Opinion. Discours sur la dépendance institutionnelle

PAR DIDIER DESTOUCHES

L’Etat de la République française a souvent été qualifié par les juristes les plus politisés d’État centralisateur. Dans une organisation hiérarchisée, on appelle centralisation le fait de transférer un pouvoir de prise de décision à un niveau supérieur de décision.

La centralisation est un mode d’organisation de l’État dans lequel une autorité centrale détient la plupart des pouvoirs politiques, administratifs, et financiers et qui crée une dépendance des autorités locales à son égard.

Et c’est un fait que depuis, non pas la révolution française ou sévirent les jacobins en fanatiques de l’État tout puissant, mais plutôt la monarchie absolue du roi Louis XIV que l’ensemble des territoires du royaume de France (colonies comprises) soient placés sous la même architecture institutionnelle dont le gouvernement est le sommet.

« S’il est un mot lourd de sens idéologique et politique, c’est bien celui de liberté. »

L’administration territoriale a vu les différents régimes politiques ayant conduit la France à la République présidentialisée de 1958, lui octroyer progressivement une laborieuse capacité d’action politique consacrée exagérément par certains juristes avec un principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

S’il est un mot lourd de sens idéologique et politique, c’est bien celui de liberté. Source de conflits aussi bien individuels que collectifs, fantasme contradictoire et absolu de tout révolutionnaire, espoir puissant de peuples et de communautés dans le monde, miroir fatal de l’identité humaine, la liberté dans le droit n’est pourtant qu’un droit. 

Les collectivités territoriales érigées en entités de droit public libres auraient donc acquis le droit de choisir librement l’étendue, le contenu, et le mode de mise en oeuvre de leurs actions dans le cadre de leurs politiques publiques, y compris dans les Outre-mers.

Postuler que les collectivités jouissent, certes en principe, d’une libre administration, revient à exclure le fait qu’elles soient dépendantes de l’Etat. Un État que tout à chacun se représente plus ou moins comme l’ensemble des institutions organisant le fonctionnement de la société française.

« La dépendance est le fait d’être soumis à l’autorité ou à l’influence de quelque chose ou d’une ou plusieurs personnes. »

Un tel postulat suppose également que le fait de prendre des décisions dans un cadre constitutionnel et légal qui donne à des représentants élus par la population locale cette capacité sans entraves apparentes, est une panacée politique synonyme d’exercice d’un vrai pouvoir local. 

L’analyse de ce cadre juridique qui fixe le fonctionnement des collectivités territoriales montre pourtant qu’il existe bien des preuves de la persistance de liens et d’entraves institutionnelles qui contredisent l’absence de dépendance des collectivités vis à vis de l’État.

Et qu’est-ce que la dépendance ? La dépendance est le fait d’être soumis à l’autorité ou à l’influence de quelque chose ou d’une ou plusieurs personnes. En l’occurence la personne morale qu’est l’État est, par l’entrelacement des règles et des structures institutionnelles qui entourent toujours et plus que jamais les collectivités territoriales, coupable de perpétuer pour elles un état de dépendance.

En effet, les collectivités en tant que parties intégrantes et parties prenantes de l’État sont en dépit de leur gouvernance démocratisée dépendantes des moyens financiers et parfois humain que leur alloue l’État, dépendantes aussi des règles instituées par les organes politiques de l’État, dépendantes des procédures administratives établies et contrôlées par l’État, dépendantes enfin des sanctions et des rappels à l’ordre des agents de l’État portant sur l’exercice de leurs compétences mais aussi des orientations budgétaires déterminés par l’exécutif français.

« Les élus locaux sont perpétuellement plongés dans une quête de moyens et d’allocations d’espaces propres d’action politique qui puissent dépasser le simple et infantilisant cadre actuel de redistribution de subventions publiques. »

Un seul exemple récent suffit à étayer cette affirmation: Quand les parlementaires s’inquiètent de la pérennité de l’une des principales sources de financement de l’action publique régionale en Guadeloupe : l’octroi de mer, c’est au gouvernement qu’ils s’adressent car il est le seul à pouvoir agir dans ce domaine, notamment au niveau européen.

Quid de la liberté d’administrer ? Évidemment dans les territoires situés en dehors de l’Hexagone, il y a une réalité plus âpre et plus problématique de cette dépendance institutionnelle qui tout comme le multiculturalisme, est l’objet d’une omerta républicaine validée par le constituant et la littérature juridique contemporaine. Malgré tout, les élus locaux sont perpétuellement plongés dans une quête de moyens et d’allocations d’espaces propres d’action politique qui puissent dépasser le simple et infantilisant cadre actuel de redistribution de subventions publiques. Distribuer ce n’est pas transformer mais plutôt accompagner. 

La liberté se mesure à la puissance et à l’impact de la volonté politique s’incarnant dans des réalisations répondant aux besoins spécifiques des territoires. Or le contrôle historique et permanent, quoique fluctuant, de l’État sur la délégation des compétences qu’il a effectué au profit des collectivités locales (au bout de trois réformes successives de la décentralisation) est par nature antagoniste de la mise en œuvre de toute prise de responsabilité de la part de nos élus régionaux, départementaux; communaux et même parlementaires.

