Opinion. La Guadeloupe bientôt sous le feu de la menace stagflation ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Un vent mauvais de stagflation souffle sur la Guadeloupe, et les perspectives économiques pour l’archipel sont des plus sombres pour la fin de l’année 2024. 

La stagflation, qui est une situation économique où une forte inflation coexiste avec une croissance économique stagnante, semble aujourd’hui s’imposer, et ses conséquences risquent d’être douloureuses pour l’ensemble de la société guadeloupéenne à savoir jeunes, ménages et entreprises. 

Pour comprendre l’ampleur du phénomène et ses répercussions, il est essentiel de revenir sur les événements économiques des dernières années et d’examiner les défis spécifiques auxquels fait face la Guadeloupe en 2024. La stagflation est une situation paradoxale et préoccupante. En théorie, elle ne devrait pas exister, puisque l’inflation est généralement associée à une économie en surchauffe, où la demande dépasse l’offre, tandis que la récession, elle, résulte d’une baisse de la demande globale.

Pourtant, la réalité économique actuelle dément cette logique. La Guadeloupe, à l’instar de nombreuses autres régions du monde, est prise dans un tourbillon économique qui allie une inflation persistante et une croissance atone, sinon négative. Cette situation trouve ses racines dans les politiques monétaires et budgétaires menées en réponse à la crise sanitaire de 2020-2021, au cours de laquelle les gouvernements ont injecté massivement de la monnaie dans l’économie pour soutenir la consommation et préserver l’emploi.

Ce choix, bien que nécessaire pour éviter un effondrement économique immédiat, a eu des effets pervers à plus long terme.L’inflation, déjà amorcée par les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales durant la pandémie, a été exacerbée par cette injection de liquidités. A cela s’est ajoutée l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, qui a provoqué une envolée des prix de l’énergie et des matières premières.

En Guadeloupe, où l’on connait déjà la vie chère, les consommateurs ressentent douloureusement cette inflation, qui s’installe à des niveaux inconnus depuis la fin du XXe siècle. Alors que l’inflation dépasse largement le seuil critique de 2% par an dans les pays de l’OCDE et notamment en France hexagonale, les banques centrales n’ont eu d’autre choix que d’augmenter leurs taux d’intérêts directeurs pour tenter de la maîtriser.

Mais, cette politique restrictive a pour effet de freiner la consommation et l’investissement, aggravant ainsi le ralentissement économique. La Guadeloupe se trouve donc piégée dans un cercle vicieux où l’inflation est alimentée par la politique économique de la France hexagonale, mais où les remèdes appliqués pour la contrer ne font que renforcer la récession.

Nous sommes bien en présence d’une inflation importée. On dit qu’il y a inflation importée lorsque l’on veut souligner que les hausses de coûts résultent de l’augmentation des prix des biens importés, qu’il s’agisse de matières premières, de biens semi-finis ou de produits finis. Les conséquences de cette stagflation sont déjà visibles dans l’archipel guadeloupéen.

Le climat des affaires se dégrade, les entreprises peinent à maintenir leurs marges déjà abusives face à l’augmentation des coûts de production, et les défaillances se multiplient. En 2023-2024, la Guadeloupe a enregistré 311 défaillances d’entreprises, soit une augmentation de 21,7% par rapport à l’année précédente. Cette tendance est alarmante lorsque l’on compare ces chiffres à ceux d’avant la crise sanitaire : la moyenne annuelle des défaillances était alors de 255 entreprises.

La situation est d’autant plus préoccupante que le nombre de dossiers de surendettement déposés a également augmenté de 14% entre janvier et mai 2024 par rapport à la même période de l’année précédente, un signe évident des difficultés financières croissantes des ménages guadeloupéens.

Cette crise économique globale a des répercussions directes sur le tissu social de l’archipel. La consommation des ménages fléchit, accentuée par une inflation qui rogne le pouvoir d’achat. Les citoyens, confrontés à des hausses de prix qui ne semblent pas vouloir s’estomper, réduisent leurs dépenses, ce qui contribue à affaiblir encore davantage l’économie locale. Le marché immobilier est en chute libre. Les chefs d’entreprise, eux, signalent une nouvelle détérioration de leurs charges d’exploitation, rendant plus difficile la rentabilisation de leurs investissements.

L’activité économique est en recul par rapport à 2023, avec pour conséquence une diminution des offres d’emploi de 11% en juillet 2024. Le secteur du tourisme, qui constitue l’un des piliers de l’économie guadeloupéenne, est également en mauvaise posture avec les prix exorbitants des billets d’avion et les coupures d’eau qui affectent la clientèle. 

La rentrée de septembre s’annonce particulièrement difficile, avec des prévisions pessimistes pour le secteur du BTP et de la filière canne à sucre et banane, autres secteurs clés de l’archipel, et des pertes financières significatives pour l’usine Gardel.

Face à cette situation, l’épargne des ménages, habituellement perçue comme un refuge en période d’incertitude, est elle aussi menacée. La remontée des taux d’intérêt, censée encourager l’épargne en offrant des rendements plus attractifs, ne suffit pas à compenser l’effet dévastateur de la stagflation sur les revenus des ménages.

Avec un marché de l’emploi déprimé et des salaires qui stagnent, voire reculent, il devient de plus en plus difficile pour les Guadeloupéens de mettre de l’argent de côté. Par ailleurs, la raréfaction des matières premières et l’augmentation des coûts de l’énergie pèsent lourdement sur les budgets, réduisant d’autant la capacité d’épargne.

L’archipel guadeloupéen évolue donc dans un paysage économique complexe et inquiétant, marqué par une inflation persistante, une croissance économique stagnante, et des tensions géopolitiques mondiales qui exacerbent ces défis. Si aucune réponse adéquate n’est trouvée pour sortir de cette spirale de stagflation, les conséquences pourraient être dramatiques, tant pour les entreprises que pour les particuliers.

L’augmentation du chômage, la baisse du pouvoir d’achat, et la fragilisation du tissu économique sont autant de menaces qui pourraient plonger la Guadeloupe dans une crise durable. Les leçons des chocs économiques passés doivent servir d’avertissement notamment la crise sociale de 2009 ainsi que la crise COVID : sans intervention efficace, et la construction sans plus attendre d’un nouveau modèle économique, les années à venir risquent de se révéler, avec en sus l’instabilité politique et institutionnelle en France hexagonale et la crise financière de la dette à venir, particulièrement douloureuses pour la classe populaire et surtout moyenne de la Guadeloupe.

 » Solèy kouché, malè pa ka kouché » 

Traduction littérale : Le soleil se couche, le malheur ne se couche pas.

Moralité:  le malheur n’a pas de limite dans le temps.

*Economiste

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