PAR JEAN-MARIE NOL*
Le monde est en perpétuelle transformation mais, ces dernières décennies, le rythme de ce changement s’est accéléré de manière fulgurante. Les crises économiques et géopolitiques se succèdent, les bouleversements sociétaux et économiques redéfinissent les équilibres mondiaux et les nouvelles technologies modifient en profondeur nos modes de vie et de travail.
Ce climat d’incertitude génère une anxiété palpable au sein des sociétés, et nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’avenir. Face à cette réalité mouvante, l’adaptation devient une nécessité. Il ne s’agit plus simplement de suivre le cours des événements, mais bien d’anticiper les transformations pour ne pas subir un monde en mutation rapide et imprévisible. Ceux qui refusent d’évoluer risquent l’obsolescence dans une époque où l’innovation est devenue la clé de la survie.
Le monde est en mutation accélérée. Les révolutions technologiques, les bouleversements géopolitiques et les transformations économiques redéfinissent les structures sociétales à un rythme effréné. L’émergence des BRICS, la montée en puissance de l’intelligence artificielle et la redéfinition des frontières économiques et politiques ne sont que quelques-uns des marqueurs de cette évolution globale. Dans ce tourbillon de changement, les sociétés qui savent s’adapter et anticiper sont celles qui prospèrent. Mais qu’en est-il des territoires insulaires comme la Guadeloupe et la Martinique ? Sont-elles en phase avec ces dynamiques ou accusent-elles un retard préoccupant ?
Les sociologues et économistes qui se sont penchés sur les causes de la destructuration actuelle de la société antillaise avec la montée de la violence et des nouvelles addictions aux Antilles s’accordent à dire que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, marquée par la transition d’un modèle agricole et industriel à un modèle axé sur la fonction publique et la consommation avec en prime l’émergence de la technologie et l’information. L’intelligence artificielle, la robotisation et la digitalisation vont reconfigurer profondément les structures économiques et sociales de la Guadeloupe et de la Martinique.
Ce phénomène n’est pas anodin : il bouleversera non seulement l’organisation du travail, mais aussi notre rapport à l’emploi, au temps et aux relations humaines. Les entreprises, autrefois structurées selon un modèle hiérarchique rigide, s’orientent désormais vers des logiques plus flexibles, favorisant le télétravail, l’automatisation et l’utilisation massive des données et algorithmes pour optimiser la productivité. Cette révolution pose de nombreuses questions : comment travaillerons-nous demain ? Quel sera le rôle de l’humain face à des machines de plus en plus performantes ? L’intelligence artificielle va-t-elle compléter ou remplacer les travailleurs ? Comment la société va pouvoir endiguer le mal développement, la violence et l’essor du narcotrafic ?
Ces interrogations sont au cœur des préoccupations des élus, mais malheureusement pas assez des réflexions des jeunes générations, qui pourtant doivent se préparer à un nouvel ordre social et à des carrières bien différentes de celles de leurs aînés.
Les chiffres illustrent cette métamorphose. L’économie mondiale est passée à une échelle inédite, où les transactions ne se comptent plus en millions mais en milliards, voire en milliers de milliards de dollars. Cette inflation financière s’accompagne d’une volatilité accrue des marchés et d’une interdépendance économique qui rend chaque crise mondiale plus impactante avec la question de la dette.
La montée en puissance des entreprises technologiques, dont certaines affichent des capitalisations boursières supérieures au PIB de plusieurs pays, témoigne de ce basculement vers une nouvelle réalité économique où la donnée et l’intelligence artificielle sont les nouveaux piliers de la croissance. Dans ce contexte, la génération Z souvent appelée les zoomers, regroupe les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, généralement entre 1997 et 2012 est sur la sellette.
Elle succède à la génération Y et précède la génération Alpha. Ces personnes devront composer avec un environnement où la rapidité d’adaptation et la maîtrise des outils numériques seront des compétences essentielles.
Les conséquences de ces mutations sont multiples. Sur le plan sociétal, les normes et valeurs identitaires évolueront à grande vitesse sous l’effet des réseaux sociaux et des nouvelles formes de communication. L’instantanéité de l’information a déjà bouleversé notre rapport au temps, rendant la patience et la réflexion plus rares dans un monde où tout doit être immédiat. Cette pression du temps court se répercute également sur l’économie, où l’on demande aux travailleurs une productivité toujours plus élevée, parfois au détriment de leur bien-être.
L’épuisement professionnel et la quête de sens deviennent des préoccupations majeures pour les jeunes actifs, qui rejettent de plus en plus le modèle du travail traditionnel pour explorer d’autres formes d’engagement moins stables, comme le freelancing ou l’entrepreneuriat. Les jeunes générations des Antilles, qui grandissent dans ce monde en perpétuelle réinvention, doivent faire face à des défis inédits. Elles évolueront dans un marché du travail où certaines professions disparaîtront tandis que d’autres, encore inconnues aujourd’hui, émergeront. Elles devront se former en continu pour rester compétitives dans un monde où les compétences se périment rapidement.
