Opinion. La République à l’arrêt

PAR DIDIER DESTOUCHES*

Temps des vacances, temps de l’insouciance. Et il en faut une sacrée dose d’insouciance en ce moment pour ignorer ou mal juger la réalité politique actuelle de la France. Elle est plongée dans une crise politique sans précédent sous la Ve République. Une situation aux répercussions économiques potentiellement graves, et très inquiétantes pour ces répercussions internationales au moment où s’intensifie la rivalité Est-Ouest, où l’Europe est menacée par l’impérialisme russe, et où la démocratie américaine se laisse à nouveau séduire par le démon du populisme.

De nos jours c’est par la formule ou la punchline que les idées et les faits sont le mieux appréhendées par le public, alors nous en proposons une qui traduira le mieux ce que l’observateur politique ou le constitutionnaliste ne peut garder sous silence : l’Etat n’a plus de pilote !

En provoquant une dissolution de la chambre basse législative, trop ou mal pensée, le chef de l’État se retrouve dans une situation institutionnelle inédite. Il s’est vidé lui-même de toute autorité politique tout en restant en vertu de la Constitution et de son article 5 au centre du jeu politique en tant qu’arbitre institutionnel consacré (« Le président de la République veille au respect de la constitution. Il assure par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État »).

Le problème c’est que compte tenu du fait qu’il n’y’a pas de majorité de gouvernement à l’issue de ces élections législatives qui feront date, mais plusieurs groupes politiques minoritaires selon les alliances ou recomposition (le plus important étant celui du nouveau front populaire NFP), le président (et lui seul) ne peut aisément nommer un Premier ministre ou un chef de gouvernement.

Alors le plus simple et légitime serait de nommer un chef de gouvernement issu du groupe arrivé en tête des élections et donc issu du NFP. Mais ce serait prendre le risque qu’un tel gouvernement soit balayé par une motion de censure très rapidement. Seul un usage à nouveau immodéré de l’article 49.3 pourrait permettre à ce gouvernement de gauche de prendre des mesures de politiques publiques par le biais de la loi. Impensable…

Le chef de l’État est donc contraint (mais sûrement consentant) d’attendre qu’une coalition de gouvernement à l’allemande se constitue et il espère que le centre, les socialistes, des écologistes et les républicains trouvent un accord pour cela. L’épouvantable capharnaüm des prises de positions de tous les chefs de groupes et leaders de courants politiques montre que nous en sommes (de plus en plus) loin. Le seul point d’accord entre tous les groupes politiques de la nouvelle Assemblée nationale est qu’ils refusent catégoriquement de faire ce plaisir au président Macron.

En tout état de cause, la France est pour un moment ingouvernable, tant que vaille que vaille, ceux qui ont reçu le pouvoir de faire la loi de la main des électeurs n’auront pas pris la dimension du retour au parlementarisme qui s’opère sous nos yeux et du prix à payer pour cela : la culture du compromis politique.

Le pouvoir exécutif est donc dans l’impasse et inexistant, quant au pouvoir législatif, il est pour le moment déstructuré, impuissant, et pour le moment inapte à adopter une culture politique qui n’est pas la sienne. En effet la constitution de 1958 conçue par Michel Debré en 1958 a certes instauré une république parlementaire mais réglée comme un régime présidentialiste, héritier de la centralisation monarchique d’ancien régime renforcé par le jacobinisme idéologique de la quasi totalité des dirigeants français (politique et administratifs) depuis Napoléon Bonaparte.

Notre constitution est faite pour la confrontation d’une majorité à une opposition, plutôt que pour la concertation et la convergence. L’un des signes les plus inquiétants de cette rupture institutionnelle est que le président de la République n’a pas hésité à transgresser le sacro saint principe de séparation des pouvoirs pour créer une situation dans laquelle des membres démissionnaires du gouvernement se retrouvent à exercer des fonctions de députés élus (pouvoir législatif) alors qu’ils sont techniquement et de fait toujours en train de gérer les affaires courantes (l’article 20  précise que le gouvernement …conduit la politique de la Nation (sous entendu tant qu’un autre gouvernement n’a pas été mis en place, et sans la déterminer. C’est la continuité de l’État).

La question est donc jusqu’à quand la France va-t-elle subir cet imbroglio constitutionnel et politique qui démontre s’il en était besoin qu’il n’existe aucun texte de droit positif (constitutionnel ou autre) parfait. Il faut penser cette constitution et s’aider d’analyse sociologique, notamment, pour comprendre que nous entrons dans un nouveau monde avec de nouvelles bases de comportements collectifs et individuels ou l’horizontalité l’emporte sur la verticalité. Le besoin de démocratie directe augmente et la discipline partisane, de même que les orthodoxie idéologiques, se dissolvent peu à peu au sein de l’esprit et l’opinion publics.

La Ve République a certes montré une grande solidité en absorbant les chocs d’une alternance au pouvoir (1981) et de trois cohabitations. Mais, depuis la mise en place du quinquennat et d’une hyper-présidentialisation qui en découle, elle montre de grandes faiblesses face au rejet global d’un exécutif trop personnalisé (Sarkozy), autoritaire (Macron) ou au contraire trop laxiste (Hollande) et à tous le moins jugé comme trop coupé des réalités et aspirations des français.

Il y a donc nécessité d’une grande réforme de la constitution sans forcément changer de régime, pour permettre une meilleure respiration des pouvoirs publics et une plus grande adaptation à l’envie forte d’expression des pluralismes politiques dans les résultats électoraux et les incontournables concertations transpartisanes que la Démocratie abrite dans ses fondements éthiques constitutifs depuis toujours.

*Maître de conférences d’histoire du droit à l’université des Antilles

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