Opinion. Emmanuel Argo : «N’oubliez pas les Afro-descendants de l’Africa Mundus ! » (2)

Deuxième volet de notre entretien avec Emmanuel Argo, enseignant, spécialiste du droit communautaire, membre de Chatham House, Institut des Affaires internationales à Londres.

Comment se manifeste le remplacement des intérêts français par des intérêts chinois en Afrique ?

Référons-nous simplement à l’Agence de développement chinoise AidData, qui en France correspondrait à notre AFD. Elle constate qu’en « Afrique subsaharienne, la Chine a notamment financé un boulevard périphérique de 320 millions de dollars autour d’Addis-Abeba, une ligne ferroviaire à 3 milliards de dollars entre Addis-Abeba et le port balnéaire de Doraleh à Djibouti, une autre ligne à 4 milliards de dollars entre Nairobi et le port de Mombasa ou encore une route à 600 millions de dollars entre Port-Gentil et Libreville, au Gabon. »

Si la bourse chinoise est déliée, ce n’est pas seulement pour des raisons d’aide publique au développement, mais surtout, de positionnement géostratégique au détriment de la France qui s’échine à vouloir alphabétiser des populations qui en peu de temps sont passées à l’ère de logiciels et aux technologies de pointe, connectées, communiquant avec le monde entier et s’informant grâce aux réseaux sociaux.

Des managers africains formés à Pékin ou Shanghai

L’heure est venue pour les dirigeants français, tant au niveau des entreprises que du gouvernement, de comprendre, que les temps ont déjà changé. Que l’ère du : « On compte sur vous », a cédé la place à l’ère du : « Vous devez compter avec nous, Africains ». Les traditions culturelles sous-tendues à travers la Francophonie et des diasporas tissent des liens durables avec la France. Mais, la Chine, qui s’enrichit de ses erreurs économiques passées, intègre maintenant dans ses équipes de management des africains formés à Pékin ou Shanghai. Les pays d’Afrique, conscients de leurs forces, auront de plus en plus la part belle pour imposer leurs choix aux puissants.

Dans certains pays d’Afrique, des sociétés de gardiennage russes proches de Vladimir Poutine entendent se substituer à l’armée française, notamment au Mali. Comment expliquer ce regain d’intérêt de la Russie pour l’Afrique ?

L’intérêt de la Russie pour les Afriques n’est pas nouveau. Souvenons-nous de la période dite de la guerre froide où certains pays du continent africain ont choisi de se ranger non du côté des USA, mais du côté de l’URSS incluant la Russie. Après les indépendances des années 1960, les universités de l’URSS ont formé des milliers d’étudiants africains. Des liens existent donc entre ces hommes et femmes qui parlent russe couramment quoiqu’Africains.

Autre argument : en 2005, à l’invitation de Chatham House, des représentants de la société civile russe sont venus à Londres pour rencontrer ceux des diasporas africaines en vue du G8 Civil de 2006 prévu en Russie. J’ai eu l’honneur de les représenter à ce sommet parce que la question du développement aux Afriques, était l’une des priorités de la Grande-Bretagne. Sans pour autant être dupe de la symbolique, j’ai été élu rapporteur général de l’ensemble des recommandations à la conférence plénière de ce G8 civil présidé par Vladimir Poutine à Moscou en mars 2006.

Les diasporas, un atout pour la France

Si la France ne veut pas être en reste, elle devrait s’appuyer sur ses diasporas aujourd’hui formées, compétentes et expérimentées qui sont des liens naturels avec les Afriques. Mais, à la différence d’autres pays anglo-saxons, il est parfois regrettable que notre pays soit peu enclin à être représenté par des ressortissants d’ascendance africaine.

Les pays du continent africain de plus en plus émancipés feront des choix au mieux de leurs intérêts financiers, tout comme les autres pays de la planète. Les USA et la Grande-Bretagne ne viennent-ils pas de court-circuiter la France dans le marché des sous-marins ?

Comment l’Afrique pourrait-elle profiter pleinement de ses richesses pour assurer son développement ?

Le monde change, l’évolution du climat et les changements de l’environnement nous contraignent à des comportements nouveaux. De plus, la pauvreté de certains pays africains n’est qu’un leurre au regard des richesses naturelles et minières du sol et du sous-sol. Enfin, d’ici 2050, la population continentale africaine atteindra les deux milliards. L’Africa Mundus désigne à la fois les 5 régions d’Afrique continentale et ses diasporas réparties sur la planète qui forment une 6e région, sont donc au centre de solutions économiques et sociétales. Il y a eu les accords de Brettons Wood, puis le cycle des Uruguay Rounds, ce dernier ayant abouti à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Un Africa Mundus Agreement

À l’instar des initiatives précédentes, je propose la mise en place d’un Africa Mundus Agreement entre l’Union Africaine, forte de ses 6 régions, et ses partenaires du reste du monde pour mettre fin aux pillages. Les entreprises françaises mais aussi internationales doivent maintenant toutes s’acquitter d’impôts et taxes avant tout embarquement, c’est-à-dire au moment où les ressources naturelles brutes non transformées quittent le sol africain. Cela résoudrait en partie la question.

