Opinion. « Elon Trump » et la Caraïbe : Attention Danger !

PAR FRED RÉNO*

Après les dernières déclarations de Donald Trump sur le projet d’occupation de la bande de Gaza par l’armée étasunienne et sa transformation à terme en Riviera comparable à la Côte d’azur, plus que jamais on est en droit de s’interroger sur ses limites.

A l’évidence la démocratie américaine ne nous a pas fait de cadeau !

Le chef de l’État le plus puissant du monde s’est associé à l’homme le plus riche du monde pour former un binôme réactionnaire dévastateur. Leurs premières décisions augurent de graves atteintes au fonctionnement de la démocratie et un à ordre international déjà mal en point.

Une analyse des conséquences de l’élection de Trump dans la Caraïbe ne peut faire l’économie d’une prise en compte, même succincte, de son impact aux Etats-Unis et plus largement dans le monde.

Pour comprendre ce qui attend la Caraïbe et ce qui a déjà commencé, il faut rappeler qui est monsieur Trump et pourquoi il est dangereux sans pour autant en faire un personnage tout-puissant.

 Pour Donald Trump, le monde
est une jungle. Malheur aux faibles !

L’élection du 47e président des Etats-Unis ne souffre pas de contestations.

Trump remporte largement le vote au collège électoral. 312 grands électeurs contre 226 pour Kamala Harris. 

Il n’y a cependant pas de raz-de marée trumpiste dans ce vote du collège électoral comparé à ceux qui l’ont précédé.

Les 312 votes du Collège électoral de 2024 ne représentent que 6 de plus que ce que Joe Biden a obtenu en 2020. 20 de moins que Barack Obama en 2012 et 53 de moins en 2008.

En remontant le fil de l’histoire étasunienne, la performance de Trump paraît encore plus relative. En 1936 Franklin Delano Roosevelt obtient 523 votes de grands électeurs, en 1964 Lyndon Johnson 486, en 1972 Richard Nixon 520 et Ronald Reagan 525 en 1984.

Sa victoire contre Kamala Harris, dans le vote populaire est plus mesurée.

77 284 118 voix des suffrages exprimés, contre 74 999 166 voix pour Harris.

Le total de voix du républicain n’est pas le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis. C’est Joe Biden qui le détient avec 81 284 666 voix en 2020.

En pourcentage, l’écart entre Trump et Harris n’est pas élevé. 49,8% des suffrages en faveur du républicain contre 48,3 % pour la démocrate, soit une différence 1,5%.

Comparée à la dernière élection présidentielle, la participation est en baisse. 66,7 % en 2020, 64% en 2024. Le taux de 2020 est le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis depuis 1900.

Si la victoire de Trump est réelle, elle ne constitue pas pour autant un plébiscite.

Son parti est majoritaire au congrès à une faible majorité. 220 sièges contre 215 pour les démocrates. Soit une différence de 5 sièges. Au Sénat le parti de Trump n’est majoritaire que de 3 sièges ; 53 sur les 100 que compte le Sénat. Cela signifie qu’il dispose des leviers d’un régime démocratique, dont le fonctionnement repose en théorie et en droit sur le principe de séparation des pouvoirs.

Il est le pouvoir exécutif. Il a le soutien du pouvoir législatif.

Il faut ajouter à ces victoires le contrôle de la cour suprême, juridiction supérieure de l’ordre judiciaire dans laquelle siège une majorité de juges qu’il a nommés et qui lui sont favorables.

Compte tenu de la personnalité du président des Etats-Unis il y a fort à parier qu’il ne s’embarrassera pas du principe de séparation qui, d’un point de vue juridique, permet d’éviter que le pouvoir soit concentré entre les mains d’une seule personne. Le cas Trump illustre, une nouvelle fois, comment le dévoiement des mécanismes démocratiques peut avoir des effets anti-démocratiques. D’autres personnages célèbres l’ont fait avant lui. Adolph Hitler en Allemagne en 1933 et François Duvalier en Haïti en 1957, pour ne citer que les cas les plus emblématiques en Europe et dans la Caraïbe.

Mais avant d’être un élu, Trump est un communicant imprévisible, un business man milliardaire, à qui on prête une approche transactionnelle de la politique. Toute son action notamment au plan international reposerait sur un « deal », autrement dit un arrangement, une négociation.

