Opinion. L’ Afrique va être la première région planétaire à souffrir de la nouvelle donne géopolitique mondiale

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’Afrique se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, confrontée à une accumulation de défis économiques, climatiques et géopolitiques qui menacent son développement et sa stabilité.

Alors que le monde entre dans une nouvelle ère de tensions et de repli stratégique, le continent africain est en première ligne des conséquences d’un bouleversement dont il ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants. La pauvreté en Afrique est un problème complexe et de grande ampleur qui touche des millions de personnes chaque jour. L’instabilité politique, la répartition inégale des ressources naturelles et gouvernementales et le changement climatique contribuent tous à ce problème multidimensionnel.

Malgré les efforts déployés, l’Afrique demeure le continent qui accuse le plus grand retard, tant sur le plan scientifique et technique qu’en matière de progrès social. De 50 à 75 % de sa population vit dans la pauvreté absolue.L’urgence climatique, la faiblesse de son tissu économique et les mutations profondes des rapports de force internationaux risquent d’accentuer encore davantage la pauvreté , les inégalités et les vulnérabilités qui marquent déjà son quotidien.

Le changement climatique impose un fardeau considérable aux nations africaines, qui perdent entre 2 et 5 % de leur PIB et consacrent parfois jusqu’à 9 % de leur budget à la lutte contre ses effets dévastateurs. Sécheresses, inondations, déforestation et dégradation des sols fragilisent l’agriculture, principale source de subsistance pour des millions de personnes. En Afrique subsaharienne, les coûts d’adaptation pourraient atteindre 30 à 50 milliards de dollars par an au cours de la prochaine décennie, soit 2 à 3 % du PIB de la région.

Cette réalité économique est d’autant plus préoccupante que l’Afrique peine à diversifier ses sources de revenus. Son économie, largement rentière, repose encore majoritairement sur l’exportation de matières premières et souffre d’un manque criant d’infrastructures, de services et d’industries compétitives. La faiblesse du transport, les coûts prohibitifs de l’électricité et le faible pouvoir d’achat des populations freinent le développement de l’activité économique et limitent les perspectives de croissance.

Dans ce contexte, la démographie africaine ajoute un défi supplémentaire. La population mondiale atteindra 9,8 milliards d’habitants en 2050 et se concentrera principalement dans les villes, posant d’énormes défis en matière de logement, d’alimentation, d’accès à l’eau et de gestion des déchets. Selon l’ONU, l’Afrique comptera à elle seule près de 2,5 milliards d’habitants, représentant plus de 25 % de la population mondiale.

Cette explosion démographique, si elle n’est pas accompagnée d’un développement économique soutenu et d’une gouvernance efficace, risque d’exacerber la pauvreté et l’instabilité sociale. L’inertie actuelle face à ces mutations pourrait rendre la situation irréversible, avec des tensions accrues sur les ressources naturelles et un affaiblissement politique des États déjà fragiles.L’histoire de la colonisation, qui de tout temps a été associée à des épisodes de guerres de conquête, est étroitement liée à l’appropriation des ressources et à l’exploitation des richesses naturelles, souvent en réponse aux besoins des puissances dominantes à des moments clés de leur développement économique ou technologique.

Ce même schéma pourrait se reproduire à l’avenir pour plusieurs raisons tenant notamment à la nouvelle géostratégie mondiale. Plus de doute dans mon esprit que l’Afrique, l’Amérique du Sud, une partie du sud-est asiatique et surtout la région Caraïbe vont faire l’objet d’une nouvelle période de colonisation aussi brutale que dans le passé. La question d’une potentielle troisième vague de colonisation au XXIe siècle va ainsi émerger comme un enjeu crucial, à la croisée des avancées technologiques majeures et des ambitions géopolitiques renouvelées.

L’avènement de la quatrième révolution industrielle, marquée par la montée en puissance de la robotisation du numérique, et de l’intelligence artificielle, s’inscrit dans une dynamique où la maîtrise des ressources naturelles, notamment celles de l’espace et des grands fonds marins, devient un objectif stratégique de premier ordre pour les principales puissances économiques et militaires du monde moderne.

Cette ruée vers l’espace et les océans, alliée à des politiques protectionnistes comme celles incarnées par Donald Trump aux États-Unis, redéfinit les rapports de force internationaux et pose des questions profondes sur l’équilibre économique, environnemental et géopolitique mondial. Ainsi dans ce nouveau contexte, nul doute que la course au contrôle des ressources naturelles critiques est d’ores et déjà lancée entre les grandes puissances avec comme point d’orgue une nouvelle politique de recolonisation.