Elles devront également repenser leur rapport à la culture créole et à l’économie de marché, en intégrant la dimension écologique et la nécessité d’une croissance plus durable. Car au-delà des transformations technologiques et financières, c’est aussi une prise de conscience collective qui s’imposera sur la nécessité de changer le modèle économique actuel : celle de la nécessité de construire un avenir plus équilibré avec une transition vers un autre modèle de production locale, où la technologie ne soit pas une menace, mais un outil au service du développement.
Il suffit d’observer l’histoire récente pour comprendre que les Antilles françaises évoluent dans une temporalité qui leur est propre, souvent décalée par rapport aux grands mouvements mondiaux. Héritières d’un modèle économique largement dépendant des aides de l’État français et d’une structure socio-économique marquée par des inégalités persistantes, elles peinent à embrasser pleinement les nouvelles logiques de développement. À l’heure où l’économie mondiale se restructure autour du numérique et des nouvelles technologies, ces territoires semblent encore ancrés dans des modèles anciens, où le secteur tertiaire et l’administration occupent une place prépondérante.
Ce décalage n’est pas sans conséquence : il engendre des crises sociales récurrentes , donc forcément un risque de marginalisation dans un monde où la confiance dans l’innovation et l’agilité économique deviennent des critères déterminants de réussite.
L’une des grandes questions qui se pose aujourd’hui est celle de l’adaptation des entreprises guadeloupéennes et martiniquaises aux transformations du marché du travail. L’intelligence artificielle et l’automatisation redéfinissent les compétences requises dans tous les secteurs, de l’industrie aux services en passant par l’agriculture.
Pourtant, ces nouvelles dynamiques restent encore marginales dans les économies locales, où l’entrepreneuriat peine à se structurer face à des freins administratifs et un accès limité au financement bancaire . L’absence d’un véritable écosystème de l’innovation rend difficile l’émergence d’un tissu économique capable de rivaliser avec les grandes tendances mondiales. Dans cette perspective, les jeunes générations sont confrontées à un dilemme : s’affranchir d’un carcan identitaire, s’adapter localement à une économie qui évolue trop lentement ou partir de plus en plus nombreux chercher ailleurs les opportunités offertes par le monde en mutation.
Les défis ne sont pas uniquement économiques, ils sont aussi sociétaux. La transition numérique modifie profondément les modes de vie, les rapports sociaux et les formes d’éducation. L’enseignement supérieur dans les Antilles françaises peine à se hisser aux standards internationaux en matière de formation aux métiers d’avenir, notamment ceux liés à la tech et à l’intelligence artificielle.
L’accès à une éducation de pointe reste un enjeu majeur, car sans une montée en compétence des populations locales, l’écart avec le reste du monde ne fera que se creuser. Par ailleurs, la transition écologique avec le dérèglement climatique, qui est un enjeu central à l’échelle planétaire, est une question cruciale pour ces îles soumises aux risques climatiques et sismiques croissants. Si certaines initiatives émergent, elles restent encore trop timides face aux enjeux réels du principe de précaution .
Dans ce contexte, le risque est grand de voir la Guadeloupe et la Martinique se figer dans un modèle de dépendance, pendant que le reste du monde avance à grande vitesse. L’absence de stratégie proactive pour s’inscrire dans les transformations globales pourrait conduire ces territoires à un déclassement progressif, les reléguant à un rôle secondaire dans l’économie et l’innovation.
Pourtant, les atouts ne manquent pas : une population éduquée, une culture dynamique et un positionnement stratégique entre les Amériques et l’Europe. Reste à savoir si ces potentialités seront exploitées à leur juste mesure ou si elles seront sacrifiées sur l’autel de l’inertie et du conservatisme. i
Le monde change, et il ne demande pas l’avis des retardataires. Pour la Guadeloupe et la Martinique, le choix est clair : évoluer avec le monde en mouvement ou s’enfermer dans un immobilisme qui, à terme, coûtera cher. L’heure n’est plus à la contemplation, mais à l’action.La société aussi change, et elle le fait sans demander l’avis de ceux qui tentent encore de s’accrocher aux modèles idéologiques et historiques du passé.
La génération Z et la génération Alpha n’ont pas d’autre choix que de s’adapter à ce nouveau paradigme. Elles devront être plus mobiles, plus polyvalentes, plus résilientes. Elles devront apprendre à naviguer dans un univers mondial où la seule constante est le changement lui-même. L’enjeu n’est pas de subir cette transformation, mais d’en être les acteurs. L’heure est venue de repenser le futur, non pas comme une fatalité en convoquant un quelconque changement statutaire sans maîtrise de moyens financiers pour assumer de nouvelles compétences , mais comme un champ d’opportunités à saisir à l’aide de la réflexion prospective pour impulser une nouvelle dynamique de développement .
» Bèf dèyè ka bwè dlo sal « .
Traduction littérale : Le bœuf de derrière boit de l’eau sale.
Moralité : Les derniers arrivés ont les mauvais restes.
*Economiste