Opinion. Fin de l’État providence versus autonomie politique ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Le GUSR (Guadeloupe Unie Solidaire et Responsable) a pris l’initiative d’organiser une conférence débat sur l’évolution statutaire.

Cette discussion met en lumière une problématique majeure : la confrontation entre la volonté d’autonomie des élus locaux des Antilles françaises et les réalités économiques, sociales et politiques d’un monde en mutation. Les Antilles françaises (Guadeloupe, Martinique) sont particulièrement vulnérables face à ces évolutions, car elles dépendent fortement des transferts publics et sociaux de la France hexagonale.

Dans ce contexte, les revendications d’un changement statutaire en Guadeloupe et en Martinique, visant à une autonomie accrue sous l’article 74 de la Constitution, suscitent un vif débat.

Si des élus locaux y voient une opportunité de prendre en main leur destin en envisageant le changement statutaire sous l’angle d’une étape vers l’indépendance, les expériences de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie et de Saint-Martin mettent en lumière les risques d’une telle transition d’autonomie , notamment en matière de finances publiques, de stabilité économique et de maintien des services essentiels. 

Rappelons que l’État-providence repose sur trois grands piliers : la protection sociale, les services publics et l’intervention économique. En Guadeloupe et en Martinique, ces mécanismes garantissent une certaine sécurité sociale, avec des allocations chômage, des retraites et des aides diverses qui bénéficient à une grande partie de la population.

Les services publics, tels que la santé et l’éducation, sont également largement financés par l’État. Enfin, l’intervention économique se manifeste par des subventions aux entreprises, des exonérations fiscales et des politiques de soutien à l’emploi, visant à pallier les fragilités structurelles de ces économies insulaires.

Cependant, l’État-providence fait face à des défis croissants. L’État-providence, pierre angulaire de la relation entre la France et ses territoires ultramarins, est aujourd’hui fragilisé par des pressions budgétaires croissantes du fait des déficits publics et de la crise de la dette. 

La question qui se pose est donc de savoir si un changement statutaire vers une autonomie accrue peut être une réponse viable aux défis économiques et sociaux des Antilles, ou s’il constitue au contraire un pari risqué, aux conséquences potentiellement désastreuses.

Cependant, ce modèle d’État providence est aujourd’hui remis en cause par une série de facteurs. L’endettement public atteint des niveaux critiques, obligeant l’État à restreindre ses engagements financiers. La mondialisation et l’évasion fiscale réduisent les recettes fiscales, tandis que le vieillissement de la population alourdit encore davantage la charge sur les finances publiques.

Les crises internationales, comme la guerre en Ukraine ou les tensions au Moyen-Orient, ont amplifié l’inflation et fait grimper le coût des matières premières, réduisant les marges de manœuvre budgétaires de l’État et des collectivités locales . Dans ce contexte, l’État-providence, qui assure aujourd’hui une stabilité relative aux Antilles, pourrait voir ses fondations s’affaiblir.

C’est dans ce contexte d’incertitude que les revendications pour une plus grande autonomie en Guadeloupe et en Martinique prennent de l’ampleur. Les élus locaux aspirent à un changement statutaire sous l’article 74 de la Constitution, qui conférerait à ces territoires une plus grande liberté de gestion. Cependant, si cette perspective est présentée comme une opportunité d’émancipation, elle soulève de nombreuses interrogations.

L’exemple de la Nouvelle-Calédonie est révélateur : bien qu’ayant obtenu une large autonomie, le territoire demeure dépendant des transferts financiers de l’État et traverse aujourd’hui une grave crise économique après les émeutes, pillages,et destructions massives d’entreprises. La reconstruction tarde et les assurances semblent aux abonnés absents. Après les émeutes sur l’archipel, plus de 3 300 sinistres ont été déclarés, pour un coût total d’un milliard d’euros.

La Nouvelle-Calédonie autonome est en cessation de paiement, incapable d’assumer ses propres charges, ce qui soulève une question cruciale : une autonomie politique sans autonomie financière est-elle réellement viable ?

Un autre exemple édifiant est celui de Saint-Martin. Après s’être détachée de la Guadeloupe pour devenir une collectivité autonome, l’île peine aujourd’hui à équilibrer ses finances et dépend toujours largement du soutien de l’État. Il faut rappeler que la reconstruction de Saint Martin après le passage du cyclone Irma a coûté 2 milliards d’euros à l’État français.

Causant la mort d’une quinzaine de personnes, le cyclone y avait endommagé à divers degrés 95 % du bâti, occasionnant 25 600 sinistres pour un coût total estimé à 1,9 milliard d’euros. Cette situation met en évidence un paradoxe : l’autonomie ne garantit pas l’autosuffisance, et au contraire, elle peut exacerber les difficultés économiques si les ressources financières locales ne sont pas suffisantes pour compenser la réduction des transferts publics.

L’économie guadeloupéenne repose en grande partie sur des dispositifs fiscaux spécifiques, comme l’octroi de mer, les taxes sur les carburants et les droits de mutation. Or, ces mécanismes sont aujourd’hui menacés. Avec la transition vers les véhicules électriques, les recettes issues des taxes sur l’essence vont inévitablement diminuer.

