PAR JEAN-MARIE NOL*
L’économie antillaise se trouve aujourd’hui à un tournant critique pour ne pas dire à la croisée des chemins en 2025, marquée par des perspectives économiques peu encourageantes et un environnement social profondément affecté par la lutte contre la vie chère .
La Martinique et la Guadeloupe, déjà confrontées à des défis structurels persistants, voient leurs horizons s’assombrir davantage face à une conjoncture mondiale et nationale difficile. Les indicateurs économiques peignent un tableau préoccupant : une croissance atone, un chômage galopant, une précarité croissante, et une consommation freinée par une inflation toujours élevée et un pouvoir d’achat en berne.
Les dernières enquêtes économiques, notamment celle de l’Institut d’Émission des Départements d’Outre-Mer (IEDOM), font état d’un climat des affaires marqué par un pessimisme généralisé. Les acteurs économiques locaux expriment leurs inquiétudes quant à un avenir économique incertain, aggravé par des contraintes spécifiques à ces territoires insulaires.
Le taux de chômage, officiellement annoncé autour de 14 et 18 %, masque une réalité encore plus sombre où sous-emploi, travail non déclaré et départs massifs de jeunes qualifiés viennent exacerber les tensions sur le marché du travail. Ces départs massifs, souvent définitifs, posent un problème de renouvellement générationnel, fragilisant davantage un tissu économique déjà affaibli par les crises sanitaires et inflationnistes.
Sur le plan social, les effets de la crise se font durement sentir. Près d’un tiers des habitants de ces territoires vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui limite leur accès à des besoins fondamentaux tels qu’une alimentation de qualité, des soins de santé adéquats ou des activités éducatives et culturelles.
Cette précarité croissante alimente un sentiment de morosité au sein du corps social, amplifiant les inégalités déjà criantes entre les Antilles et la France hexagonale. Bien que l’inflation y soit plus légèrement élevée qu’en France hexagonale , le coût de la vie demeure largement supérieur, creusant davantage le fossé entre les populations locales et leurs homologues de l’Hexagone.
Les dynamiques économiques nationales ne viennent guère apporter un souffle d’optimisme. En France métropolitaine , les prévisions pour 2025, établies par l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), dressent également un tableau sombre : une croissance pénalisée par la baisse des investissements des entreprises, une contraction de l’emploi et un recul du pouvoir d’achat individuel.
Si l’inflation devrait ralentir à 1,5 % en 2025, atteignant l’objectif fixé par la Banque Centrale Européenne, cette baisse ne suffira pas à compenser les effets négatifs d’une économie globalement stagnante pour ne pas dire en voie de récession .
Les prévisions tablent sur une croissance du PIB limitée à 0,2 % sur les deux premiers trimestres de l’année, un rythme insuffisant pour redresser une économie sous tension des très importants déficits budgétaires et de la dette abyssale.
Dans ce contexte, la consommation des ménages reste un facteur clé, mais elle demeure sous la menace des incertitudes politiques et économiques. L’épargne des ménages, bien que toujours élevée, devrait refluer légèrement, permettant une reprise modérée des dépenses.
Cependant, si les incertitudes persistent, le taux d’épargne pourrait rester à des niveaux élevés (6000 milliards d’euros) , étouffant davantage la consommation et limitant ainsi la croissance économique.
Aux Antilles, les répercussions de ce contexte national sont amplifiées par les spécificités locales. La faiblesse de la diversification économique, l’insularité, et la dépendance aux subventions et importations rendent ces territoires particulièrement vulnérables. Les perspectives d’investissement sont bridées par un climat d’incertitude, tandis que les initiatives de redressement budgétaire adoptées au niveau national pourraient peser lourdement sur les finances locales.
L’impact de ces mesures se traduira par une réduction des aides sociales et des financements publics, exacerbant les tensions sociales et freinant la relance économique avec une augmentation très probable des défaillances d’entreprises.
