Par Emmanuel Argo, président du réseau international Africa Mundus Institut*
M’appuyant sur la décision de l’Union africaine d’appeler Sixième région cette population d’environ 350 millions d’habitants répartie à travers le monde, j’ai créé la dénomination générique d’Africa Mundus pour caractériserl’ensemble des cinq régions continentales auxquelles s’ajoute cette Sixième région formée par les diasporas africaines et les populations d’ascendance africaine, autrement appelées Afro-descendants.
Compte tenu des enjeux actuels et de l’émergence ici et là d’une volonté de ne plus être en marge de la marche du monde, Africa Mundus se décline en deux paradigmes. L’un concerne la décision des Nations Unies de proclamer Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine la période 2015-2024 https://fr.unesco.org/decade-people-african-descent/resources et l’autre concerne le fait qu’il existe des intellectuels, des scientifiques, des artistes, des entrepreneurs africains et afro-descendants qui irriguent depuis plusieurs années l’ensemble des domaines culturels, scientifiques, technologiques ou économiques ce qui, par conséquent, rend obsolète tous les clichés racistes. J’appelle ce constat : la NégroEvolution.
Près de 4 siècles d’esclavage
S’agissant des Afro-descendants, il faut rappeler l’origine de leur implantation hors du continent africain. C’est à la fois le résultat de la déportation de plus de 12 millions d’individus d’Afrique Centrale et Australe vers d’autres continents pendant près de 4 siècles d’esclavage exercé majoritairement par des Européens pour des raisons économiques, ensuite les besoins de chair à canon et d’une main d’œuvre à bas coût pendant, et au lendemain des deux guerres mondiales – le statut de colonies facilitant ces « importations » d’hommes – et, enfin, le départ volontaire de jeunes Africains fuyant la pauvreté ou attirés par des statuts et des salaires à la hauteur de leurs compétences.
Une décennie confidentielle
Moins de deux ans avant l’échéance de cette décennie, les commémorations et manifestationsévènementielles restent malheureusement en grande partie confidentielles.
C’est pourquoi, dans ce nouveau millénaire, il m’apparaît opportun de faire connaître et de promouvoir à travers cette décennie des Afro-descendants, non seulement leur contribution séculaire, contrainte ou volontaire, à l’économie majoritairement occidentale, mais également cette réalité que peu, hélas, acceptent mal, qui est qu’une nouvelle génération de cadres afro-descendants entrent dans l’arène. Pourtant, les éléments de langage de ces trentenaires et quadras ne sont guère différents de ceux appris dans des écoles de commerce, de guerre ou universitésaméricaines, chinoises, russes, françaises, britanniques ou japonaises.
A propos de la NégroEvolution
D’illustres afro-descendants se sont fait entendre en leur temps en s’engageant dans des combats d’idées et des actions politiques y compris dans un contexte de colonisation : Aimé Césaire, Frantz Fanon, Tony Morrison, Martin Luther King, Rosa Parks…
Puis, sous l’Apartheid (Desmond Tutu, Nelson Mandela), ou bien dans des processus de décolonisation et de post-indépendance (Samora Machel, Thomas Sankara, Joseph Ki-Zerbo…). Tous ces hommes et femmes ont été des NégroÉvolutionnistes avant la lettre.
De nos jours, soulignons l’engagement au quotidien des Prix Nobel Wole Soyinka et Denis Mukwege, de René Depestre, du cinéaste Raoul Peck, et bien d’autres et bien d’autres moins connus qu’il convient de saluer.
Des Etats africains s’appuient sur leurs élites
Le monde évolue rapidement sous les effets dela globalisation de l’économie, de l’ultra-libéralisme et de l’amplification des outils de communication. S’appuyant sur leurs élites, formées ou non dans les grandes écoles ou universités occidentales, certains états africains veulent désormais s’émanciper politiquement et économiquement de leur passé colonial pour choisir leurs partenaires.
Les cartes sont rebattues sur le plan géo-stratégique, déstabilisant ainsi un ordre décidé par l’Occident jusque-là bénéficiaire du progrès et des matières premières pillées sans partage.
En réaction, il s’ensuit un renforcement d’idéologies ou théories racistes et xénophobes chez certains, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, quand d’autres s’associant ou soutenant notre mouvement, n’y voient qu’une suite logique dans le lent processus d’évolution de notre humanité.
En rupture avec les pensées néo-colonialistes
En invitant le concept de NégroEvolution dans la proclamation de la décennie internationale des Afro-descendants, c’est d’une part, pour ne pas dissocier les peuples noirs, qu’ils soient du continent africain ou hors continent, mais d’autre part, parce qu’ensemble, ils appartiennent à l’Africa Mundus.
La NégroEvolution doit faire rupture avec les pensées néo-colonialistes ou « doudouistes », pour reprendre une expression antillaise. C’est pourquoi, un très grand nombre d’acteurs panafricains et afro- descendants du monde universitaire, économique et artistique, issus de tous les continents, ont décidé de travailler ensemble sur une même thématique, à savoir le simple constat d’une réelle émancipation et d’une implication à haut niveau des populations noires dans la marche du monde.
Il est temps d’en finir avec les clichés habituels qui veulent que l’homme ou la femme noire soient résolument en retard parce que victimes de leur passé esclavagiste – ceux qui ont été déportés – et colonialiste – ceux qui sont restés sur place. Dans les deux cas, une situation de dépendance a entraîné et entraîne encore des complexes d’infériorité et la justification de son contraire dans les populations blanches.
Pour les générations futures
Mais les temps changent. La mixité des cultures et des Hommes, qui semble se banaliser, est un marqueur de la NégroEvolution qui a pour objet de plaider un vivre-ensemble.
Au terme approchant de cette proclamation de la décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, compte tenu des effets sanitaires et sociétaux causés par la pandémie du Covid-19, d’une situation géopolitique particulièrement instable au plan international, et d’un changement climatique dont nous découvrons déjà les effets, l’humanité toute entière ne peut exclure désormais par ignorance, racisme et négrophobie, des hommes et des femmes de la réflexion et de la recherche de solutions en raison de la couleur de leur peau et de leur faciès.
Suivant des itinéraires différents, associons nos expériences et parcours singuliers en vue d’une production commune à léguer en héritage aux générations à venir.