Opinion. Est-il encore possible pour un jeune de devenir propriétaire en Guadeloupe ?

La question de la vie chère en Guadeloupe cristallise aujourd’hui les tensions et focalise le débat public sur l’augmentation des prix de l’alimentation. Pourtant, cette préoccupation, bien que légitime, masque une réalité encore plus inquiétante : celle de l’accès à l’immobilier et à la construction, devenu un véritable parcours du combattant pour les Guadeloupéens, et plus particulièrement pour les jeunes générations. 

En Guadeloupe, pour deux tiers des jeunes de 21 à 35 ans, l’achat d’un logement relève presque de l’utopie. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle s’inscrit dans un contexte économique guadeloupéen déjà fragilisé. L’augmentation des charges, des impôts et des coûts de la vie pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages, et plus particulièrement sur celui des jeunes en début de carrière. Même avec un niveau d’éducation et un revenu élevé, la plupart des jeunes sont exclus de l’accès à la propriété faute de ressources suffisantes pour pouvoir acheter leur propre maison.

Et pourtant, l’accès à la propriété est un enjeu majeur pour les jeunes en Guadeloupe, une aspiration qui semble de plus en plus hors de portée. Entre la flambée des prix immobiliers, la stagnation des salaires et des conditions d’emprunt de plus en plus restrictives, les jeunes actifs peinent à concrétiser leur rêve d’achat.

Ce phénomène, loin d’être anodin, a des conséquences profondes sur la société guadeloupéenne à moyen et long terme, modifiant les dynamiques économiques, sociales et démographiques de l’archipel.

L’un des premiers effets visibles est le ralentissement de l’installation des jeunes dans des conditions stables et pérennes. Sans accès à la propriété, nombre d’entre eux restent plus longtemps chez leurs parents ou contraints de louer à des prix souvent élevés. Cette instabilité résidentielle retarde des projets de vie, comme la fondation d’une famille stable ou l’investissement dans le développement personnel et professionnel.

L’absence de patrimoine immobilier rend également les jeunes plus vulnérables économiquement. Sans actif tangible, ils sont plus exposés aux aléas du marché du travail et ont moins de leviers pour sécuriser leur avenir financier.

L’impossibilité pour une grande partie des jeunes d’acheter un bien immobilier accentue aussi les inégalités intergénérationnelles. Ceux qui bénéficient d’un soutien familial pour accéder à la propriété prennent une longueur d’avance sur les autres, creusant un fossé entre ceux qui héritent et ceux qui doivent se débrouiller seuls.

La transmission du patrimoine devient alors un facteur déterminant du maintien ou de l’aggravation des écarts de richesse en Guadeloupe. Les jeunes issus de milieux moins favorisés, déjà confrontés à des difficultés d’insertion professionnelle, se retrouvent ainsi pris dans un cercle vicieux où l’accès à la propriété demeure une illusion.

À plus grande échelle, cette situation pèse sur le dynamisme économique de la région. Moins de jeunes propriétaires signifie une baisse des investissements dans l’entretien et l’amélioration du parc immobilier local, ce qui peut contribuer à la dégradation du cadre de vie. Le secteur du bâtiment et de la construction, moteur traditionnel de l’économie guadeloupéenne, peut également en souffrir, avec une demande en berne et des projets qui peinent à voir le jour.

Cette situation pourrait freiner la création d’emplois dans un territoire où le chômage des jeunes est déjà un problème préoccupant.

L’exclusion des jeunes de l’accession à la propriété peut également accélérer le phénomène d’exode vers la métropole. Face aux difficultés à se loger dans leur île natale, certains choisissent de partir s’installer ailleurs, où les perspectives semblent plus accessibles. Cette fuite des jeunes actifs a un double impact : d’un côté, elle prive la Guadeloupe de forces vives indispensables à son développement, et de l’autre, elle renforce la dépendance économique vis-à-vis de la France hexagonale.

La perte de cette jeunesse, souvent qualifiée et dynamique, affaiblit la vitalité locale et accentue le vieillissement de la population.