Des rapports plus étroits entre l’Afrique et Caraïbe pourraient-ils à nouveau être envisagés ?

Dès 1975, la convention de Lomé entre les pays dits ACP (Afrique- Caraïbes- Pacifique) et la CEE/Communauté Économique Européenne a prévu de faciliter des échanges commerciaux et culturels. En 1989, comme membre de l’Association Culturelle ACP-CEE, j’ai participé aux cérémonies de signatures de la Quatrième convention ACP-CEE signée à Lomé le 15 décembre 1989. Les textes portaient notamment sur le protocole financier, celui relatif à la définition de la notion de « produits originaires » et aux méthodes de coopération administrative.

« Ces partenariats devront être revisités. »

En 2000, c’est l’accord de Cotonou qui a succédé à Lomé pour une durée de 20 ans sur une série d’APE (Accords de Partenariats Économiques) entre l’Union Européenne et 79 pays ACP. En août prochain, ces partenariats communs en matière de commerce et de développement soutenus par une aide européenne devront être revisités. La France assurant la présidence de l’Union Européenne, ne devrait pas manquer d’être attentive aux sollicitations et projets non seulement de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’OEACP (Organisation des Etats d’Afrique-Caraïbes-Pacifique), mais tout autant de ses Outremers, ces régions européennes réparties aux quatre coins du monde et voisines des ACP liés à l’UE.

Ce sera une opportunité de placer au centre des directives des projets qui concernent par exemple le développement photovoltaïque, la protection contre la montée des eaux, les catastrophes bioclimatiques, la protection des forêts, celle des ressources halieutiques et d’autres préoccupations communes aux outremers français comme aux pays du littoral ouest africain.

Les diasporas, 6e région de l’Union africaine

Il va sans dire que de telles dispositions accompagneraient les efforts liés à une relative autonomie alimentaire au travers des productions et transformations agricoles respectueuses des habitudes gustatives et culinaires afro-caribéennes, et en relation avec de nouvelles liaisons commerciales directes.

C’est aussi l’occasion de rappeler l’importance des diasporas africaines et notamment celle qui est composée des afro-descendants répartis à travers le monde du fait de la traite négrière notamment. Ces diasporas constituent la 6e région extracontinentale que l’Union Africaine a ajoutée aux 5 régions continentales du continent africain.

Une conciliation en vue des réparations

De leur côté, les Nations Unies ont mis en place la décennie internationale des personnes d’ascendance Africaine pour la période 2015-2024, une façon de reconnaître aux yeux du monde une population de 350 millions de personnes dont nous, les originaires des Outre-mer français, sommes partie intégrante. Á cet effet, dans le cadre de cette décennie internationale, je propose que soit mise en place une action de vérité, conciliation en vue des réparations.

Tout cela pour exiger autre chose que des mea culpa et repentances gratuits, mais déboucher sur une étape de vérité de façon à mettre fin aux habituelles promesses électorales, à l’instar de celle d’un président qui en son temps avait promis sans garantie plus d’1 milliard d’euros pour la Guyane française.

Au titre de l’équité…

Si des représentants de la société civile de cette 6e région avaient été invités par le président Macron, ceux des Outre-mer français reconnus à travers le monde auraient rappelé qu’un an après l’abolition de l’esclavage les colons ont été dédommagés de plus de 123 millions de franc or pour la perte de leurs 250 000 esclaves. Au motif de cette iniquité, ils auraient demandé entre autres :

  • qu’au titre d’une réparation partielle, des dispositions expresses soient prises concernant l’impôt sur la succession et la transmission de l’héritage en Outre-mer français, dispense appliquée bien évidemment aux personnes d’ascendance africaine pendant quatre siècles, soit la durée du commerce et de la traite négrière
  • qu’au titre de la compensation et du rattrapage, il soit créé un Fonds d’investissement pour le développement économique et culturel spécifique des Outre-mer
  • qu’au titre de l’équité, les ressortissants de ces régions franco-européennes très éloignées bénéficient de facilités pour une véritable continuité territoriale entre leurs territoires et la France continentale.

De telles dispositions prises dans le cadre de la décennie des afro-descendants auraient pour but d’assurer une paix sociale et avant tout, de garantir un avenir plus serein aux générations actuelles qui, comme d’autres, aspirent légitimement au bien vivre dans leur région d’origine.

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