A mon avis, on a tord de réduire sa perception de la politique à une transaction.

En réalité, chez lui, il n’y a de « deal » que dans un rapport de force favorable.

Sa relation relève davantage de l’autoritarisme que de la négociation. Cette idée se vérifie en particulier en matière de politique étrangère. Sa volonté d’une « America Great Again » repose notamment sur la nécessité d’une balance commerciale  excédentaire. Vous n’êtes son ami que si vous achetez plus chez lui qu’il n’achète chez vous. Vous deviendrez son ami après acceptation des tarifs douaniers sur vos exportations qu’il cherchera à vous imposer. La Chine et l’Europe sont visées par l’obsession douanière du chef de l’État nord-américain. Le Canada et le Mexique voisins eux aussi visés ont réagi   provoquant une application différée des ardeurs du nouveau président des Etats-Unis.

Augmentation des droits de douanes, réduction drastique et déportation des immigrés sont au menu de son programme.

Il s’attaque aux programmes sociaux dans son pays et à l’aide au développement à l’international, comme si c’était une faute d’être pauvre. Il stigmatise et exclue les minorités sexuelles. La liste n’est pas exhaustive.

Curieusement les victimes réelles ou potentielles de son action sont aussi paradoxalement ses électeurs. Augmenter les droits de douanes provoquera inévitablement une augmentation des prix à la consommation qui impactera les plus pauvres et les classes moyennes. Trump saborde-t-il l’économie américaine ? La question posée par le journal français le Monde prend ici tout son sens.

En réalité et en dépit des apparences le chef des Etats-Unis est élitiste. Il perçoit le monde comme une jungle. Seuls les forts ont droit de citer. Son gouvernement compte plusieurs milliardaires. Son intérêt pour les régimes autoritaires russe et coréen est manifeste.

La Caraïbe présente-t-elle un intérêt pour lui ?

Notre région fait partie de sa zone d’influence et a d’abord un intérêt stratégique. Aux yeux de Trump, nos territoires sont vraisemblablement rangés dans la catégorie des pays de merde ou d’îles de déchets flottants comme il a qualifié Haïti et Puerto Rico.

Un intérêt relatif pour la Caraïbe ?

De quelle Caraïbe parle-t-on ? Quels pays de la Caraïbe seront les plus impactés ? Et comment ?

Caraïbe insulaire et/ou Caraïbe continentale. A l’évidence, les deux seront impactées.

Plusieurs pays de la Caraïbe continentale (Colombie Honduras, Mexique, Panama notamment) dont une partie des côtes est baignée par la mer des Caraïbes sont déjà directement touchés. Le Mexique est frappé de tarifs de douane élevés. Il est accusé de favoriser le commerce de voitures étrangères sur le marché de son grand voisin et l’entrée du fentanyl une drogue particulièrement addictive et nocive qui est responsable de la mort de nombreux américains. Panama a fait l’objet d’une menace militaire sans équivoque. D’après le locataire de la Maison Blanche, le canal de Panama serait la propriété des Etats-Unis en raison de l’implication financière de Washington dans sa construction et du traitement plus avantageux dont bénéficierait la Chine dans son exploitation.  Il entend donc le récupérer en raison de son intérêt commercial pour les Etats-Unis.

Cuba et Haïti seront vraisemblablement
les principales victimes insulaires

Les relations avec Cuba se sont sérieusement dégradées dès le premier mandat de Trump (2017 à 2021).

Avant son élection, le président des Etats-Unis s’appelait Barack Obama. Premier chef d’État afro-américain, il a fait deux mandats de 4 ans (du 20 janvier 2009 au 20 janvier 2017).

Au cours de son second mandat (20 janvier 2013 au 20 janvier 2017) Obama a pris l’initiative d’un dégel des relations avec Cuba.

Le 17 décembre 2014, les deux pays décident la reprise de leurs relations diplomatiques.

