PAR JEAN-MARIE NOL*
Alors que le département de Mayotte a été littéralement dévasté par le passage du cyclone Chido, il devient urgent pour la Guadeloupe de s’interroger sur les conséquences économiques et financières du changement climatique.
La Guadeloupe, bien que souvent perçue comme un paradis tropical, se trouve aujourd’hui au cœur des enjeux économiques et environnementaux liés au changement climatique. Ce territoire insulaire des Caraïbes, riche d’une biodiversité exceptionnelle et d’une économie fortement dépendante des ressources financières de l’État , mais aussi de ses propres ressources naturelles, est confronté à des transformations profondes qui bouleverseront ses équilibres.
Le réchauffement global, amplifié par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, menace directement les principaux secteurs d’activité de l’archipel et soulève des questions majeures sur sa résilience face à ces bouleversements.
Dans ce contexte, le changement climatique constitue aujourd’hui un défi majeur, non seulement environnemental, mais également économique et financier. En Guadeloupe, territoire français très exposé aux aléas climatiques, ces enjeux se manifestent avec une acuité particulière, impactant les infrastructures, les activités économiques et les populations.
Dans un contexte mondial où les coûts liés aux catastrophes naturelles explosent, l’archipel fait face à une réalité où adaptation et résilience deviennent impératives.
Les données récentes confirment une accélération des événements climatiques extrêmes, avec des conséquences financières considérables. La Guadeloupe, déjà soumise à des cyclones récurrents, subit également des sécheresses prolongées, des inondations dues à des pluies intenses, et des glissements de terrain. Ces phénomènes mettent à rude épreuve les infrastructures locales, souvent mal adaptées à ces bouleversements, tout en générant des coûts de réparation et de reconstruction exorbitants.
A l’échelle nationale, les sinistres climatiques ont coûté 10 milliards d’euros en 2022, selon France Assureurs, soit près de trois fois la moyenne annuelle de la décennie précédente. Une estimation basse du coût global du réchauffement climatique peut toutefois être obtenue en le rapportant au PIB de 2022, soit 2639,1 milliards d’euros. Le réchauffement climatique coûterait donc dans la prochaine décennie , a minima, 264 milliards d’euros.
Dans cette modélisation, les dommages les plus importants causés par le réchauffement climatique sont tout d’abord les catastrophes naturelles se produisant hors de France, c’est à dire essentiellement en Outre-mer. Celles-ci auront, en effet, un impact négatif sur les finances publiques de la France. Elles contribuent à plus de la moitié de l’effet total du réchauffement climatique (environ 6 points de PIB).
Les autres dommages importants sont liés à la baisse des rendements agricoles, la montée du niveau de la mer et les catastrophes naturelles ayant lieu sur le territoire français. En Guadeloupe, bien que les chiffres précis manquent, l’exposition particulière du territoire laisse supposer un poids disproportionné de ces coûts par habitant.
Outre les dégâts matériels, les répercussions économiques indirectes ne sont pas négligeables. Le secteur agricole, pilier de l’économie locale, est particulièrement vulnérable. Les sécheresses répétées et les cyclones dévastateurs affectent gravement les rendements des cultures comme la banane ou la canne à sucre, mais surtout les fruits et légumes, fragilisant des filières déjà confrontées à une rude concurrence internationale.
Ces phénomènes, combinés à des inondations de plus en plus fréquentes, compromettent les rendements et fragilisent les agriculteurs. Certaines régions, notamment en Grande-Terre, pourraient perdre leur aptitude à soutenir les cultures traditionnelles, forçant les exploitants à s’adapter, souvent à des coûts prohibitifs.
L’irrigation accrue, les assurances contre les catastrophes naturelles et la gestion des pertes représentent une charge financière supplémentaire, qui se répercute déjà sur le prix des denrées alimentaires et sur le pouvoir d’achat des consommateurs locaux.
