PAR JEAN-MARIE NOL*
La Guadeloupe, comme nombre de territoires ultramarins, se trouve aujourd’hui à un tournant critique de son développement économique notamment à partir de l’agriculture du fait des effets dévastateurs du changement climatique.
Longtemps bercée par l’espoir d’une autosuffisance alimentaire fondée sur une agriculture locale dynamique, l’île doit désormais affronter une réalité implacable : toutes les filières agricoles se portent déjà mal et le changement climatique va bouleverser profondément les fondements de ce modèle.
Les cyclones de plus en plus fréquents et dévastateurs, les épisodes de pluies diluviennes ou, à l’inverse, de sécheresses prolongées, condamnent toute velléité de stabilité agricole.
La situation à Mayotte, récemment frappée par le cyclone Chido, est emblématique de ce phénomène. En quelques heures, l’archipel a vu disparaître jusqu’à 100 % de ses cultures. Les bananiers, maniocs, arbres fruitiers et champs de vanille ont été arrachés ou noyés, laissant derrière eux un paysage désolé où « tout est à refaire ». Ce constat accablant se répète à La Réunion, où le cyclone Garance a anéanti 80 % des cultures agricoles, plongeant la filière dans une crise sans précédent.
En Martinique, ce sont les pluies incessantes qui provoquent des inondations dévastatrices, ruinant des centaines d’hectares de productions agricoles et réduisant à néant les espoirs des exploitants pour l’année 2025. Les répercussions de ces catastrophes naturelles dépassent largement le cadre strictement agricole. L’ensemble des filières économiques locales se trouve fragilisé, confronté à la hausse des coûts de production et à une compétitivité affaiblie sur les marchés nationaux et internationaux.
En Guadeloupe, la perte annuelle de 800 à 1 000 hectares de surface agricole illustre cette dégradation continue du secteur. Les chefs d’exploitation, malgré leur résilience, ne peuvent plus envisager sereinement l’avenir. Le pessimisme s’installe, les nouveaux projets sont suspendus, et une hausse des prix alimentaires est déjà anticipée pour le deuxième trimestre 2025.
L’idée même de l’autosuffisance alimentaire, souvent présentée comme un objectif stratégique, apparaît désormais comme une illusion dangereuse. Dans ce contexte, il devient impératif de réviser profondément notre modèle économique. L’agriculture, jadis socle de l’économie locale, s’avère aujourd’hui obsolète et inadaptée aux nouvelles contraintes climatiques et économiques. Plus grave encore, elle ne répond plus aux exigences croissantes en matière de protection sociale et de redistribution des richesses.
La Guadeloupe doit se libérer de ce modèle dépassé et engager une transformation profonde de son économie. Cette transition passe nécessairement par une diversification économique ambitieuse. Au lieu de continuer à investir massivement des subventions dans une agriculture condamnée à l’instabilité, il convient de miser sur des secteurs d’avenir, moins dépendants des aléas climatiques.
L’agroalimentaire, par exemple, pourrait se développer à partir de produits importés de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud. Cette stratégie permettrait non seulement de sécuriser l’approvisionnement local mais aussi de créer de nouvelles chaînes de valeur ajoutée sur le territoire. L’avenir économique de la Guadeloupe repose également sur l’essor d’une petite industrie innovante, appuyée par les nouvelles technologies. La révolution numérique offre des opportunités considérables pour moderniser les entreprises locales, développer des services à haute valeur ajoutée et favoriser l’émergence de startups.
Dans ce domaine, les technologies de l’information et de la communication pourraient devenir un pilier essentiel de l’économie guadeloupéenne. Par ailleurs, face à l’urgence climatique, l’île doit impérativement renforcer son autonomie énergétique. Les énergies renouvelables, notamment la géothermie, représentent un atout majeur pour la Guadeloupe.
Exploiter cette ressource naturelle permettrait de réduire la dépendance énergétique vis-à-vis de l’extérieur, tout en créant des emplois locaux et en diminuant l’empreinte carbone du territoire. L’agriculture ne doit pas pour autant être totalement abandonnée. Toutefois, elle doit être repensée dans une optique de résilience climatique et de complémentarité avec d’autres secteurs économiques.
L’agriculture urbaine avec l’hydroponie, les jardins créoles, les cultures hors-sol dans des bâtiments en IPN et béton, ou encore l’agroforesterie pourraient contribuer à maintenir une certaine production locale tout en limitant les risques liés aux catastrophes naturelles. La mise en place de politiques publiques novatrices sera déterminante pour accompagner cette mutation économique. Les pouvoirs publics, en partenariat avec le secteur privé, doivent créer un environnement propice à l’innovation, à l’investissement et à la protection sociale.
Des dispositifs de formation et de reconversion professionnelle devront également être développés pour permettre aux travailleurs du secteur agricole dont beaucoup de Haïtiens de s’adapter aux nouveaux métiers manuels notamment dans le secteur du bâtiment . Cette transition ne sera pas sans défis. Elle nécessitera un effort collectif et une vision prospective stratégique à long terme.
Mais, elle représente également une formidable opportunité pour la Guadeloupe de construire un modèle de développement plus juste, plus durable et plus résilient face aux crises climatiques à venir. Plutôt que de poursuivre un rêve d’autonomie alimentaire désormais hors d’atteinte, l’île doit se tourner résolument vers l’avenir, en s’appuyant sur ses atouts géographiques, culturels et humains pour créer une économie nouvelle, adaptée aux réalités du XXIe siècle.
« Pwan digad é anni pwan douvan avan douvan pran’w ».
– traduction littérale : faisons attention et prenons les devants avant que les devants ne nous prennent.
– moralité : Il faut savoir anticiper et prendre les choses en main avant que d’être surpris et de subir.
*Economiste