PAR JEAN-MARIE NOL*
En 2025, la Guadeloupe se prépare à affronter une année marquée par une stagnation économique persistante, conséquence directe de la panne de croissance et de la contraction des investissements amorcées dès 2023.
Cette situation reflète les tensions structurelles et conjoncturelles pesant sur le territoire, accentuées par une instabilité politique au niveau national et un environnement international incertain. Entre ralentissement de l’investissement privé, recul des investissements publics et inertie économique de la consommation, le territoire semble pris dans une spirale négative qui pourrait avoir des répercussions durables sur le développement des politiques publiques en 2025, le tout dans un climat anxiogène d’évolution institutionnelle dont les conséquences financières futures peinent à être évaluées à ce jour.
Depuis plusieurs années, l’investissement privé, moteur traditionnel de la croissance, avec la consommation, donne des signes d’essoufflement. Après une reprise vigoureuse en 2021 (+6,5 %) et 2022 (+7,1 %), les entreprises guadeloupéennes ont vu leur capacité à investir fortement réduite à partir de 2023, avec une hausse en valeur limitée à +0,6 %.
Ce ralentissement s’explique principalement par le resserrement des politiques monétaires visant à contenir l’inflation, qui a entraîné une augmentation des coûts du fret et du crédit. Cette hausse des taux d’intérêt a lourdement pesé sur les projets d’investissement des entreprises locales, déjà confrontées à une baisse de la demande pour les biens intermédiaires (-4,3 %) et les véhicules utilitaires (-6,2 %). Ces indicateurs traduisent une perte de dynamisme économique globale, aggravée par un climat d’affaires marqué par l’incertitude et la prudence.
Le secteur de la construction, pourtant essentiel à la relance économique, illustre également cette tendance défavorable. En 2023, le nombre de permis de construire accordés a chuté de 8 %, atteignant un niveau historiquement bas depuis 2017, tandis que les chantiers débutés ont reculé de 4 %.
Ces données témoignent de l’impact combiné de la hausse des coûts des matériaux, de l’augmentation des normes environnementales et d’un manque de confiance des investisseurs. A court terme, cette inertie risque d’aggraver les problèmes structurels du territoire, notamment le déficit de logements du fait de la fin du dispositif de défiscalisation Pinel, de grands travaux, donc un frein important à l’attractivité de la région.
L’investissement public, qui pourrait compenser le ralentissement privé, s’est également contracté de manière significative. En 2023, selon l’INSEE les dépenses publiques dans les projets structurants ont diminué de 11,1 %, conséquence des contraintes budgétaires croissantes imposées aux collectivités locales.
Malgré l’annonce de projets d’envergure, comme la construction de l’Agropark ou de l’Audacia Technopole Caraïbes, la modernisation sismique des bâtiments publics, leur mise en œuvre reste limitée par des délais prolongés et des budgets insuffisants. En 2024, cette tendance s’est confirmée, laissant peu de place à l’espoir d’un retournement en 2025.Les dirigeants d’entreprise évoluent dans un contexte extrêmement challengé et assez imprévisible.
En 2020, ils ont fait face à la crise sanitaire et ils connaissent depuis fin 2021 une succession d’impacts sur leur activité. Il y a d’abord eu la hausse des coûts de transport, les difficultés d’approvisionnement, et depuis 2022 les impacts multiformes engendrés par le conflit en Ukraine. C’est une multiplicité de chocs qui se traduit globalement par une hausse, a priori durable, du coût des matières premières, de l’énergie, du transport et de la masse salariale.
Selon les secteurs d’activité, l’impact peut se traduire avec une pression sur les marges et donc sur la rentabilité. D’autres facteurs peuvent également peser sur la trésorerie via l’augmentation du besoin en fonds de roulement. En effet, de nombreuses entreprises ont « sur-stocké » par crainte de ruptures d’approvisionnement. Cette hausse des stocks pèse sur leur trésorerie. Ajoutons que beaucoup de fournisseurs de produits importés ont demandé à être payés comptant pour effectuer la livraison, là où nos entreprises bénéficiaient de délais de paiement allant parfois jusqu’à 3 mois.
A contrario, ces mêmes entreprises peuvent connaître un allongement des délais de règlement de leurs ventes. Tous ces facteurs jouent sur les besoins en fonds de roulement et donc sur la trésorerie des entreprises. Autre sujet à gérer : la forte volatilité de la parité euro et dollar pour les entreprises importatrices/exportatrices. En 2022, l’euro a varié entre 1,15 et 0,95 par rapport au dollar. Finalement, tous ces paramètres influent sur la rentabilité, les cash-flows et donc la capacité de remboursement des crédits des entreprises notamment les PGE ( prêt garantie par l’État).