Face à ces défis, les solutions semblent complexes et nécessitent une approche globale. Relancer l’économie passe par un soutien accru aux entreprises locales, une modernisation des infrastructures, et une amélioration de la formation professionnelle pour répondre aux besoins spécifiques du marché du travail.
La lutte contre la pauvreté et les inégalités demandera plus de moyens financiers, mais également des politiques sociales plus inclusives, visant à réduire le coût de la vie et à faciliter l’accès aux services essentiels.
Cependant, l’absence de perspectives claires et les tensions croissantes entre les réalités locales et les décisions prises à Paris compliquent la mise en œuvre de telles politiques. Alors que le gouvernement hexagonal se concentre sur ses propres défis économiques, le risque est grand que les territoires ultramarins soient relégués au second plan.
Cette marginalisation pourrait renforcer un sentiment de déconnexion, alimentant les frustrations et les revendications .
En définitive, l’année 2025 s’annonce comme une période charnière pour les Antilles. Si les défis économiques et sociaux sont nombreux, ils mettent en lumière la nécessité d’une réponse adaptée et coordonnée, prenant en compte les spécificités locales et les aspirations de leurs populations.
Sans un engagement clair et des actions concrètes, la situation pourrait bien continuer à se détériorer, laissant ces territoires dans une impasse économique et sociale de plus en plus difficile à surmonter par les acteurs locaux. En effet, ces derniers ne comprennent pas que les temps ont changé avec la fin de l’ère de l’argent magique, et que les mutations technologiques et surtout sociétales font basculer la société dans une forte période d’incertitude.
Cela ne date pas d’aujourd’hui que l’évolution économique et sociale des territoires antillais, notamment la Martinique et la Guadeloupe, met en lumière des difficultés persistantes et aggravées : chômage élevé, pauvreté endémique, et stagnation économique structurelle , et pourtant que nenni, car rien ne change aux habitudes et attitudes conflictuelles de la classe politique envers l’État de qui on attend tout et son contraire même de façon irrationnelle .
Ces problématiques, loin d’être nouvelles, s’inscrivent dans une histoire marquée par la dépendance vis-à-vis de l’État central et une économie peu diversifiée. Pourtant, les syndicats, activistes et même certains élus notamment parmi les parlementaires semblent s’orienter davantage vers une posture contestataire, souvent centrée sur des griefs historiques, idéologiques ou globaux, plutôt que sur une approche pragmatique et tournée vers l’avenir de manière prospective.
Si cette posture critique trouve ses racines dans un héritage colonial et une méfiance institutionnelle, elle peut aussi être attribuée à l’effet paradoxal du modèle social français, qui agit à la fois comme un filet de sécurité pour l’ensemble des citoyens d’outre-mer et un frein à l’innovation locale.
Les sociétés martiniquaise et guadeloupéenne portent encore les stigmates d’un passé colonial marqué par l’exploitation économique et l’absence de contrôle sur leur propre destin. Cette histoire a forgé une relation ambivalente avec l’État français, perçu à la fois comme un garant indispensable des droits sociaux et un héritier des injustices historiques.
Dans ce contexte, les revendications des élus, des syndicats et des activistes locaux s’inscrivent souvent dans une continuité de luttes pour la reconnaissance et la réparation. Cependant, cette posture, bien que légitime dans son fondement, tend à détourner l’attention des réformes structurelles nécessaires du modèle économique pour s’adapter aux défis contemporains.
En privilégiant la dénonciation de l’État central ou des inégalités systémiques, les acteurs sociaux passent à côté de la nécessité de repenser l’économie locale, de diversifier les secteurs d’activité et de stimuler l’entrepreneuriat.
Le modèle social français, avec ses transferts sociaux, subventions et services publics, constitue un pilier essentiel pour lutter contre la pauvreté et garantir une stabilité minimale aux populations vulnérables. Cependant, ce système, en assurant un niveau de vie acceptable même en période de crise, peut avoir un effet paralysant.
