Opinion. Comment expliquer le retournement brutal du marché de l’immobilier aux Antilles et quelles seraient les conséquences ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’immobilier, longtemps considéré comme une valeur refuge en Guadeloupe et Martinique, est aujourd’hui confronté à des défis majeurs, qui menacent de bouleverser profondément ce marché autrefois florissant. 

Le marché immobilier en Guadeloupe et en Martinique, autrefois dynamique et résilient, est désormais gravement affecté par une crise profonde, marquée par une spirale inflationniste des coûts de construction. Ce phénomène, qui touche de plein fouet les Antilles, freine considérablement l’accès à la propriété pour une grande partie de la population et compromet les perspectives de développement du secteur.

D’après l’Insee, le coût de construction immobilière a augmenté de 30 % depuis 2020 aux Antilles. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour expliquer cette situation. Le facteur principal est l’inflation due au déclenchement de la guerre en Ukraine et aux ruptures des chaînes de production post-crise sanitaire.

Les terrains dans les lotissements, autrefois accessibles, deviennent aujourd’hui hors de portée pour beaucoup d’Antillais de la classe moyenne en raison de la flambée des prix, liée en grande partie à l’explosion des coûts des matériaux de construction. Ce contexte exacerbe les inégalités sociales et les tensions identitaires.

Tout cela met aussi en péril l’équilibre économique local. La construction immobilière, secteur clé pour l’économie guadeloupéenne et martiniquaise, se trouve désormais dans une situation délicate. Les prix des matériaux, tels que le béton, l’acier, le bois, et autres indispensables au bâtiment, ont connu des augmentations spectaculaires ces dernières années.

Ces hausses, alimentées par des facteurs mondiaux tels que les perturbations des chaînes d’approvisionnement dues à la pandémie de COVID-19, les tensions géopolitiques imputables à la guerre Russie/ Ukraine, et la montée des coûts de l’énergie, se répercutent directement sur le prix final des constructions. Ce phénomène est d’autant plus marqué dans les territoires insulaires comme la Guadeloupe et la Martinique, où l’importation de matériaux ajoute une couche supplémentaire de coûts, en raison du transport et des taxes.

Cette hausse des coûts de construction a un effet domino sur le marché immobilier local. Les promoteurs immobiliers, confrontés à l’augmentation des prix des matériaux, se voient contraints de répercuter ces surcoûts sur le prix de vente des logements neufs. En conséquence, les terrains dans les lotissements, qui étaient autrefois abordables, voient leur valeur s’envoler, rendant l’accession à la propriété de plus en plus difficile pour les ménages.

Ceux qui espéraient construire leur maison doivent désormais revoir leurs projets à la baisse, ou, dans le pire des cas, les abandonner complètement.

L’inflation galopante des coûts de construction crée également une situation paradoxale sur le marché immobilier de la construction des logements sociaux : bien que la demande pour de nouveaux logements reste élevée, l’offre peine à suivre, non pas par manque d’intérêt des promoteurs, mais en raison des difficultés financières croissantes des sociétés immobilières pour réaliser des projets viables.

Les banques, de leur côté, deviennent plus frileuses à accorder des prêts pour des constructions dont les coûts risquent de continuer à augmenter, augmentant ainsi les risques pour les emprunteurs. Cette situation crée un cercle vicieux où la tension sur le marché immobilier ne fait que s’accentuer.

Les répercussions sociales de cette situation sont significatives. La hausse des prix des terrains et des coûts de construction contribue à accentuer les disparités économiques et sociales dans les sociétés antillaises. Les ménages les plus modestes, déjà fragilisés par un contexte économique difficile, se retrouvent exclus du marché immobilier, contraints de renoncer à leur rêve de devenir propriétaires. Cette situation créé des frustrations et alimente la xénophobie.

Ceux qui parviennent à accéder à la propriété le font souvent au prix de lourds sacrifices financiers, avec des prêts sur de longues durées, qui pèsent sur leur pouvoir d’achat et leur qualité de vie.Les pouvoirs publics locaux, conscients de l’ampleur du problème, tentent d’apporter des solutions, mais celles-ci se révèlent souvent insuffisantes face à l’ampleur des défis.

