Opinion. Contre le mépris, l’unité

PAR DIDIER DESTOUCHES*

On ne saurait vraiment dire si la visite du ministre Sébastien Lecornu sera historique, mais en tout cas il est sûr qu’elle fera date.

Ce ne sera pas parce qu’elle s’est soldée par un double échec (avec les syndicats et avec les élus locaux) concernant sa mission de rencontrer des acteurs de la crise, mais parce qu’elle a involontairement suscité une posture inédite dans l’histoire politique de la Guadeloupe : une unité de parole et de propositions de la part des principaux élus et exécutifs de Guadeloupe.

« Une véritable anarchie rôde
et plane sur les barrages. »


Même en 2009 on n’avait pas vu ça ! Il faut dire que le contexte est extrêmement tendu. Surtout pour une population prise en otage et quelque soit son niveau de soutien au collectif des organisations en lutte.

Exaspération et peur du lendemain embrasent coeurs et esprits. Une véritable anarchie rôde et plane sur les barrages leur donnant de plus en plus l’aspect de barricades inflammables.

L’approvisionnement en denrées et produits de première nécessité se fait de plus en plus aléatoire et rare.

L’autorité publique est désavouée et ridiculisée.

Le nécessaire maintien de l’ouverture des écoles, collèges et lycées a volé en éclat, et en ce matin de reprise en présenciel, la sinistrose et le silence ont remplacé les rires et les doigts levés des enfants.

Aucune avancée, aucune progression dans le conflit qui verrouille la Guadeloupe mais aussi la Martinique.

« Un État plus que fatigué qu’on lui demande de régler des problèmes
qui ne sont pas les siens. »


A quoi fallait-il s’attendre avec la visite du ministre des Outre-mer ? Tout simplement à l’accomplissement d’une mission de communication dont le message est que la Guadeloupe avec ses syndicats et ses élus, mais aussi sa population silencieuse ne méritait que sévérité, arrogance et mépris de la part d’un État plus que fatigué qu’on lui demande de régler des problèmes qui ne sont pas les siens.

Peu importe que le taux de chômage soit de 40% chez nos jeunes, les importations dix fois supérieures aux exportations, l’exode des jeunes diplômés, le sous équipement chronique en infrastructures de service public, la crise du secteur culturel, l’agriculture sinistrée, ou l’ empoisonnement massif des guadeloupéens par une molécule toxique; l’État a déjà fait son travail sur ces sujets selon le ministre et son gouvernement.

Seul compte le respect de la loi et le rétablissement de la circulation, du business et de l’ordre public. Nous pouvons après sa conférence de presse reconnaître au ministre une chose.

Jamais l’histoire coloniale de notre île ne s’était aussi bien incarnée dans un ton et un discours aussi lapidaire que le sien.

Et cette histoire coloniale a été et restera celle d’un mépris caractérisé par l’exaltation permanente d’un sentiment de supériorité des français de l’hexagone rendant inutiles toute écoute et compréhension du vécu de l’homme et de la femme guadeloupéens.

« Le chemin que nous empruntons
tous a désormais un parfum de 1802. »


Face à ce ministre, les syndicats légitimés par la force de frappe des associations et groupes à peaux carnavalesques qui savent mobiliser des guadeloupéens, et confortés par la même réalité d’atteinte à la dignité guadeloupéenne que celle qui avait prévalu au début de la crise de 2009; ont décidé de bétonner leur intransigeance et leur détermination à obtenir l’impossible en même temps que le nécessaire.

Le chemin que nous empruntons tous a désormais un parfum de 1802. En tout cas de la même volonté de s’enfermer dans un inconnu angoissant. Pourtant, contre toute attente une lueur s’est fait jour dans ces ténèbres grandissantes du mépris ambiant. Cette lueur est celle de l’unité de nos élus locaux.

Le collectif des élus ne semblait pour l’instant que pouvoir frapper en vain à la porte du ministre, avec des propositions dont celle de la domiciliation locale du pouvoir et qui reprise tactiquement par Sébastien Lecornu, a paru avec raison hors-sujet face aux revendications syndicales.

Cet épisode avait amplifié ce sentiment d’impuissance et de perte de la légitimité démocratique de nos élus face à un État qui affiche publiquement vis à vis d’eux une défiance exagérée.

« Une occasion historique de régler
le plus de problèmes possibles directement entre Guadeloupéens. »


À la faveur d’un communiqué cinglant du ministre exprimant cette défiance, les présidents de région et du département, les parlementaires, les présidents des communautés d’agglomération ont lumineusement choisi d’arrêter de frapper à la porte et d’agir enfin ensemble pour proposer des solutions pour notre jeunesse et d’autres problématiques urgentes.

D’aucun diront trop tard, d’autres diront jusqu’à quand ?… Il n’en demeure pas moins que la démonstration que l’unité et l’autonomie (d’action) sont possibles est faite.

Alors pouvons nous émettre cette modeste suggestion ? Celle que les syndicats mobilisés voient dans ce moment et cette attitude tant espérée de nos élus une occasion historique de régler le plus de problèmes possibles directement entre Guadeloupéens, sur la base de leur protocole de négociation, et de façon autonome et digne.

Et si il y’avait une plus noble cause que celle de faire rendre gorge à l’État ? Celle de prendre soin de nous mêmes et les uns des autres, avant tout.

Le mépris s’effacera face à l’unité et l’unité donnera plus de sens à toutes nos luttes, si divergentes et si semblables en même temps. Dès lors ce ne sont pas que les routes qui pourront être de nouveaux praticables, mais également les chemins ensoleillés de notre solidarité.

*Essayiste et poète

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