois des enjeux économiques délicats.Pour un observateur de la vie locale cette montée en tension repose sur une méconnaissance des conséquences de l’action directe. Il convient de rappeler que le blocage de 2009, bien qu’il ait permis de mettre en lumière les inégalités criantes, a profondément fragilisé l’économie locale.
Les faillites d’entreprises, le départ des investisseurs et la perte de dynamisme entrepreneurial qui ont suivi cet épisode ont laissé des séquelles encore visibles. Aujourd’hui, c’est un tissu économique convalescent car déjà affecté par la crise que l’on menace à nouveau. Pourtant, d’aucuns concèdent que la vie chère est une réalité incontestable, qui mérite une réponse collective et constructive.
Pour eux, la solution ne réside pas dans la destruction, mais dans la coopération entre toutes les parties prenantes pour renforcer l’économie locale et améliorer le pouvoir d’achat. Cette perspective s’oppose à une autre thèse plus radicale, portée par certains économistes et une partie de la population et relayée sur les médias et réseaux sociaux.
Selon cette vision, la seule réponse efficace est un changement de modèle économique profond, rompant avec les oligopoles et monopoles en place. La crise de 2009 avait mis à nu les structures économiques inégalitaires des Antilles, dominées par quelques grandes familles et entreprises, souvent associées aux descendants des colons européens, les békés. Ces monopoles, accusés de maintenir artificiellement les prix à un niveau élevé, continuent d’être les cibles privilégiées de la colère populaire.
Malgré les promesses de réformes, les initiatives visant à encadrer les prix ou à introduire de nouveaux acteurs économiques ont échoué ou ont été largement insuffisantes.La comparaison avec d’autres territoires, comme la Nouvelle-Calédonie, renforce le sentiment d’une situation explosive. Là-bas, les tensions économiques ont débouché sur la destruction de plusieurs centaines d’entreprises, laissant des milliers de personnes sans emploi ( 23 000 très exactement). Aux Antilles, les conditions à terme pour un tel scénario semblent réunies si rien ne change au niveau de l’actuelle donne : une économie verrouillée par des monopoles, une population désabusée par l’absence de réformes et un sentiment d’abandon face à des autorités perçues comme déconnectées.
Les initiatives pour promouvoir une économie locale plus résiliente, notamment par le développement des circuits courts et la production locale, se heurtent encore à des obstacles structurels et à des attentes parfois irréalistes des consommateurs.L’analyse montre également que la responsabilité de la vie chère ne se limite pas aux seuls monopoles ou importateurs.
Les producteurs locaux, artisans et prestataires de services contribuent aussi à cette dynamique inflationniste. Certains produits locaux, bien que disponibles sur place, affichent des prix prohibitifs, rendant l’idée de consommer local moins attractive pour les ménages modestes. Ce paradoxe est souvent occulté dans le débat public, qui préfère se focaliser sur la grande distribution et les monopoles. Pourtant, cette omission alimente un discours simpliste qui ignore la complexité des enjeux économiques locaux.Dans ce contexte tendu, les appels à la mobilisation gagnent du terrain.
Les figures publiques locales n’hésitent pas à désigner les grands groupes comme responsables de la situation et appellent à des actions directes. Les témoignages de citoyens confirment ce ras-le-bol généralisé, avec des récits poignants de difficultés financières malgré des primes de vie chère ou des stratégies de troc pour compenser les hausses des prix.
Toutefois, la mobilisation ne fait pas l’unanimité. Certains appellent à la prudence et proposent des alternatives plus nuancées, comme la rééducation de l’acte d’achat en privilégiant les circuits locaux. Cette approche pourtant, dans le contexte actuel, peut sembler irréaliste au vu de la désorganisation de la production locale. Pour y remédier, il faudrait réviser le POSEI et reallouer une grande partie des subventions qui sont actuellement fléchées en direction de la banane et de la canne en direction de la diversification agricole.
Par ailleurs, l’approche de la rentrée scolaire accentue encore les tensions, avec une inflation qui touche particulièrement les fournitures scolaires. Les familles antillaises doivent composer avec une hausse généralisée des prix, que l’allocation de rentrée scolaire ne parvient plus à compenser. Ce contexte pourrait bien être le catalyseur d’une nouvelle explosion sociale, semblable à celle de 2009.
Les appels au boycott, aux blocages ou à la grève se multiplient, témoignant d’une volonté de ne plus tolérer une situation jugée insupportable. Cependant, l’efficacité de ces actions reste à prouver, tant les causes du problème sont profondément enracinées dans l’économie antillaise.La crise actuelle souligne l’urgence de repenser le modèle économique des Antilles.
Pour éviter un scénario chaotique, des réformes structurelles sont indispensables. Encourager l’émergence de nouveaux acteurs économiques locaux, réguler les prix et soutenir les initiatives durables sont autant de pistes pour sortir de l’impasse.Plusieurs leviers peuvent être activés pour transformer ces dynamiques. Un changement structurel basé sur un modèle économique plus résilient et autonome financièrement pourrait diminuer la dépendance extérieure et favoriser une baisse des prix.
Encourager l’agriculture locale, l’élevage, ainsi que la transformation des produits sur place pour réduire la dépendance aux importations. Par exemple, développer des filières agroalimentaires adaptées aux spécificités locales pourrait renforcer l’autosuffisance.Oeuvrer pour la promotion des circuits courts : La mise en place de marchés locaux, d’initiatives de coopératives, ou de plateformes digitales permettant de connecter producteurs locaux et consommateurs permettrait de limiter les intermédiaires et donc les coûts.promouvoir le développement des énergies renouvelables : les Antilles disposent d’un fort potentiel en termes d’énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermie). L’investissement dans ces sources d’énergie permettrait de diminuer la dépendance aux énergies fossiles importées et de réduire les coûts énergétiques.
Apporter un soutien à l’entrepreneuriat local, à savoir créer un environnement favorable à l’innovation et à la création d’entreprises locales dans des secteurs variés (agriculture, tourisme durable, artisanat, etc.), pourrait dynamiser l’économie et réduire la dépendance aux entreprises métropolitaines. Et, pour conclure sur ce sujet, il faut encourager la formation et la montée en compétence des habitants dans les secteurs porteurs de cette nouvelle économie. Mais, ces solutions nécessitent une volonté politique claire et une action coordonnée entre l’État, les collectivités locales et les acteurs économiques.
En l’absence de tels changements, la colère pourrait bien se transformer en une révolte ouverte, avec des conséquences difficiles à maîtriser. Le temps presse et les signes d’une détérioration sociale ne doivent pas être pris à la légère. Les Antilles ne peuvent plus se contenter de promesses non tenues ; des actions concrètes sont attendues pour répondre aux aspirations légitimes des populations locales.
La vie chère aux Antilles est le fruit de facteurs économiques, historiques et structurels qui, bien que profonds, peuvent être réformés. La construction d’un nouveau modèle économique plus résilient, durable et centré sur les spécificités locales permettrait de réduire la dépendance aux importations et de favoriser une économie plus inclusive. En misant sur l’innovation de l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et la production locale, les Antilles peuvent espérer sortir du cercle vicieux de la vie chère. N’en doutons pas, il faut savoir méditer le proverbe créole suivant :
« Lè ou pa konnèt, ou ka chayé dlo an pannyé ».
Traduction littérale : Quand on manque de savoir, on porte de l’eau dans un panier.
Moralité : à l’impossible nul n’est tenu !
*Economiste