Des dispositifs d’aide à l’accession à la propriété ou des subventions pour les matériaux de construction dans le cadre de rénovation de l’habitat insalubre ont été mis en place, mais ils ne parviennent pas à compenser totalement l’inflation des coûts. De plus, la complexité administrative et les délais de mise en œuvre de ces aides limitent leur efficacité, laissant de nombreux ménages dans l’incertitude.

Par ailleurs, cette crise du marché immobilier freine également les projets de développement urbain et rural, qui sont pourtant essentiels pour répondre aux besoins en logements et soutenir la croissance économique des îles. Les collectivités locales se retrouvent aussi confrontées à des coûts d’aménagement qui explosent, rendant certains projets de lotissements ou de rénovation urbaine financièrement inaccessibles.

Cette situation risque de freiner durablement le développement des infrastructures et l’amélioration des conditions de vie dans certaines zones.Le marché immobilier en Guadeloupe et en Martinique est donc désormais grippé, pris dans une spirale inflationniste qui touche à la fois les coûts de construction et le prix des terrains.

Cette crise menace non seulement l’accès à la propriété pour une grande partie de la population, mais elle compromet également les perspectives de développement économique et social des îles. Si aucune solution efficace n’est trouvée pour enrayer cette dynamique, le marché immobilier local pourrait s’enliser durablement, avec des conséquences potentiellement graves pour les Antilles. Il est donc crucial que les autorités locales, en concertation avec les acteurs du secteur, mettent en place des mesures adaptées pour freiner cette inflation des coûts et redonner un nouvel élan à un marché immobilier en grande difficulté.

Pourtant , pendant des décennies, le secteur a prospéré aux Antilles, notamment grâce aux dispositifs de défiscalisation comme la loi Pons dans les années 80 et 90 et l’augmentation sensible de la ligne budgétaire consacrée à la construction de logements sociaux.

Cependant, cette période de prospérité semble désormais révolue, à l’image de ce qui se passe en France hexagonale, où le marché immobilier traverse une crise sans précédent. Par ailleurs, pour ne rien arranger, le marché immobilier de la résidence secondaire touristique aux Antilles connaît actuellement une chute libre, et plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance préoccupante. Parmi les raisons principales, on retrouve effectivement la moindre attractivité des dispositifs de défiscalisation, mais aussi un climat d’incertitude politique et économique qui dissuade les investisseurs.

Tout d’abord, les dispositifs de défiscalisation, qui ont longtemps été un moteur essentiel pour l’investissement immobilier dans les territoires d’outre-mer, ont progressivement perdu de leur attrait. Des lois telles que la loi Pons dans les années 80 et 90, puis la loi Girardin, avaient permis de dynamiser le marché en offrant des avantages fiscaux substantiels aux investisseurs. Cependant, ces dispositifs ont subi des réformes successives, réduisant peu à peu leur efficacité et leur capacité à attirer de nouveaux investisseurs. Les conditions d’accès à ces aides fiscales sont devenues plus strictes, et les avantages fiscaux de la loi Pinel se sont amoindris, ce qui a eu pour effet de diminuer l’intérêt pour l’investissement dans les résidences secondaires touristiques aux Antilles.

Ensuite, la crainte d’investir dans un climat perçu comme instable joue un rôle non négligeable dans la désaffection des investisseurs. Les émeutes en Nouvelle-Calédonie, bien qu’éloignées géographiquement des Antilles, ont pu renforcer une perception d’insécurité concernant l’investissement dans les territoires d’Outre-mer en général. Ces événements ont mis en lumière les tensions sociales et politiques qui peuvent exister dans ces régions, créant un climat de méfiance chez les investisseurs potentiels. Cette peur est exacerbée par des incertitudes locales spécifiques aux Antilles, telles que les questions de gouvernance avec l’éventualité d’une autonomie, les mouvements sociaux liés à la vie chère ou les risques naturels (ouragans, séismes), qui peuvent rendre les perspectives d’investissement moins attrayantes.Par ailleurs, l’évolution du marché touristique global joue également un rôle.