À long terme, l’impossibilité d’accéder à la propriété peut fragiliser la cohésion sociale. La frustration grandissante chez les jeunes, face à une situation qu’ils jugent injuste, peut nourrir un sentiment d’exclusion et de déclassement. Ce ressentiment, s’il s’accentue, pourrait mener à une montée du mécontentement social, avec des revendications identitaires plus fortes en faveur d’un changement de politique en matière de foncier et de logement.

Et il faut bien comprendre que c’est déjà le cas notamment dans les sphères nationalistes. Si des mesures ne sont pas prises pour faciliter l’accession à la propriété, la Guadeloupe risque d’être confrontée à une crise du logement qui exacerberait encore davantage le sentiment de dépossession, les tensions sociales et les fractures générationnelles.

L’avenir des jeunes en Guadeloupe ne peut être dissocié de leur capacité à bâtir un projet de vie stable et pérenne sur leur propre territoire. Sans solutions adaptées pour répondre à leurs attentes, la société guadeloupéenne pourrait se retrouver confrontée à un déséquilibre profond dont les conséquences s’étendront bien au-delà du simple marché immobilier.

La difficulté croissante des jeunes à acheter un bien immobilier va favoriser la pauvreté dans les années à venir. C’est une évolution inquiétante , car nous devons être en mesure d’offrir des perspectives de devenir propriétaire à nos jeunes. Car, s’ils doivent sans cesse repousser l’achat de leur propre logement, ils risquent tôt ou tard d’y renoncer complètement.

Cela pourrait avoir un effet dramatique sur le taux de pauvreté dans notre pays. Il est prouvé que les personnes de plus de 65 ans qui ne sont pas propriétaires de leur logement courent un risque beaucoup plus grand de se retrouver en situation de précarité.

En dix ans, la part des jeunes de moins de 35 ans ayant souscrit un emprunt pour leur logement par l’intermède d’une banque  a chuté de 61 à 41%. . De plus en plus de jeunes doivent repousser l’achat de leur première habitation, à tel point que l’âge moyen des acheteurs immobiliers dans notre pays atteint 42 ans.Alors que le logement est un besoin fondamental, l’achat d’un bien immobilier ou la construction d’une maison est aujourd’hui quasi impossible pour une grande partie de la population, créant un sentiment de frustration et d’exclusion grandissant.

La flambée des prix des matériaux de construction et plus largement de  l’immobilier est au cœur de cette crise de la vie chère en Guadeloupe . 

En quelques années, les tarifs des maisons et des appartements ont connu une hausse continue, atteignant des niveaux bien supérieurs à ceux observés dans d’autres territoires ultramarins comme la Martinique , la Guyane ou La Réunion. Cette augmentation s’explique par plusieurs facteurs, dont une demande soutenue face à une offre limitée, l’attrait des investisseurs extérieurs pour le marché local et la spéculation immobilière surtout sur les terrains qui contribue à l’envolée des prix.

Résultat, les jeunes primo-accédants se retrouvent dans une impasse : les logements accessibles sont rares et souvent méritent des travaux de rénovation , tandis que les biens neufs ou en bon état affichent des prix hors de portée pour des ménages aux revenus modestes ou instables.

À cette hausse des prix s’ajoute une difficulté majeure : l’accès au crédit immobilier est devenu un obstacle presque insurmontable. Les banques, confrontées à un environnement économique incertain, ont durci leurs conditions d’octroi de prêts. Désormais, il est quasiment impossible d’obtenir un financement sans un apport personnel conséquent, ce qui pénalise en premier lieu les jeunes qui n’ont pas eu le temps de constituer une épargne suffisante.

De plus, les taux d’intérêt ont considérablement augmenté, réduisant la capacité d’emprunt des ménages et limitant encore davantage l’accès à la propriété. De nombreux dossiers sont ainsi refusés, et ceux qui parviennent à décrocher un prêt doivent s’endetter sur de longues années avec des mensualités qui pèsent lourdement sur leur budget.