Une des premières retombées de ce dégel est l’assouplissement de l’embargo étasunien qui date de 1962 et qui est encore en vigueur aujourd’hui. A ceux qui s’interrogent sur la persistance de cet embargo sous Obama, il faut répondre que le président étasunien, contrairement aux apparences, n’est pas tout-puissant. En matière de relations internationales, le congrès a des compétences importantes qui sont des contrepoids aux excès possibles de l’exécutif. L’embargo persiste à Cuba parce que le Congrès n’a toujours pas décidé de sa fin. La remarque vaut aussi pour la base de Guantanamo située sur le sol cubain, dont l’usage premier est d’être une prison étasunienne extraterritoriale. Elle n’est pas soumise aux lois des Etats-Unis parce qu’elle n’est pas sur le sol étasunien ; ce qui permet toutes les exactions, notamment la torture de prisonniers, au défi du droit international.  Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’ONU et l’Union européenne se prononcent régulièrement contre l’embargo.

Sous la présidence d’Obama, les ambassades respectives rouvrent leurs portes le 20 juillet 2015, illustrant ainsi un processus de normalisation des relations entre les deux pays.

Le discours  du président américain à la VIIème conférence des Amériques, à Panama les 10 et 11 avril 2015 est perçu comme un message d’espoir.

« Nous commençons un nouveau chapitre entre les nations des Amériques … Nous sommes séparés par quelques kilomètres, mais une barrière psychologique nous éloignait. 

Étant donné que nous avons des relations avec la Chine, un pays communiste, et avec le Vietnam, j’ai souhaité revoir nos relations avec Cuba ». La conclusion du discours en espagnol est un appel à la fraternité : « Todos somos Americanos ».

L’espoir est de courte durée. Après ce double mandat de l’afro-américain, les Etats-Unis confient le pouvoir à un candidat républicain d’extrême droite. La surprise est générale.

Il semble que Trump lui aussi, a été le premier surpris par cette élection à laquelle il n’était visiblement pas préparé.

Ce premier mandat (2017-2021) va effacer tout l’héritage du président démocrate.

Le second mandat de Trump sera encore plus régressif

Sous Obama les changements envisagés dans la relation avec Cuba étaient prometteurs.

Des autorisations de voyage, plus facilement accordées. Le commerce avec des entreprises privées cubaines désormais autorisé, bravant ainsi la loi Helms-Burton qui l’interdisait.  Les banques étatsuniennes pouvant ouvrir des comptes dans des banques cubaines. Les ressortissants étatsuniens autorisés à envoyer jusqu’à 2 000 dollars par trimestre à des cubains ou des organisations humanitaires à Cuba.

Sous Trump 1, toutes ces mesures disparaissent.

Sous Trump 2, l’isolement de Cuba persiste et se renforce.

Biden a attendu la fin de son mandat pour sortir Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme. Une des premières décisions de Trump a été de réintégrer l’île dans cette liste

La loi Helms-Burton, de portée extraterritoriale, promulguée en 1996, sous la présidence de Bill Clinton, puis suspendue, a été réactivée.

Elle permet de poursuivre devant les tribunaux fédéraux, les entreprises soupçonnées de « trafiquer » avec des biens ayant appartenu à des américains ou à des exilés cubains ayant obtenu la nationalité étasunienne. Il s’agit, à l’évidence, des biens nationalisés par la révolution cubaine.

Sous les présidences de Trump on interdit aux Américains de se rendre à Cuba en voyages de groupe. Ces sanctions visent notamment les bateaux de croisière, de pêche ou de plaisance et l’aviation privée ou d’affaires.

L’objectif  est d’étrangler économiquement l’île et de rétablir une domination politique dans un contexte géopolitique défavorable à Cuba. Sans le soutien d’un camp socialiste quasi-inexistant et avec le rapprochement entre Trump et Poutine, les risques d’isolement de la Havane sont réels.

Le nouveau président des Etats-Unis va s’y employer.

Le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique est une mauvaise nouvelle pour la planète mais singulièrement pour la Caraïbe insulaire. Ce pays est historiquement le plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Il a construit sa richesse en brulant des carburants fossiles. Sa responsabilité est grande dans la crise climatique, son irresponsabilité l’est tout aussi dans son désengagement des conférences internationales et des recherches de solution sur cette question. Nos îles qui sont les moins polluantes sont déjà les premières victimes de la montée des eaux.