« La dépendance institutionnelle engendre parallèlement une subordination chronique et parasitaire des élus locaux à une forme de clientélisme politique. »

Il résulte de cette dépendance institutionnelle une absence permanente d’autorité politique de nos élus dans la mesure ou en amont, ils dépendent d’un cadre juridique imposé et surtout maitrisé par l’Etat au gré de ses besoins, et en aval du soutien de l’État pour faire avancer les dossiers les plus importants (Chlordécone, eau, CHU, sargasses, sécurité, pour ne citer que les plus actuels). 

La dépendance institutionnelle engendre parallèlement une subordination chronique et parasitaire des élus locaux à une forme de clientélisme politique supplémentaire et spécifique dans la mesure ou le dialogue et la coopération avec les institutions étatiques seront d’autant plus facilitées et bénéfiques qu’ils dépendront de l’appartenance de ces élus à l’armada partisane de la majorité au pouvoir au niveau national.

Aucune surprise donc quand l’on voit un syndicat comme l’ UGTG qui ne cache pas sa vision souverainiste de la Guadeloupe et qui se dit mobilisé pour la défense des droits humains et sociaux en Guadeloupe, exiger des élus locaux membres ou partenaires de la majorité au pouvoir qu’ils prennent leur responsabilité en obtenant de l’exécutif le règlement des nombreux problèmes dénoncés.

« La recherche aliénante et infantilisante du soutien indéfectible de l’État, la crainte récurrente de son silence, la colère réprimée mais insidieuse déclenchée par le sentiment d’être entre la carotte et le bâton… »

C’est un énième appel à l’État mais cela traduit surtout une évidente recherche d’autorité locale des politiques, tant leur impuissance sur de nombreux dossiers est de plus en plus notoire et problématique. 

La recherche aliénante et infantilisante du soutien indéfectible de l’État, la crainte récurrente de son silence, la colère réprimée mais insidieuse déclenchée par le sentiment d’être entre la carotte et le bâton, et la frustration permanente produite irrémédiablement par un rapport de force inégal par nature brisent systématiquement toute tentative de construction d’un vrai débat public sur les problématiques essentielles pour la Guadeloupe.

Le cœur de ce crève-cœur politique est ancré dans l’illusion du développement sans pouvoirs domiciliés localement et autorité politique directe. Et cela même alors que d’autres territoires, en ayant limité volontairement la densité des liens institutionnels avec le pouvoir central, ont pu avec succès obtenir des signes concrets de développement social et économique endogènes sans pour autant rompre avec leur attachement juridique à la nation française.

Car la nation n’est pas l’État. L’État est la collectivité publique là ou la Nation est la collectivité humaine. Pour demeurer attachés à la collectivité humaine devons nous forcément demeurer liés par la collectivité publique ?

« Il ne s’agit pas de rejeter l’État qui fait sa part correctement dans certains domaines, mais d’optimiser sa présence au dessus de nos élus locaux. »

La réflexion sur le dépassement de la dépendance institutionnelle doit donc être ouverte sans provocation ministérielle, pollution électoraliste et sans artifices culturels. Elle doit aujourd’hui reprendre et sans attendre, alors même que le contexte de campagne pour la présidentielle va probablement contraindre le chef de l’État à oublier son projet de réforme constitutionnelle visant notamment à ouvrir une perspective de statut à la carte pour la Guadeloupe et les autres collectivités des Outre-mer.

Il ne s’agit pas de rejeter l’État qui fait sa part correctement dans certains domaines, mais d’optimiser sa présence au dessus de nos élus locaux. La grande concertation locale entre toutes les forces vives et les élus, plusieurs fois avortée et qui doit permettre de définir un vrai « contrat social » guadeloupéen au sens ou l’entendait le philosophe Rousseau, seule pourra déterminer quel doit être le « sens du pays », concept cher au philosophe Cyril Serva.

« Tandis que l’heure avance, chaque citoyen guadeloupéen devrait fuir les rivages trompeurs de la défiance et du manque de confiance en nous même, élus compris. »

La fin de la dépendance institutionnelle passe par là, mais aussi certainement par un nouveau départ statutaire, et si ce n’est pas le cas alors qu’on en fasse la preuve.

En attendant l’espoir demeure, et tandis que l’heure avance, chaque citoyen guadeloupéen devrait fuir les rivages trompeurs de la défiance et du manque de confiance en nous même, élus compris. C’est la reconquête de notre citoyenneté par cette prise de conscience locale qui contribuera à nous faire échapper à la dynamique de « l’État profond » qui tend à nous priver d’elle pour faire de nous de simples consommateurs.

Le cheminement collectif peut être positif et lumineux dès lors que nous apprenons en conscience à faire corps pour définir nous même notre propre destin au sein de la France tant que nous y serons majoritairement et volontairement attaché. Nous avons atteint le niveau d’ingénierie nécessaire à la libération de l’enfermement politique dans lequel la dépendance institutionnelle nous maintient froidement en bridant une partie de nos potentiels multiples de développement. Cette dépendance aussi bien juridique que psychologique nous devons nous même la déconstruire car il demeure urgent que le pouvoir politique en Guadeloupe soit enfin en correspondance avec le besoin social du Pays, et cela par l’autonomie politique. 

*Politologue et essayiste

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