Opinion. « C’est la révision constitutionnelle qui peut élargir le champ de nos possibles »

par Victorin LUREL

Dans un grand discours à Nouméa le 26 juillet dernier, le président de la République a confirmé ce que nous annoncions depuis plusieurs mois : une révision de la Constitution de la Ve République aura bien lieu afin de réécrire le titre spécifique qui y est consacré à la Nouvelle-Calédonie.

Mais, la vraie nouveauté dans cette annonce, c’est que le chef de l’Etat a levé un coin du voile sur le timing qu’il entend fixer pour cette révision. Ce sera « début 2024 », voire dès le mois de janvier, soit une date en définitive bien plus rapprochée que d’aucuns l’auraient cru, ou espéré.

En effet, Emmanuel Macron a ses priorités. Et, s’agissant de la Nouvelle-Calédonie, il souhaite réviser la Constitution au plus vite afin de pouvoir procéder au « dégel du corps électoral » avant les élections provinciales prévues en mai 2024 et élargir celui-ci à des arrivants de plus fraîche date sur le « Caillou ».

Mais, au-delà de la complexe question calédonienne, cette accélération du processus n’est pas sans conséquence pour la Guadeloupe.

Car, lors de la rencontre des élus des Outre-mer avec le président de la République à l’Elysée en septembre 2022, nous avions collectivement plaidé pour que cette fenêtre de révision constitutionnelle puisse concerner également les autres territoires ultramarins.

Pour ma part, j’avais beaucoup insisté pour que cette révision soit l’occasion de réécrire les articles 73 et 74 avec un double objectif : d’une part permettre à chaque territoire de disposer d’un statut selon le degré d’autonomie de son choix ; et, d’autre part, modifier les modalités d’évolution institutionnelle et statutaire — actuellement trop rigides avec bien trop d’incertitudes — afin que les peuples soient désormais appelés à se prononcer en toute connaissance sur le contenu d’un projet de loi organique
définissant très précisément à la fois les compétences revendiquées à l’échelon locale et l’organisation institutionnelle retenue pour les exercer.

Ainsi, ce soir là, j’avais défendu devant le président de la République la position que nous sommes les premiers, à la Fédération guadeloupéenne du Parti socialiste, à avoir exposé lors du XVe Congrès des élus de juin 2019 que nous avions initié pour relancer le débat institutionnel et statutaire. Déjà à l’époque, nous nous inscrivions dans la perspective d’une possible révision constitutionnelle à laquelle le président de la République avait dû finalement renoncer.

Depuis, les exécutifs de la Région et du Département se sont fort heureusement décidés à relancer les travaux du congrès à la faveur de la déclaration de Fort-de-France. Et si nous avons pu regretter qu’il ait fallu attendre trois ans pour cela, nous avons accueilli très favorablement cette volonté.

L’ennui, c’est qu’après plusieurs mois de travaux au sein d’une commission ad hoc au fonctionnement pas toujours régulier ni très bien cadré, et à l’issue des travaux du XVIIe congrès de juin dernier, force est de constater que le prisme de nos exécutifs s’est rapidement éloigné de cette perspective de révision constitutionnelle.

Certes, il fallait travailler sur les propositions à transmettre au Comité interministériel des Outre-mer. Nous l’avons fait et les socialistes y ont très largement contribué.

Mais, sur la question de la gouvernance, la peur et le calcul l’ont visiblement et malheureusement emporté sur la sagesse et l’audace : rien ou si peu a été évoqué dans les débats du Congrès sur cette révision constitutionnelle qui s’annonçait pourtant.

Comme si un projet de collectivité unique devait — comme en 2003 — absolument constituer l’alpha et l’oméga de nos réflexions…

Rien pour éclairer les élus et, au-delà, les citoyens sur l’intérêt de cette révision.

Rien pour expliquer ce que nous avons à gagner à une réécriture des articles 73 et 74, voire à les fusionner.

Rien pour nourrir la réflexion et les propositions des parlementaires qui seront en première ligne lorsqu’il s’agira de rédiger les propositions d’amendement à la Constitution ?

Rien pour présenter les différentes propositions qui circulent déjà depuis plusieurs mois (celle du constitutionnaliste Didier Maus, celle du magistrat Stéphane Diemert, celle du groupe LR du Sénat).

Rien, donc, pour éclairer des choix que nous aurons à faire si nous ne voulons pas que d’autres les fassent à notre place.

De sorte qu’aujourd’hui, il est permis d’affirmer et la franchise que l’on me connaît m’oblige à le dire : nous ne sommes pas prêts.

Nous ne sommes pas prêts alors que l’Histoire s’accélère. Nous ne sommes pas prêts alors que les sénateurs sont en campagne pour le renouvellement prévu le 24 septembre 2023 et qu’un véritable travail ne pourra commencer avec eux au mieux qu’en octobre.

Ce qui nous laissera à peine trois mois pour éviter que Paris décide à notre place soit de faire, soit de ne rien faire.

Ce sont là des questions qui m’animent depuis trop longtemps pour que je m’alarme pas du risque qu’il y a à passer à côté de cette opportunité alors que d’autres territoires comme la Martinique et la Guyane apparaissent bien plus avancés et bien plus au clair sur ce qu’ils veulent.

Avec mon parti, tant au niveau national que guadeloupéen, nous avons engagé un travail important de réflexion et d’actualisation de notre logiciel qui se trouve traduit dans notre contribution au XVIIe Congrès intitulée « Elargir le champ des possibles ».

Et c’est fort de ce travail que je me permets d’inviter nos collègues élus à se poser les bonnes questions, à ne pas se tromper de priorité, et à recentrer très vite nos travaux sur la révision constitutionnelle qui s’annonce.

C’est en effet elle qui élargit le champ de nos possibles.

*Sénateur de la Guadeloupe
Conseiller régional « Péyi Gwadloup »

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