L’octroi de mer, quant à lui, est de plus en plus contesté au niveau européen et devrait faire prochainement l’objet d’une réforme et de fait pourrait être remis en cause. Ces évolutions pourraient entraîner une réduction drastique des ressources fiscales locales, mettant en péril les finances des collectivités.

Par ailleurs, la révolution technologique en cours, avec l’essor de l’intelligence artificielle et de la robotisation, pourrait bouleverser l’économie des Antilles. La Guadeloupe repose en grande partie sur le secteur des services, qui est particulièrement vulnérable à l’automatisation et à l’intelligence artificielle. De nombreux emplois, notamment dans l’administration et les services aux entreprises, pourraient disparaître à moyen terme, accentuant les inégalités et les tensions sociales.

Face à ces transformations, les élites locales devraient se concentrer sur l’adaptation de l’économie guadeloupéenne aux nouveaux défis, plutôt que de poursuivre une réforme institutionnelle incertaine.

Le changement climatique constitue un autre défi majeur. La Guadeloupe est particulièrement exposée aux catastrophes naturelles : ouragans, montée des eaux, dégradation des écosystèmes marins. La reconstruction après ces événements coûte extrêmement cher,( les dégâts du cyclone Garance à l’île de la réunion viennent d’être estimés à 250 millions d’euros (Le passage du cyclone Garance sur La Réunion a généré près de 250 millions d’euros de dégâts, dont 151,6 millions d’euros pour le seul secteur agricole, selon de premiers bilans dressés par les collectivités locales et les chambres consulaires).

Et puis c’est sans compter le cyclone Chido à Mayotte où la situation est encore pire, car le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, estime le coût des réparations à plus d’un milliard d’euros lors de son déplacement de deux jours à Mayotte, département le plus pauvre de France) et force est de souligner que sans l’aide de l’État, les collectivités locales auraient beaucoup de mal à faire face aux réparations des dégâts. Dans un contexte d’autonomie, qui financerait ces coûts de reconstruction ? L’absence d’un soutien financier national pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les îles et leur population .

Un autre facteur qui pourrait remettre en question les projets d’autonomie est l’évolution politique en France hexagonale. La dissolution de l’Assemblée nationale et la montée du Rassemblement national pourraient changer radicalement la donne. Un gouvernement plus conservateur ou nationaliste confrontés à la crise de la dette et du déséquilibre des finances publiques  pourrait réduire les dotations aux territoires ultramarins, compliquant davantage la situation économique locale. Dans un tel scénario, l’autonomie pourrait ne plus apparaître comme une option stratégique, mais plutôt comme une impasse dangereuse.

Face à ces réalités, il semble plus pertinent de se concentrer sur un développement économique endogène, plutôt que sur une réforme institutionnelle. La Guadeloupe et la Martinique doivent renforcer leurs capacités économiques internes avant d’envisager toute autonomie politique. Cela passe par plusieurs axes stratégiques : l’investissement massif dans l’éducation et la formation pour préparer les jeunes aux métiers d’avenir, le développement d’infrastructures résilientes face aux catastrophes climatiques, et la diversification économique pour réduire la dépendance aux importations et aux aides de l’État.

Plutôt que de rêver d’une autonomie politique qui risque de fragiliser davantage l’économie locale, les élus devraient se mobiliser pour construire un modèle économique plus résilient et durable. Il est essentiel d’encourager l’innovation, d’attirer des investissements dans les énergies renouvelables, de développer l’agriculture locale et de structurer des filières économiques porteuses.

Ces initiatives permettraient de renforcer l’autonomie économique des Antilles tout en maintenant un lien équilibré avec la France, garantissant ainsi un équilibre entre responsabilité locale et solidarité nationale.

L’autonomie, sans une base économique solide, risque de se transformer en un piège pour la Guadeloupe et la Martinique. L’exemple de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie et de Saint Martin qui peinent à assumer leur statut autonome, doit servir d’avertissement. L’enjeu pour les Antilles françaises est donc de bâtir une économie capable de répondre aux défis du XXIe siècle, plutôt que de s’engager dans une transition institutionnelle incertaine.

Dans un monde où l’État-providence est de plus en plus menacé, la priorité devrait être de consolider les acquis et d’adapter le modèle économique aux réalités contemporaines, plutôt que de courir après un mirage qui pourrait se révéler destructeur.

L’autonomie politique ne peut être envisagée sans une base économique solide. Les expériences récentes d’autres territoires ultramarins montrent que sans ressources propres suffisantes, un statut d’autonomie peut vite devenir un fardeau plutôt qu’un atout. L’enjeu pour la Guadeloupe et la Martinique est donc de définir un modèle qui leur permette de se développer de manière durable, en tenant compte des réalités économiques et sociales.

Dans un monde où l’État-providence est en crise, la recherche d’un nouvel équilibre entre autonomie économique et solidarité nationale sera déterminante pour l’avenir des Antilles françaises.

*Economiste 

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​

KARIB'Archives

Rechercher un article par mot clé dans nos archives à partir de 2020

DERNIERES INFOS

LE TOP KARIB'INFO