Les pertes agricoles pourraient atteindre près de 30 % d’ici 2050, selon les projections nationales. De plus, la montée du niveau de la mer menace les zones littorales, où se concentrent non seulement des habitations, mais également des infrastructures touristiques clés pour l’économie locale.
Le tourisme, autre moteur économique de la Guadeloupe, est également sous pression. Les cyclones et les épisodes climatiques imprévisibles affectent l’attractivité de l’archipel et perturbent les flux touristiques. La Guadeloupe, prisée pour ses plages, ses récifs coralliens et ses paysages de cartes postales à couper le souffle, voit son attractivité menacée par l’érosion côtière, les sargasses, et la montée du niveau de la mer. Ces phénomènes entraînent la disparition progressive de plages iconiques, réduisant les options pour les visiteurs et impactant directement les acteurs économiques qui en dépendent.
De plus, les épisodes de chaleur intense et les événements climatiques imprévisibles risquent de modifier les habitudes des touristes, réduisant les flux pendant certaines périodes cruciales. Cette fragilité du secteur menace les nombreux emplois qu’il génère et met en péril l’un des principaux piliers de l’économie insulaire.
Dans un scénario de réchauffement à +2°C, les pertes économiques liées aux échanges extérieurs et au tourisme pourraient représenter une part significative du PIB régional, aggravant une situation déjà marquée par un chômage élevé, une croissance atone , des déficits structurels des collectivités locales, une forte dépendance aux transferts publics et aux importations.
Les infrastructures guadeloupéennes, déjà souvent mises à rude épreuve par les aléas climatiques, font face à des défis croissants. Chaque saison cyclonique apporte son lot de destructions, nécessitant des réparations coûteuses pour les routes, les bâtiments et les réseaux d’énergie ou d’eau potable. Ces dépenses répétées pèsent lourdement sur les finances publiques et privées.
Par ailleurs, l’adaptation des infrastructures aux nouvelles réalités climatiques — notamment en renforçant les constructions contre les séismes, tempêtes ou en améliorant la gestion des eaux pluviales — implique des investissements colossaux que les collectivités locales peinent de plus en plus à mobiliser, d’où notre avertissement réitéré sur les conséquences fâcheuses de l’autonomie voulue par une petite partie de la classe politique.
Au-delà des impacts économiques directs, le changement climatique engendre aussi des conséquences sur la santé publique en Guadeloupe. Les vagues de chaleur prolongées augmentent les risques pour les populations vulnérables, notamment les personnes âgées et les enfants. En parallèle, les maladies vectorielles, comme la dengue, le chikungunya et le Zika, prolifèrent en raison de l’expansion géographique des moustiques vecteurs, favorisée par la hausse des températures.
Ces nouveaux enjeux sanitaires solliciteront financièrement davantage les infrastructures de santé, qui doivent s’adapter pour répondre à ces pressions supplémentaires. Le secteur énergétique, clé de voûte de toute adaptation climatique, n’est pas épargné. La hausse des températures accroît la demande en électricité, notamment pour la climatisation, alors que les ressources en eau — indispensables à certaines formes de vie deviennent plus rares et imprévisibles.
Ces tensions risquent de déstabiliser l’approvisionnement énergétique, rendant indispensable une transition rapide vers des sources renouvelables comme la géothermie ou l’énergie solaire. Mais tout cela aura un coût financier important.
Les conséquences écologiques du changement climatique amplifient encore les défis économiques. La biodiversité, véritable trésor de l’archipel, est menacée par la dégradation des écosystèmes terrestres et marins. Les récifs coralliens, qui jouent un rôle fondamental dans la protection côtière et le maintien des ressources halieutiques, subissent un blanchissement accéléré en raison du réchauffement des eaux.
Leur dégradation perturbe non seulement la pêche — essentielle à la sécurité alimentaire locale — mais aussi le tourisme, qui dépend largement de ces paysages sous-marins uniques. La disparition des pollinisateurs comme les abeilles et papillons , cruciaux pour certaines cultures, constitue une autre menace directe pour l’agriculture.
