Opinion. Dissolution : coup de maître de Macron d’une stratégie hautement risquée et quête de la diagonale du pouvoir ?  

PAR JEAN-MARIE NOL*

Avec la dissolution de l’Assemblée nationale, un grand chambardement politique d’ampleur a eu lieu en France. Les cartes risquent d’être totalement rebattues en matière politique et économique. Emmanuel Macron se projette déjà dans l’après, comme s’il ne fondait que peu d’espoir dans la capacité de la classe politique actuelle à réformer en profondeur la France face aux mutations technologiques et sociologiques.

Nous sommes bien en présence d’une  stratégie politique calculée avec minutie. Si les faits politiques et les sondages d’opinion ont encore un sens, Emmanuel Macron devrait pouvoir, sauf accident malencontreux, se sortir personnellement sans trop de dommages de la séquence dissolution.

Dès le début de son mandat, il a procédé à un profond renouvellement de la vie politique française. Dans cette perspective d’un prochain changement de majorité parlementaire, son but ultime semble être de déconstruire idéologiquement le paysage politique de la France.

La situation politique en France est actuellement confuse. La recomposition du paysage politique est à l’ordre du jour, mais il semble que Macron soit décidé à provoquer un ménage dans les rangs de la majorité et de l’opposition. En plus de l’alignement des planètes qui lui a été favorable, il est aussi un surdoué de la politique politicienne. Peut-on reprocher sa virtuosité au musicien ?

Macron présentera sans état d’âme l’addition de la crise aux Gaulois réfractaires. Pour comprendre les problématiques actuelles, il faut faire un retour en arrière. Emmanuel Macron, élu président en 2017, a rapidement suscité des réactions contrastées. Certains le voyaient comme un réformateur, tandis que d’autres étaient sceptiques. Cette impopularité s’est accentuée avec la crise des Gilets Jaunes, marquée par des manifestations violentes et des critiques virulentes.

Dès le début de son mandat, Macron a été critiqué pour ses déclarations jugées déconnectées de la réalité. Ses « petites phrases », souvent perçues comme arrogantes, ont alimenté le ressentiment. Parmi les plus célèbres : « Je traverse la rue et je vous trouve un emploi », « Les gens qui ne sont rien » et « les ouvrières de Fleury Michon illettrées », et que dire de la petite phrase sur les Gaulois réfractaires … ?

Ces déclarations ont contribué à forger l’image d’un président distant et élitiste. La crise des Gilets Jaunes, débutée en novembre 2018, a marqué un tournant. Initialement déclenchée par une hausse de la taxe sur les carburants, le mouvement a rapidement cristallisé un mécontentement plus large. Macron fut directement visé par la colère et la haine des manifestants. La préfecture du Puy-en-Velay fut incendiée, symbolisant le rejet profond de sa personne par une partie significative de la population. Le choc psychologique des insultes et du caractère haineux des propos fut violent pour le président qui n’a rien oublié de cette infamie à son encontre. 

Le processus de banalisation de l’extrême-droite est dans la continuité de la stratégie de ses prédécesseurs François Mitterrand et Jacques Chirac.

La montée en puissance de l’extrême-droite en France n’est pas un phénomène soudain. Le processus de normalisation de l’extrême droite est le résultat de décennies de stratégies politiques et de changements socio-économiques. Parmi les événements marquants, l’intervention de François Mitterrand dans les années 1980 occupe une place centrale. Mitterrand a donné plus de visibilité au Front National (FN) de Jean-Marie Le Pen pour fracturer l’électorat de droite.L’apparition de Le Pen à une heure de grande écoute en 1984 légitima ses idées.

