PAR JEAN-MARIE NOL
La Guadeloupe et la Martinique se trouvent confrontées, depuis quelques années, à une quête mémorielle et identitaire qui pourrait introduire une fracture sociétale aux conséquences dommageables pour l’heure insoupçonnées.
Loin d’être anodine, cette dynamique identitaire s’ancre dans un contexte mondial de mutation sociologique et de bouleversements géopolitiques et stratégiques où toutes les communautés cherchent à renouer avec leurs racines ancestrales et à revendiquer leur place dans une histoire douloureuse parfois négligée.
Cependant, dans des sociétés présentement fragilisées sur le vivre ensemble, et déjà marquées par une pluralité de cultures et une histoire antagoniste commune complexe, cette résurgence de revendications identitaires risque de créer des tensions qui viendraient fragiliser davantage le lien social, pourtant déjà fragile, en Guadeloupe et en Martinique.
Récemment, deux événements illustrent cette tendance à la revalorisation identitaire au sein de communautés spécifiques dans les Antilles françaises. L’ambassadeur d’Inde en France, son Excellence Jawed Ashraf, a été reçu en grande pompe par les autorités territoriales de Martinique et de Guadeloupe. Cette visite diplomatique, axée sur les relations entre l’Inde et les Antilles françaises, a mis en lumière l’influence culturelle indienne dans ces îles, avec un accent particulier sur les Indo-descendants, descendants des travailleurs sous contrat amenés en masse après l’abolition de l’esclavage.
L’ambassadeur a évoqué des initiatives visant à renforcer ce lien identitaire, notamment à travers le « Neo India Program », qui permettrait aux étudiants guadeloupéens de poursuivre leur cursus universitaire en Inde, ou encore le financement d’un Centre culturel indien à Petit-Canal. Ce dernier favoriserait la formation des jeunes Indo-guadeloupéens aux traditions culturelles de leurs ancêtres, telles que les danses indiennes et le yoga, afin qu’ils puissent les diffuser localement.
Plus intrigante encore est la proposition d’instaurer une sorte de carte d’identité pour les personnes originaires de l’Inde en Guadeloupe et en Martinique, renforçant ainsi leur appartenance à la diaspora indienne internationale. Le discours de l’ambassadeur s’est également attaché à rappeler que la culture indienne de Guadeloupe constitue un « pilier au sein de l’Union européenne ». Cette affirmation, bien que flatteuse pour la communauté concernée, soulève néanmoins des questions sur la cohésion identitaire de l’ensemble des habitants de l’archipel, dont l’identité culturelle, déjà plurielle, pourrait être perçue comme divisée en sous-groupes ethniques.
L’initiative de l’ambassade de l’Inde, en proposant un accès à la carte OCI (Overseas Citizen of India) pour les Indo-descendants guadeloupéens et martiniquais, va dans le même sens. Cette carte offre des avantages tels que la résidence permanente en Inde, l’accès à la propriété foncière ou la possibilité de travailler sans visa dans le pays ancestral. Autant de mesures qui, bien que louables dans leur volonté de renforcer les liens diasporiques, risquent de créer une distanciation identitaire au sein de la société antillaise.
Parallèlement, du côté des Afro-descendants, une dynamique similaire se développe. Le Bénin, sous l’impulsion de son président Patrice Talon, a récemment fait voter une loi visant à accorder la nationalité béninoise à toute personne ayant un ancêtre déporté lors de la traite négrière. Cette mesure, bien que symboliquement forte, pourrait exacerber les divisions internes en Martinique et en Guadeloupe, où les populations, pour la plupart issues de la traite négrière, se battent depuis des décennies pour une reconnaissance de leur histoire commune et une réconciliation mémorielle à travers la recherche d’une identité nationale guadeloupéenne ou martiniquaise.
Le désir, pour certains Afro-descendants, de renouer avec la terre de leurs ancêtres, et éventuellement d’acquérir la citoyenneté béninoise, peut s’inscrire dans une logique de réparation historique, mais il soulève aussi des questions sur l’unité nationale et le sentiment d’appartenance à une identité antillaise commune. Cette situation pose donc un problème identitaire de plus en plus visible dans des sociétés où la cohésion sociale repose sur un équilibre très fragile.
La Guadeloupe et la Martinique, en tant que sociétés postcoloniales, sont déjà traversées par des tensions ethniques, sociales et économiques héritées de leur passé. La question mémorielle, si elle est légitime dans sa volonté de reconnaissance des traumatismes passés, peut se transformer en arme à double tranchant lorsqu’elle conduit à une fragmentation des identités.
À l’heure où les Antilles françaises cherchent à affirmer une identité propre, ni tout à fait française ni totalement détachée de la France hexagonale, l’accentuation des appartenances ethniques pourrait renforcer les clivages au détriment d’un projet commun de faire peuple.
La résurgence des appartenances ethniques et des liens diasporiques, qu’ils soient blancs créoles, indiens, africains, syro-libanais, caribéens semble indiquer une évolution vers un dangereux morcellement identitaire qui pourrait dégénérer en conflits ouverts interéthniques avec l’accélération de la crise économique et financière à venir.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la Guadeloupe et la Martinique sont des sociétés très jeunes, dont l’identité collective est encore en construction. Ces pays ont toujours été le théâtre d’une coexistence complexe entre différentes communautés, issues d’horizons variés, mais dont le destin s’est noué autour d’un territoire commun. La mise en avant des origines, qu’elles soient blancs créoles, africaines, indiennes ou syro-libanaise, risque de créer des points de rupture dans ce fragile tissu social.
En définitive, cette quête identitaire, bien que légitime dans son fondement, représente une pente glissante pour la cohésion sociale en Guadeloupe et en Martinique. À force de vouloir renouer avec des racines lointaines, certains risquent de se couper de la réalité présente et de se désolidariser du projet d’unité nationale commun que représentent ces îles. Ce morcellement identitaire pourrait à terme fragiliser l’unité nationale embryonnaire et renforcer les divisions internes, rendant encore plus complexe la coexistence des différentes composantes de ces sociétés insulaires. Qu’en sera -t- il vraiment quand les Blancs créoles et békés et métropolitains etc. entreront à leur tour dans ce jeu de quête identitaire, fruit futur d’un morcellement délétère et destructeur de la cohésion sociale de la Guadeloupe et de la Martinique ?
Pourrait-on les empêcher de rechercher leurs racines vikings, irlandaises, normande et bretonne voire plus récemment parisienne et les interdire encore de commémoration comme cela s’est produit à la pointe Allègre sur la commune de Sainte-Rose et aussi en Martinique avec la destruction de certains symboles et des statues ?
L’enjeu de demain, avec la mutation technologique de la société et les dommages prévisibles collatéraux sur le tissu économique et social des Antilles, sera pour les autorités locales, le risque d’aller dans le mur et de se retrouver dans l’impossibilité de trouver un équilibre entre reconnaissance des identités particulières et préservation d’une identité collective créole qui avait pourtant fait jusqu’ici la richesse et la complexité des Antilles françaises. Cette affaire de quête identitaire est pain béni pour les autorités politiques françaises qui profiteraient dans un futur proche de crise de l’effet de souffle de cette bombe identitaire à fragmentation pour se dédouaner du passé colonial.
Nous jouons une fois de plus avec le feu !
« An sel mouton ka gaté tout’ an twoupo »
Traduction littérale : Un seul mouton donne la gale à tout un troupeau.
Moralité : Un seul élément de dissension peut pourrir tout un peuple.
*ECONOMISTE