Le secteur de la construction, qui pourrait constituer une alternative à l’achat dans l’ancien, est lui aussi frappé de plein fouet par la crise. Le coût des matériaux a explosé ces dernières années, sous l’effet de la conjoncture internationale ayant entraîné une spirale inflationniste et des difficultés d’approvisionnement. Le prix du ciment, du bois, de l’aluminium, du carrelage, des équipements électriques et de la main-d’œuvre a considérablement augmenté, rendant les projets de construction de plus en plus inaccessibles.

Pour un jeune souhaitant bâtir sa maison, le coût final du projet dépasse souvent largement les estimations initiales, forçant certains à abandonner en cours de route. 

À cela s’ajoute la complexité administrative et la rareté des terrains constructibles dans les zones les plus demandées , qui renchérissent encore davantage le prix du foncier et freinent le développement de nouveaux logements.

L’une des conséquences directes de cette situation est l’augmentation du nombre de jeunes contraints de rester chez leurs parents ou de se tourner vers la location, un marché lui aussi en tension. Face à la difficulté de devenir propriétaire, la demande locative explose, entraînant une hausse des loyers et une précarisation croissante des ménages. Ceux qui souhaitent accéder à un logement doivent souvent se contenter de HLM ou de biens immobilier mal situés, faute de moyens suffisants pour prétendre à mieux. Cette impossibilité d’accéder à la propriété alimente un sentiment d’injustice, renforçant les inégalités entre ceux qui héritent d’un patrimoine familial et peuvent acheter plus facilement, et ceux qui, sans aide extérieure, voient leur projet s’éloigner de jour en jour.

Alors que la question de la vie chère est souvent abordée sous l’angle des prix alimentaires, la véritable urgence se situe peut-être ailleurs. L’exclusion progressive des jeunes du marché immobilier et l’impossibilité croissante d’accéder à un logement sont des signaux inquiétants qui devraient mobiliser l’attention des décideurs. Mais pourquoi les jeunes sont désormais exclus de l’accession à la propriété en Guadeloupe ?

L’accession à la propriété en Guadeloupe est aujourd’hui un parcours semé d’embûches pour les jeunes, qui peinent à franchir les nombreux obstacles dressés sur leur chemin. Alors que les guadeloupéens à l’instar de la majorité des Français considèrent l’immobilier comme l’investissement le plus sûr, ce rêve semble de plus en plus hors de portée pour les moins de 35 ans, particulièrement sur un marché aussi tendu que celui de la Guadeloupe.

En cause, une hausse continue des prix, un accès au crédit de plus en plus difficile, une concurrence accrue avec les générations précédentes et des exigences toujours plus élevées en matière de performance énergétique des logements. Autant de facteurs qui contribuent à exclure une grande partie des jeunes de la propriété et à creuser les inégalités entre ceux qui bénéficient d’un soutien familial et les autres.

La flambée des prix de l’immobilier constitue le premier frein majeur à l’achat. En seulement quelques mois, les prix des biens en Guadeloupe ont bondi de 8 %, un chiffre qui dépasse largement la progression des salaires et réduit considérablement la capacité des jeunes à acquérir un logement.

Cette hausse s’explique par une offre insuffisante face à une demande qui reste forte, mais aussi par l’intérêt croissant des investisseurs extérieurs, notamment fonctionnaires et retraités, pour le marché local, ce qui contribue à faire grimper les prix au-delà de ce que les primo-accédants peuvent se permettre. Dans un contexte où 69 % des jeunes déclarent ne pas avoir les moyens de devenir propriétaires, cette inflation immobilière est un véritable verrou qui les empêche d’accéder à la propriété.

À cette hausse des prix s’ajoute un accès au crédit de plus en plus restreint. Depuis le 1ᵉʳ janvier, les conditions d’octroi des prêts immobiliers se sont durcies : les mensualités ne peuvent excéder 30% voire 35 % des revenus de l’emprunteur et la durée des crédits est plafonnée à 25 ans, sauf exception. Ces restrictions, combinées à une augmentation rapide des taux d’intérêt et à une baisse du taux d’usure, ont conduit les banques à refuser entre 10 et 15 % des dossiers de prêt, selon les professionnels du secteur.

