PAR DIDIER DESTOUCHES*
En provoquant de façon incongrue mais manifestement calculée de longue date, la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron président de la République, a généré un processus incontrôlable de dissolution de l’esprit public dans l’une des principales puissances économiques et démocratiques de la planète.
Une sorte de coup d’état par l’État dont l’objectif (affiché) était une clarification pour tenter d’obtenir par la peur une recomposition politique permettant au président d’avoir soit une majorité absolue grâce au ralliement supposé de députés républicains au mieux, soit une nouvelle majorité relative au pire. C’était sans compter une réalité devenue incontournable et que le président n’a même pas pris le temps comme il se devait d’analyser après les résultats des élections européennes.
Le vote RN (rassemblement national) était devenu absolument majoritaire dans la quasi totalité des régions françaises. En fait, seules quelques grandes villes résistent encore tel le village d’Astérix à la colonisation de l’espace public français par le discours et les propositions d’un parti d’extrême-droite devenu entre-temps la droite française. Ce qui ne veut pas dire la droite républicaine. Mais le Rassemblement national rassemble aujourd’hui suffisamment de français pour qu’à la faveur des élections il détienne une majorité unie et surtout qu’il soit le grand favori pour les présidentielles comme pour les élections locales.
C’est un fait sociologique mais c’est aussi un fait institutionnel. Et devant ce fait, à vrai dire, les raisons du vote RN comptent bien moins que les conséquences du vote RN. Et elles sont assez cataclysmiques. En effet il faut bien comprendre que les électeurs de ce parti aux origines néo-nazies et colonialistes (OAS) sont avant tout des citoyens anti-système. C’est à dire qu’ils sont opposés au fonctionnement actuel de la démocratie qui ne serait plus au service du peuple mais plutôt à celui d’une élite technocratique, économique et culturelle incarnée par Emmanuel Macron.
Comme pour les électeurs d’extrême gauche (devenue elle aussi depuis 2022 la nouvelle gauche française plurielle ), le pouvoir politique en France est totalement coupé des réalités et l’Union européenne est le symbole absolu de cet enfer néolibéral dans lequel ils sont plongés contre leur gré. Ces électeurs sont aussi contre un système qui leur a imposé la vaccination et le confinement, la pression du wokisme, l’insécurité permanente (en particulier à l’école), la pauvreté des seniors et le déclassement social de la classe moyenne et des ouvriers, une inflation galopante et ils sont pour les médias alternatifs et transgressifs, tout comme rassurés par les méthodes des dirigeants des démocratures.
Autre point important : là où le RN est au pouvoir (certaines villes comme Fréjus), les électeurs revotent massivement pour le RN…En Guadeloupe, la progression du vote RN est multi-factorielle mais pas forcément anti-système. Il y a une conjonction d’un vote communautariste de personnes d’ascendance européenne de plus en plus nombreux dans certaines communes (Saint-François, Le Moule, Sainte-Anne,…), d’un vote anti-immigrés, d’un vote anti-Macron et « anti-vax » et d’un vote rural sensible aux thèses du RN sur l’agriculture et l’autonomie alimentaire.
Le terme : « on n’a pas encore essayé » traduit indubitablement, bien plus qu’un désir d’alternance, un désir de rupture.
Mais, la voie ouverte à cette rupture désormais inéluctable, et que craignent à juste titre, les autres puissances occidentales, est politiquement le fait d’un seul individu : le président de la République Emmanuel Macron. Combien de carrières politiques et de vies brisées, de loyautés trahies, et d’hypothèques sur l’avenir de la France résultent de la décision d’un seul homme ?
Et ce simple constat amène à réfléchir sur le sort de la constitution de la Ve République dans la mesure où pour beaucoup, le basculement politique probable de l’Assemblée nationale et du gouvernement à l’extrême-droite est et restera lié à l’usage abusif, tragique et inconsidéré des pouvoirs que conférait au président de la République certains articles d’une constitution de 1958 trop présidentialiste et trop jupitérienne pour une époque où le désir d’horizontalité, de radicalité et de partage du pouvoir est à son paroxysme.
Il est peut-être donc temps d’envisager dans ce chaos démocratique et ce brouhaha électoral, non seulement une autre méthode pour les citoyens et les élus de faire de la politique, mais aussi pour les constitutionnalistes de proposer une nouvelle architecture institutionnelle pour permettre un meilleur fonctionnement du parlement et du gouvernement de la France.
*Politologue et essayiste
Auteur de La République à bout de souffle