Opinion. Enseigner en Martinique : « Ne nous trompons pas de combat ! »

La tribune d’Yvon Joseph-Henri, professeur de Lettres, responsable syndical de la fédération FSU de Martinique.

Yvon Joseph-Henri.

Ce n’est un secret pour personne, le niveau en Martinique à l’école, en collège et lycée, n’est pas bon. Et nous en sommes les premiers responsables.

Tout d’abord, et sans doute par culture, nous faisons maintenant semblant de croire qu’il suffit d’avoir de l’entregent pour être professeur. Certes, il est vrai qu’aujourd’hui, faute de perspectives gratifiantes du métier d’enseignants, nous avons à faire face à une pénurie de candidats. Du coup, on repèche (comme pour le bac) à un niveau inférieur.

Et il semble bien que nous n’ayons plus d’intellectuel dans ce métier en Martinique. Pourtant, les Césaire, Zobel, Joseph-Henri, Orville, Delépine et tant d’autres démontrent que les intellectuels se sont tous formés dans un lycée Schoelcher prestigieux, qui ne ressemble en rien à l’établissement-croupion, plumé de ses élèves pour le coincer entre le triangle Gaillard, Bellevue et Dumas Jean-Joseph. C’était déjà un signe…

Elever l’élève pour qu’il dépasse le maître

La réussite d’un élève dépend avant tout de la relation entre celui-ci et son professeur. Dans le second degré, tout le travail du professeur consiste à élever l’élève pour faire en sorte que l’élève finisse par dépasser le professeur ; ou au moins qu’il ait le sens de l’effort à accomplir quelle que soit la matière, pour égaler le maître dont il admire le savoir et le savoir-faire.

Attirer l’élève par son savoir, le faire aimer sa matière pour qu’il soit curieux de la découvrir toujours plus avant, voilà le but essentiel de chacun de nous. Evidemment, si le professeur est nul…, il n’y a ni locomotive, ni wagon à accrocher ! Il m’arrive souvent de douter que mes collègues aient conscience qu’ils portent entre leurs mains l’avenir d’un enfant.

« L’élève brillant s’ennuie dans la médiocrité scolaire. »

Alors qu’il y a plus de 20 ans, des élèves brillants reçus à Normale Sup et à Polytechnique étaient simplement qualifiés de brillants, ils semblaient normaux dans la pyramide des niveaux des élèves. Aujourd’hui, parce que l’élève brillant s’ennuie dans la médiocrité scolaire, il se trouve en échec scolaire. Autrement dit, l’institution scolaire, pour baisser le niveau et faire croire que tout le monde réussit au baccalauréat pour mieux le supprimer, décapite les classes de ces intelligences destinées à porter l’avenir technique, technologique, scientifique et humaniste de notre monde de demain !

L’école n’apprend plus grand-chose et tout le monde semble s’en contenter. Pourtant d’où vient le savoir du professeur sinon de son travail sans relâche ? Et d’une connaissance profonde et intuitive et culturelle de l’enfant, de l’élève.

Une politique de régression

Enfermés dans une île où la parole unique semble de rigueur, où les croyances les plus stupéfiantes ont cours y compris chez nos élèves du supérieur, comment faire preuve d’une intelligence du monde ne serait-ce que dans 50 ans et de notre environnement culturel, scientifique et technologique, si nous restons enfermés dans l’idéologie d’un passé à jamais révolu et de luttes qui n’ont plus aucun intérêt sinon de grappiller quelque argent en nous victimisant ? On s’en souvient, cette société mortifère n’est que le résultat du travail de propagande politique de régression.

Seule l’école serait en mesure de briser la chaîne que nos politiques ont implantée dans nos cœurs et nos cerveaux. Est-elle pourtant en mesure de le faire ? Non. Nos résultats, malgré les coups de pouce données en douce au baccalauréat pour gonfler des notes à faire frémir, restent à 7 points en primaire en dessous de l’Hexagone…

« Pour apprendre des autres, il faut partir. »

Pour comprendre ce qui se joue, pour apprendre des autres, il faut partir. Et, en premier lieu, c’est au professeur à partir. On est tous partis, tant pour faire nos études, que pour enseigner. C’est un principe que la mobilité, surtout dans une île où finalement une fois en place, on ne bouge que si le poste se ferme. C’est une manière d’apprendre des autres pour apprendre aux siens.

Tous les collègues restent farouchement attachés à ce concours qui n’est pas – comme celui de professeur des écoles – lié à une région, à un département. Même ceux qui ne bougent pas veulent savoir qu’ils ne sont en rien prisonnier d’une île ou d’un département quel qu’il soit.

Quant à ceux qui, en toute connaissance de cause, passent un concours dont ils savent qu’il les conduira à s’expatrier, ce sont des hypocrites, des apprentis manipulateurs qui veulent transformer un concours national alors que s’ils veulent rester en Martinique, ils peuvent tranquillement présenter le concours de professeur des écoles, puis accéder par liste d’aptitude au statut de professeur certifié sans jamais quitter la Martinique.

« En revendiquant de rester, on bloque ceux qui attendent de rentrer. »

Il ne saurait être question de modifier des règles nationales pour une poignée de compères lapins. Et peut-on servir d’exemple à nos élèves avec une telle mentalité de tricheurs ?

N’oublions pas non plus que nous avons déjà, dans le second degré, 1000 points pour revenir (ou rester), Antillais, au pays, contrairement à tous les autres… mais on n’en dit rien ! Bouche cousue ! Et, en revendiquant de rester, on bloque tous ceux qui attendent l’ouverture d’un poste pour rentrer avec leurs points d’ancienneté en plus des 1000 points !

Lorsqu’un métropolitain entre au pays, c’est qu’il n’y a aucun Martiniquais concurrent et sans cela, des élèves resteraient sans professeur ! Et, tout compte fait, je préfère pour ma part qu’on fasse ses armes dans l’Hexagone et que rentrent des enseignants confirmés pour nos élèves !

« On conteste, mais on garde et on consomme ! »

Militez comme certains parlementaires ignorants du métier pour un maintien des reçus au concours de certifié, et vous verrez tous les enseignants martiniquais et autres antillais se lever comme un seul homme !

Prenons garde aussi que, faute d’élèves, et devant les fermetures de postes à venir, on finisse par bénéficier d’un concours local… sans poste ! Demain, le débouché professionnel de nos enseignants – de ceux qui ont conscience de la beauté de ce métier quels qu’en soient les élèves – sera en France bien plus que dans notre Martinique vieillissante. Et, le croira-t-on, mais cela supprimera une partie de la mine des 40% qui irrigue notre pays ! Même nos indépendantistes enseignants se refusent à redistribuer cette prime de vie chère qu’ils considèrent pourtant comme une donnée coloniale ! On conteste…, mais on garde et on consomme !

Ne nous trompons pas de combat au risque de ne plus avoir d’enseignant martiniquais.

Yvon Joseph-Henri, professeur de Lettres, ancien syndicaliste Snes au lycée Schoelcher, responsable syndical du 2nd degré en Martinique, responsable syndical de la fédération FSU de Martinique
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