Le système financier de la Guadeloupe ressent également les effets de ces bouleversements. Les assurances, confrontées à des catastrophes naturelles plus fréquentes et plus graves, augmentent leurs primes, ce qui alourdit les charges pour les ménages et les entreprises. De plus, les biens immobiliers situés dans des zones à risque voient leur valeur diminuer, créant une instabilité sur le marché foncier et affectant le patrimoine des habitants.
Face à ces menaces, les assurances jouent un rôle central mais voient leurs coûts exploser. En France, les sinistres naturels devraient augmenter de 93 % d’ici 2050, un surcoût largement attribuable au changement climatique.
En Guadeloupe, où l’assurance des biens reste inégalement répartie en raison des revenus modestes de nombreuses familles, les indemnisations futures risquent de peser encore davantage sur les finances publiques et les ménages.
Par ailleurs, la lutte contre les conséquences du changement climatique nécessite des investissements massifs. Si, à l’échelle nationale, 67 milliards d’euros sont jugés nécessaires chaque année pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, la Guadeloupe, avec ses spécificités insulaires, doit envisager des efforts supplémentaires. Les infrastructures, notamment les routes et les systèmes de gestion de l’eau, devront être renforcées face à l’érosion côtière et aux inondations. Selon les premières estimations, les rénovations routières pour un scénario à +2°C pourraient engendrer un surcoût de 20 %, soit une somme colossale pour une économie locale déjà fragile.
Cependant, ces défis offrent également une opportunité de repenser le modèle économique de l’archipel. La transition énergétique et l’adaptation climatique pourraient devenir des moteurs de développement. Avec un potentiel énorme en énergie solaire, éolienne et marine, la Guadeloupe peut viser une réduction de sa dépendance énergétique, tout en stimulant la création d’emplois dans les secteurs verts. Les investissements dans la protection des littoraux, la gestion durable de l’eau et la modernisation des infrastructures pourraient également renforcer la résilience économique tout en améliorant la qualité de vie des habitants.
Néanmoins, pour réaliser ces transformations, la mobilisation des financements au niveau de l’État sera cruciale. Alors que l’État français s’engage à investir 2,3 milliards d’euros supplémentaires par an pour l’adaptation climatique, la Guadeloupe devra veiller à capter une part significative de ces fonds. Cela passera par une planification rigoureuse, une priorisation des projets d’urgence, et une coopération accrue entre les collectivités locales, l’État et l’Union européenne.
À long terme, les perspectives économiques de la Guadeloupe dépendront de sa capacité à concilier croissance économique et résilience climatique. Si les prévisions actuelles laissent entrevoir des coûts faramineux, elles soulignent aussi l’importance d’une action immédiate et coordonnée. L’adaptation climatique, bien qu’onéreuse, est une nécessité absolue pour limiter les pertes futures et offrir à l’archipel un avenir plus sûr et durable.
En cela, la Guadeloupe se positionne comme un laboratoire grandeur nature des défis et des opportunités que le changement climatique impose aux territoires insulaires. Le changement climatique ne se limite pas à une crise environnementale pour la Guadeloupe ; il redéfinit l’ensemble de ses dynamiques économiques et sociales.
Les choix effectués aujourd’hui détermineront l’avenir de cet archipel, à la fois fragile et résilient. Protéger la Guadeloupe face à ces transformations, c’est préserver un patrimoine et garantir un avenir viable pour ses habitants en anticipant les futurs besoins financiers des collectivités locales.
L’urgence d’agir ne fait plus aucun doute, et les solutions existent : il ne reste qu’à les mettre en œuvre avec ambition et détermination.
» A pa jiwèt ka touné, sé van «
Traduction littérale : Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent.
Moralité : Il faut savoir s’adapter et si l’on veut mener à bien des objectifs, il faut savoir se fixer une ligne de conduite pro active dès le moment présent.
*Economiste