La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 a bouleversé les habitudes de voyage et a entraîné une diminution de la demande pour les résidences secondaires touristiques dans des régions éloignées, souvent perçues comme plus difficiles d’accès en période de restrictions. De nombreux investisseurs préfèrent désormais se tourner vers des destinations plus proches, moins exposées aux aléas climatiques et sociaux, et où le retour sur investissement semble plus sûr.

Enfin, le coût de la vie élevé et l’incertitude économique qui pèse sur de nombreux ménages rendent l’acquisition d’une résidence secondaire aux Antilles moins prioritaire pour les métropolitains.

Dans ce contexte, même si la situation en Nouvelle-Calédonie a pu alimenter une certaine frilosité, c’est surtout la combinaison d’une moindre attractivité des dispositifs de défiscalisation, d’une perception accrue des risques d’investir dans des territoires d’Outre-mer, et des changements dans le secteur touristique qui explique la chute du marché immobilier de la résidence secondaire touristique aux Antilles.

Selon nous, la solution d’une reprise réside dans une correction des prix. En effet, malgré une baisse de 7% déjà constatée, les prix doivent continuer à diminuer pour permettre une reprise du marché, freiné par une offre limitée et une demande en chute libre. Cette situation est exacerbée par l’incertitude économique ambiante, qui pèse lourdement sur les décisions des acheteurs potentiels. Le président d’ORPI a précisé que même si cette baisse des prix sera modérée en raison de la tension sur l’offre, elle est indispensable pour débloquer les ventes et redonner de la vigueur au secteur.

Aux Antilles, malgré une récente baisse des taux d’intérêt initiée par la Banque centrale européenne, le marché reste englué dans une inertie persistante. Les vendeurs, souvent réticents à ajuster leurs prix à la baisse, contribuent à cette stagnation, freinant ainsi toute reprise significative. Pourtant, une révision des attentes des vendeurs est jugée essentielle pour que les transactions reprennent un rythme normal, et c’est ce message que le réseau Orpi tente de faire passer auprès de sa clientèle.

Malgré ces défis, il reste un certain optimisme quant à la capacité du marché à se stabiliser, à condition que les acteurs acceptent de s’adapter aux nouvelles réalités économiques.Cependant, la crise ne se limite pas à une simple correction des prix. Le secteur immobilier subit un véritable séisme, marqué par une vague de faillites parmi les professionnels du secteur.

En France hexagonale, plus de 1 120 agences immobilières ont fermé leurs portes au cours des douze derniers mois, soit une augmentation de 112% par rapport à l’année précédente. Ce chiffre alarmant témoigne de l’ampleur de la crise, qui touche également les agents commerciaux indépendants. Ces faillites rappellent les heures sombres de la crise des subprimes de 2008, mais avec une intensité encore plus grande.

Aux Antilles, la situation semble pouvoir suivre une trajectoire similaire. Les agents immobiliers, autrefois moteurs d’un marché dynamique, sont aujourd’hui confrontés à des perspectives de plus en plus sombres. Certains se tournent même vers une reconversion professionnelle, tant la situation devient intenable. Les fermetures d’agences et la diminution des transactions traduisent une réalité implacable : le secteur immobilier, autrefois bastion de stabilité, est désormais en grande difficulté.

Ainsi, le marché immobilier français, y compris aux Antilles, traverse une période de mutation profonde, marquée par des baisses de prix et des faillites en série. Cette crise, loin d’être passagère, pourrait bien redéfinir les contours du secteur pour les années à venir. Si des signes de reprise peuvent éventuellement émerger, ils seront conditionnés à une acceptation généralisée de la nécessité d’ajuster les prix et à une stabilisation économique et politique.

Les mois à venir seront cruciaux pour l’avenir de l’immobilier en Guadeloupe et en Martinique alors que le secteur peine à se réinventer face à des défis sans précédent.

 » Bèf dèyè ka bwè dlo sal  » .

Traduction littérale :Le bœuf de derrière boit de l’eau sale.

Moralité : Les derniers arrivés notamment les jeunes ont les mauvais restes en matière de consommation…

Cf. « Bèf douvan bwè dlo klè. »

*Economiste

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