C’est principalement sur l’immigration
que va se concentrer l’agressivité de Trump

Sont concernés, à la fois les immigrants en situation illégale et tous ceux qui envisageraient  de rentrer aux Etats-Unis. Les premiers sont considérés comme des délinquants auxquels on appliquera par conséquent la législation appropriée. Ils seront renvoyés chez eux. Les seconds sont indésirables.

Les conséquences de cette politique de déportation massive sont variables selon les pays.

La Caraïbe continentale, regroupant les pays d’Amérique centrale et les pays d’Amérique du sud baignée par la mer des Caraïbes, est la plus touchée. Certains pays comme le Venezuela, le Nicaragua et le Honduras ont annoncé qu’ils n’accepteront pas les personnes expulsées. Il n’est pas sûr que les pays de la Caraïbe insulaire aient les mêmes réactions. Leur refus s’accompagnera de restrictions à la délivrance de visas pour leurs ressortissants. Cette politique commencée sous Obama sera vraisemblablement renforcée.

A l’exception d’Haïti, le nombre de migrants illégaux provenant de la Caraïbe insulaire est moins important que ceux de la Caraïbe continentale.

D’après Sir Ronald Sanders, ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux Etats-Unis, près de 1,5 millions de migrants vivants aux Etats-Unis sont concernés par ces expulsions dont 42 289 ressortissants de pays du CARICOM. Sur ce chiffre de 42 289, le nombre d’haïtiens s’élève à 32 363. Les jamaïcains sont 5 120. Les 4856 restants sont répartis entre les 12 autres pays du CARICOM.

Quel que soit le nombre de déportés, leur retour non-programmé aura des répercussions graves dans l’ensemble de la région. Les services sociaux, les écoles, les services de santé pourront difficilement absorbés le débarquement soudain de tous ces déportés sans emploi et pour beaucoup d’entre eux sans famille pouvant subvenir à leurs besoins. Les taux de chômage et de criminalité risquent de croitre.

On aurait tort de croire que la Caraïbe ne présente aucun intérêt pour les Etats-Unis. En 2023 l’excédent commercial avec les 14 pays indépendants de la CARICOM s’élève à 7,4 milliards de dollars. L’aide aux pays de la région pourrait diminuer, à défaut de disparaître.  90% de cette aide sont attribués à Haïti en raison d’une situation intérieure perçue comme une menace pour Washington.

La décision d’Elon Musk de suspendre l’Agence américaine pour le développement (USAID) aura peu d’effets dans les îles. Seuls Haïti et la Jamaïque pourraient en souffrir. Cette aide est quasi-inexistante dans le reste de la Caraïbe insulaire.

En conclusion, c’est probablement du peuple étasunien que pourraient venir les premières fissures.

Le faible écart de voix entre le républicain et la démocrate pourrait expliquer les éventuelles contestations populaires à venir. Le potentiel de résistance populaire n’est pas négligeable. Trump a triomphé d’abord chez les trumpistes. Une part significative de ses électeurs victimes de ses décisions manifeste déjà sa déception, provoquant une révision de certains choix fait par Elon Trump.

Dans ce contexte d’inquiétude généralisée, la Russie et surtout la Chine pourraient tirer bénéfice de ce « national-capitalisme » selon l’expression de Thomas Piketty. Le repli des Etats- unis favorise le déploiement de la politique étrangère chinoise, notamment dans la Caraïbe où elle est déjà très active. Avant l’arrivée de Trump, Pékin a investi plus de 7 milliards dans la Caraïbe dont 600 millions à Cuba, 2,7 milliards à la Jamaïque, près de 2 milliards à Trinidad et 1 milliard à Antigua et Barbuda.

Ce repli pourrait favoriser aussi le réveil de l’Union européenne, sommée de s’émanciper de la dépendance nord-américaine.

Les (DFA) dépendances françaises d’Amérique, Saint Barthélémy, Saint Martin, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique auraient tort de se croire protéger de cette agressivité par une bulle française et européenne illusoire. Comme citoyens « ultra-marins », nous subirons les mêmes contraintes économiques que tous les citoyens français amplifiées par la distance. Comme caribéens nous ne sommes pas à l’abri des politiques trumpistes parmi lesquelles une plus grande liberté de circulation des armes à feu un des fléaux les plus dangereux dans notre Caraïbe.

*Professeur de science politique à l’Université des Antilles

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