En Martinique et en Guadeloupe, où près d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, ce filet de sécurité contribue paradoxalement à maintenir un statu quo politique et économique. Les syndicats, par ailleurs fortement attachés à la défense des acquis sociaux, concentrent leurs efforts sur la préservation de ce modèle par le moyen de grèves intempestives, au détriment d’une réflexion sur des solutions économiques innovantes et adaptées aux réalités locales.
Ce choix stratégique limite l’urgence ressentie pour engager des réformes profondes et réduit la mobilisation en faveur d’un renouveau économique.
L’économie des Antilles françaises, déjà exposée aux conséquences climatiques, repose largement sur des secteurs fragiles et dépendants, tels que le tourisme, l’agriculture (principalement la banane), et les services publics financés en grande partie par l’État. Cette dépendance structurelle limite la capacité des acteurs locaux à développer une économie autonome et dynamique.
Les syndicats, dont une part de la légitimité repose sur leur capacité à négocier avec Paris, se concentrent souvent sur des revendications nationales, comme l’augmentation des salaires ou le maintien des acquis et aides sociales, plutôt que sur des initiatives locales visant à diversifier l’économie. Cette stratégie, bien que politiquement efficace à court terme, entretient l’assistanat et une dépendance économique chronique envers la France hexagonale .
La tradition syndicaliste aux Antilles est profondément ancrée dans une culture de revendication sociale, héritée des luttes historiques contre les abus et les inégalités. Si cette culture a permis des avancées significatives dans la défense des droits des travailleurs, elle s’est également cristallisée autour d’un discours contestataire, davantage focalisé sur les responsabilités externes que sur les solutions internes.
Ainsi, face à des défis économiques pressants tels que le chômage des jeunes, le sous-emploi ou le coût de la vie, les syndicats semblent souvent ignorer l’urgence d’une refonte structurelle du modèle économique et social. Cette attitude contribue à perpétuer un cercle vicieux d’attentisme et d’inaction, où les solutions sont attendues exclusivement d’un l’État central pourtant aujourd’hui désargenté et endetté.
Par ailleurs, l’absence d’une vision stratégique commune pour le développement des Antilles limite la capacité des acteurs locaux à s’unir autour de projets économiques ambitieux et réalistes. Les débats publics, souvent fragmentés entre revendications identitaires, aspirations autonomistes et défense du modèle social, ne permettent pas de construire un consensus sur les priorités économiques.
Cette division affaiblit la force de proposition des territoires ultramarins dans leurs négociations avec l’État et réduit leur attractivité pour les investissements extérieurs.
Pourtant, dans le contexte économique actuel, où la France métropolitaine fait face à des défis majeurs tels que la faible croissance, le déficit budgétaire et une dette publique record, une approche plus pragmatique et collaborative pourrait bénéficier aux Antilles. Plutôt que de multiplier les critiques envers un État lui-même confronté à des contraintes budgétaires, les élus, syndicats et activistes gagneraient à développer une stratégie fondée sur des propositions concrètes et une coopération renforcée avec les institutions nationales.
Par exemple, plaider pour des investissements dans des secteurs stratégiques comme les énergies renouvelables, l’agroécologie ou le numérique, tout en démontrant leur potentiel de rentabilité à long terme, serait une approche plus constructive.
En somme, le filet de sécurité offert par le modèle social français, bien qu’indispensable, agit également comme un frein à l’innovation et à l’autonomie économique des territoires antillais. Les élus, syndicats et les activistes, en s’enfermant dans une posture critique et attentiste, passent à côté de l’opportunité de jouer un rôle moteur dans la transformation économique de leurs régions.
Une réorientation des priorités, soutenue par un dialogue ouvert et des actions coordonnées entre les acteurs locaux et l’État, est essentielle pour sortir de cette impasse. Il est temps que les Antilles françaises se libèrent de cette dépendance historique et envisagent un avenir fondé d’avantage sur une vision prospective des problèmes, sur l’innovation, la diversification économique et la responsabilité collective.
» Fo pa nou pwan dlo mousach pou lèt »
Traduction littérale :L’eau de la farine moussache n’est pas du lait.
Moralité : Il ne faut pas nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
*Economiste