Les conséquences de cette panne de croissance et de cette contraction des investissements pourraient être profondes et durables. Tout d’abord, le marché de l’emploi risque d’être fortement impacté. Le ralentissement du secteur de la construction, combiné à la frilosité des entreprises privées, pourrait entraîner une hausse du chômage, notamment chez les jeunes et les travailleurs peu qualifiés. Par ailleurs, la baisse de l’investissement public pourrait limiter les opportunités d’emploi dans les secteurs liés aux infrastructures, à l’éducation et à la santé, augmentant ainsi les inégalités sociales.
Ensuite, la compétitivité économique de la Guadeloupe pourrait s’en trouver affaiblie. Le recul des investissements dans les biens intermédiaires et les véhicules utilitaires, ainsi que la baisse des importations de biens d’équipement, réduisent la capacité des entreprises locales à moderniser leurs outils de production et à répondre aux exigences d’un marché globalisé. À long terme, ce manque d’investissement pourrait compromettre la diversification économique du territoire, essentiel pour réduire sa dépendance aux subventions publiques et aux importations.
Enfin, les effets sociaux et environnementaux de cette stagnation économique ne doivent pas être sous-estimés. Une contraction prolongée des investissements risque de retarder les initiatives visant à répondre aux défis environnementaux, notamment en matière de transition énergétique et d’adaptation aux changements climatiques. Ces retards pourraient non seulement aggraver la vulnérabilité du territoire aux catastrophes naturelles, mais aussi limiter son attractivité auprès des investisseurs et des résidents.
Dans ce contexte, la Guadeloupe se trouve à un carrefour crucial. Pour inverser la tendance, les décideurs politiques et économiques devront mettre en œuvre des mesures ambitieuses. Cela inclut la création de nouveaux mécanismes de financement innovants pour soutenir les entreprises, la simplification des démarches administratives pour encourager l’investissement privé et l’allocation prioritaire de fonds publics vers des projets à fort impact économique et social. De plus, une stratégie de développement à long terme devra être élaborée à partir d’une zone franche globale pour diversifier l’économie, renforcer la résilience aux chocs externes et favoriser une croissance inclusive et durable.
Cependant, ces efforts ne porteront leurs fruits que si un climat de confiance est rétabli entre les acteurs économiques, les institutions publiques et les citoyens. A défaut, la Guadeloupe risque de s’enliser dans une stagflation prolongée, compromettant non seulement sa reprise économique, mais aussi son avenir en tant que territoire attractif et résilient face aux défis du XXIe siècle.
Par ailleurs, la situation économique et financière de la Guadeloupe, comparée à celle du contexte international, met en lumière des tendances divergentes entre les économies avancées, les économies émergentes et ce territoire ultramarin. À l’échelle mondiale, les économies développées, en particulier les États-Unis, affichent une résilience remarquable, tandis que les économies émergentes et en développement peinent à maintenir leur dynamisme. La Guadeloupe, pour sa part, fait face à des défis spécifiques liés à la contraction de l’investissement et à une dynamique économique en berne.
Depuis le début du siècle, les économies émergentes des BRICS ont vu leur part dans le PIB mondial augmenter de manière significative, passant de 25 % en 2000 à 45 % aujourd’hui, grâce à des acteurs majeurs comme la Chine, l’Inde et le Brésil. Cependant, ce dynamisme, principalement soutenu par l’intégration dans le commerce international, s’essouffle sous l’effet de multiples contraintes : dette publique élevée, vieillissement démographique, impacts croissants du changement climatique et tensions commerciales entre grandes puissances.
A l’inverse, les États-Unis accentuent leur domination économique. En 2023, ils ont attiré près de la moitié des flux financiers mondiaux, atteignant 41 % de ces mouvements, un record historique. Avec une croissance de 2,9 % en 2023 et de 2,8 % en 2024, l’économie américaine se distingue par une forte attractivité et une capacité certaine à capter les investissements internationaux.
Au niveau international, la zone euro partage certains des défis rencontrés par la Guadeloupe, avec une croissance anémique de 0,7 % en 2024 et une reprise modérée attendue en 2025-2026 (+1,1 %). Les raisons sont similaires : faible consommation, investissement limité et une industrie confrontée à des coûts énergétiques élevés. Cependant, les écarts restent marqués avec les États-Unis, où l’économie continue d’attirer les capitaux étrangers et de renforcer sa position dominante.
En somme, en 2025 la Guadeloupe s’inscrit dans une dynamique de ralentissement économique qui reflète certaines tendances observées dans les économies en développement, mais dans un contexte aggravé par des particularités locales : faible capacité d’investissement public, dépendance aux importations et frilosité du secteur privé.
A l’international, les disparités se creusent, avec des États-Unis en pleine ascension économique, une Europe en quête de relance et des économies émergentes confrontées à des défis structurels majeurs. Pour la Guadeloupe, l’urgence est à la relance de l’investissement et à la restauration de la confiance des acteurs économiques, faute de quoi le territoire risque de s’enliser dans une stagnation prolongée. En 2024, la stagnation de l’investissement privé et le recul de l’investissement public ont confirmé une dynamique économique fragilisée, qui devrait se poursuivre en 2025.
*Economiste