En 1986, Mitterrand fit adopter un changement du mode de scrutin permettant au FN d’obtenir 35 sièges à l’Assemblée nationale. Cette manœuvre a eu des conséquences durables, contribuant à la normalisation de l’extrême droite.Emmanuel Macron semble s’inscrire dans la même stratégie que Mitterrand. Des analystes partagent cette hypothèse, et des commentaires comme celui du journal britannique The Times suggèrent que Macron espère affaiblir le RN en l’exposant aux défis de la gouvernance. Ce scénario contraste avec son discours de victoire au Louvre en 2017, où il promettait de faire en sorte que les électeurs n’aient plus de raison de voter pour les extrêmes. Sur ces entrefaites,la dissolution de l’Assemblée nationale en raison des blocages parlementaires était peut-être nécessaire, mais le moment choisi par Macron reste discutable. Une dissolution après les Jeux olympiques aurait peut-être été plus opportune.

Malgré la formation à gauche d’un nouveau front populaire, il est probable que l’on se dirige vers une Chambre ingouvernable en cas de majorité relative du RN ou du nouveau Front Populaire. La banalisation de l’extrême-droite est le résultat de manœuvres politiques, de changements socio-économiques et de dynamiques culturelles. L’intervention de Mitterrand a joué un rôle crucial en donnant une visibilité médiatique et politique au FN, une stratégie qui a transformé le paysage politique français. Emmanuel Macron est-il alors un Président de la république machiavélique ?

Emmanuel Macron a manœuvré avec habileté dès sa réélection, poussant le curseur de la société française à droite. Il a instrumentalisé le parti républicain et manipulé le RN et la Nupes à l’insu de leur plein gré. Il a façonné la politique française à sa main, utilisant des méthodes inavouables mais efficaces pour dynamiter le paysage politique français .

Le président est bien dans la droite ligne des chefs d’État machiavéliques, à l’instar de François Mitterrand. Comme Mitterrand, Macron semble posséder cette diagonale du pouvoir basée sur un équilibre parfait des préférences cérébrales, une intelligence pratique et créative, et la capacité à manœuvrer selon les circonstances.

Pour conclure nous dirons que dans un contexte national et international difficile, Emmanuel Macron possède les qualités requises pour mener à bien la mutation idéologique, morale, politique et économique de la France. Il s’inscrit dans les pas de Mitterrand, épousant le terrain politique avec habileté. Peut-on sérieusement lui en vouloir de s’inscrire dans cette tradition, face à une situation politique, économique et financière dégradée ?

La montée en puissance de l’extrême droite reflète les fractures profondes de la société française, une réalité que Emmanuel Macron et le population française doivent affronter avec sérieux. L’inquiétude et l’incertitude gagnent le monde économique. La dissolution et la perspective de l’élection d’une assemblée pleine d’élus aux deux extrêmes de l’échiquier politique ont pris les dirigeants d’entreprises de vitesse. Sidérés par le choc, tétanisés par l’incertitude, soucieux de ne pas braquer leurs clients ou leurs employés, indifférents pour certains aux enjeux locaux, presque tous éconduisent les questions politiques.Tout se passe comme si, après les affres de la crise des dettes publiques de la zone euro dans les années 2010, la colère avait cédé la place à une certaine insouciance qui s’est installée, en France.

L’Association française des entreprises privées (Afep), réunissant les plus grandes entreprises du pays, met en garde contre un « risque majeur » de « décrochage durable » de l’économie en fonction des résultats. Pour le journal économique Les Échos la confusion et l’incertitude autour des résultats des législatives et les programmes dispendieux des candidats du RN et du Nouveau Front populaire pourraient entraîner un fort attentisme des entreprises. L’investissement et les recrutements risquent d’en pâtir. Répétons-le à satiété que nul doute l’addition de la crise présentée aux Gaulois réfractaires et autres Français de la classe moyenne sera sans doute très salée, mais tout compte fait nécessaire pour l’avenir du pays.

À méditer ce proverbe créole : « Sé kouto sèl ki sav ki sa ki an tjè jiromon » 

Traduction littérale: Seul le couteau sait ce qui est contenu dans le cœur du giromon.

Moralité: Le peuple seul connaît les affres de la misère qui pointe à l’horizon .

*Economiste et juriste en droit public 

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