Parallèlement à ces enjeux internes, l’Afrique doit faire face à un profond bouleversement des équilibres géopolitiques qui menace de la marginaliser encore davantage sur la scène internationale. La suspension pour trois mois de l’aide extérieure américaine annoncée par Donald Trump, combinée à la réduction drastique de l’aide internationale de plusieurs pays occidentaux, met en péril des centaines de milliers de bénéficiaires de programmes humanitaires et de développement. Ce désengagement progressif des bailleurs de fonds traditionnels illustre un tournant dans les priorités stratégiques des grandes puissances.

Loin d’être une simple réallocation budgétaire, il s’agit d’un basculement idéologique où la coopération et l’aide au développement cèdent la place à une logique de repli national et de protection des intérêts économiques directs.La nouvelle donne géostratégique mondiale a replacé la sécurité nationale et l’effort de défense au centre des préoccupations des États occidentaux. En réponse à ces défis, les gouvernements redirigent leurs ressources vers le renforcement de leurs capacités militaires et la protection de leurs frontières, au détriment des programmes de coopération. Le Royaume-Uni, par exemple, justifie la réduction de son aide internationale par la nécessité de réinvestir dans son arsenal de défense face à la menace russe. En France, les impératifs de réduction de la dette publique servent d’argument pour justifier les coupes budgétaires dans l’aide au développement. 

Pendant des décennies, l’aide internationale a servi d’instrument d’influence pour les États-Unis et l’Europe, leur permettant d’entretenir des alliances et d’exercer un soft power sur les pays bénéficiaires. L’USAID, l’agence de développement pour l’aide internationale américaine qui représentait à elle seule 42 % de l’aide humanitaire mondiale, symbolisait cette diplomatie par le développement. Or, aujourd’hui, ce modèle est remis en cause.

La réduction des financements américains, britanniques et français traduit une redéfinition des priorités où la défense et la compétitivité économique prennent le pas sur la solidarité internationale. Cette tendance est renforcée par les tensions globales : la guerre en Ukraine, la montée en puissance de la Chine et les conflits persistants au Moyen-Orient ont replacé la sécurité nationale au cœur des préoccupations des gouvernements occidentaux. En conséquence, les budgets alloués à l’aide au développement sont jugés secondaires face aux impératifs militaires et économiques.

Cette évolution a des répercussions majeures sur l’Afrique, qui se retrouve au centre d’une recomposition des rapports de force mondiaux. Loin d’être un simple bénéficiaire passif de l’aide occidentale, le continent est devenu un terrain de compétition entre puissances émergentes et traditionnelles.

La Russie, par l’intermédiaire du groupe Wagner, renforce sa présence militaire et sécuritaire dans plusieurs États africains, profitant du vide laissé par les Occidentaux. La Chine, quant à elle, poursuit son implantation méthodique à travers des investissements stratégiques et des prêts conditionnés à des contreparties économiques et diplomatiques. Contrairement aux modèles d’aide occidentaux fondés sur des pseudos principes d’universalité et d’apparente neutralité car sous conditions de l’accès aux ressources stratégiques minières à des prix léonins, l’approche chinoise privilégie une logique transactionnelle où chaque projet financé sert directement également ses intérêts géopolitiques.

Face à cette situation, l’Afrique se retrouve piégée entre plusieurs dynamiques contradictoires. D’un côté, la réduction de l’aide occidentale menace des millions de personnes qui dépendent des financements étrangers pour accéder aux services de base, à l’éducation et aux soins de santé. D’un autre côté, la montée en puissance de nouveaux acteurs comme la Russie et la Chine entraîne une dépendance accrue à des puissances dont les objectifs sont souvent dictés par des considérations stratégiques plutôt que par une volonté d’émancipation des populations locales. Le risque est donc de voir l’Afrique devenir un simple échiquier sur lequel se jouent les rivalités internationales, au détriment de son propre développement.

Cette transformation marque la fin d’une époque où l’aide internationale était perçue comme un pilier du développement et de la stabilité mondiale. Aujourd’hui, elle devient un enjeu secondaire dans un monde où les logiques de confrontation l’emportent sur la coopération. Cette évolution soulève une interrogation majeure : l’Afrique peut-elle surmonter ce désengagement progressif des puissances occidentales et la montée des égoïsmes nationaux ?

Si le modèle d’aide traditionnel disparaît, quelles alternatives s’offrent aux États africains pour assurer leur développement et leur résilience face aux crises à venir ? L’avenir du continent dépendra de sa capacité à renforcer son indépendance économique et financière à diversifier ses partenariats et à s’imposer comme un acteur incontournable des nouvelles dynamiques mondiales de l’accès aux marchés des matières premières stratégiques.

Dans un contexte où les règles du jeu géopolitique sont en pleine mutation, l’Afrique n’a d’autre choix que de prendre en main son propre destin pour ne pas devenir le grand perdant de la recomposition de l’ordre international.

*Economiste

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