Or, les jeunes sont particulièrement vulnérables face à ces nouvelles règles, car ils disposent généralement d’une épargne très limitée et d’un apport personnel insuffisant pour rassurer les banques. Nombre d’entre eux se retrouvent ainsi bloqués, incapables d’obtenir un financement malgré un emploi stable.

La situation est d’autant plus compliquée que les jeunes doivent désormais faire face à une concurrence accrue avec les générations précédentes. Sur le marché immobilier, ils se retrouvent en compétition avec des acheteurs plus âgés, qui disposent de revenus plus élevés, d’une meilleure capacité d’endettement et souvent d’un capital issu d’une précédente vente immobilière. Pour un même bien, les vendeurs privilégient ces profils plus rassurants, reléguant ainsi les jeunes acquéreurs au second plan.

Ce déséquilibre se reflète dans les chiffres : alors que moins d’un tiers des 18-25 ans est propriétaire, cette proportion grimpe à 78 % chez les 25-35 ans. Cette dynamique renforce la fracture entre ceux qui peuvent acheter tôt grâce à un soutien familial et ceux qui doivent attendre des années avant de réunir les conditions nécessaires à un achat.

Un autre critère vient encore compliquer l’équation : la nécessité de répondre aux nouvelles exigences en matière d’isolement thermique . Avec la montée des préoccupations écologiques concernant la thématique du réchauffement climatique de plus en plus d’acheteurs recherchent des logements écoresponsables et économes en énergie. Or, en Guadeloupe, une part importante du parc immobilier est constituée de logements anciens, souvent mal isolés et nécessitant des travaux de rénovation importants.

Près de 13 % des biens mis en vente sont considérés comme nécessitant des travaux de rénovation , ce qui représente un coût supplémentaire non négligeable pour les acquéreurs. Pour les jeunes, qui disposent déjà de budgets restreints, cette contrainte supplémentaire peut se révéler rédhibitoire. En conséquence l’accession à la propriété en Guadeloupe est devenue un rêve de plus en plus inaccessible pour les jeunes, relégués au rang de spectateurs impuissants face à un marché immobilier qui leur échappe.

Ce constat, partagé par de nombreux experts et acteurs du secteur, met en lumière une fracture grandissante entre les moins de 35 ans bénéficiant d’un soutien familial et ceux qui, faute d’aide, se retrouvent exclus du marché. En 2024, seuls 4 % des acquéreurs avaient moins de 30 ans, un chiffre qui illustre la sévérité de cette exclusion. Cette situation, qui s’est brutalement détériorée ces dernières années, résulte d’un enchevêtrement de facteurs économiques, financiers et structurels qui pèsent lourdement sur les jeunes primo-accédants.

Face à tous ces obstacles, la question se pose : est-il encore possible pour un jeune de devenir propriétaire en Guadeloupe ? Si certaines solutions existent, comme le recours à des aides familiales ou l’achat en couple pour partager les coûts, ces options ne sont pas accessibles à tous et ne suffisent pas à compenser les déséquilibres du marché.

La mise en place de nouvelles mesures de soutien, telles que des dispositifs d’aide à l’apport personnel ou des prêts à taux préférentiels voire à taux zéro pour les primo-accédants, pourrait permettre de rééquilibrer la situation et de redonner une chance aux jeunes de concrétiser leur projet immobilier. En l’absence d’une telle intervention, l’accès à la propriété risque de rester un privilège réservé à une élite et une minorité, creusant ainsi les inégalités et alimentant le sentiment d’exclusion d’une partie de la jeunesse guadeloupéenne.

De plus, sans intervention pour réguler les prix du foncie , favoriser l’accès au crédit et soutenir la construction, la Guadeloupe risque de voir émerger une génération sacrifiée, privée du droit fondamental à un logement digne et accessible.

*Economiste 

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