PAR JEAN-MARIE NOL
La question de l’autonomie aux Antilles françaises est un débat ancien, complexe et récurrent qui soulève des enjeux profonds pour la Guadeloupe et la Martinique.
Elle se situe à la croisée de deux axes essentiels : la vieille lune de l’autonomie politique d’un côté, qui concerne la capacité des territoires post coloniaux à prendre en main leur propre destin institutionnel et législatif, et l’autonomie économique et financière de l’autre, qui renvoie à leur capacité à développer des structures économiques autosuffisantes et résilientes à l’aide d’un nouveau modèle de développement.
Si ces deux dimensions peuvent sembler indissociables, elles apparaissent souvent comme des trajectoires distinctes, voire opposées, dans le contexte antillais. Cette tension entre la volonté d’une plus grande autonomie politique des élus locaux de Guadeloupe et Martinique et la réalité d’une dépendance économique forte vis-à-vis de la France hexagonale soulève des interrogations sur la voie à suivre pour garantir un développement pérenne et durable pour ces pays.
Historiquement, les Antilles françaises ont connu un modèle de développement marqué par une forte centralisation des décisions et des ressources en raison du fait colonial. Depuis la départementalisation en 1946, la Guadeloupe et la Martinique ont été intégrées au système politico-administratif français, avec un cadre institutionnel calqué sur celui de l’Hexagone. Cette centralisation a permis, pendant plusieurs décennies, de répondre aux besoins des populations locales en matière de mieux être social, de santé, d’éducation ou d’infrastructures.
Les transferts financiers massifs en provenance de la France ont joué un rôle crucial dans l’amélioration des conditions de vie. Cependant, cette intégration a également conduit à une dépendance économique structurelle. L’économie antillaise, fondée principalement sur la mono-industrie de la canne, de la banane et du tourisme, reste vulnérable aux fluctuations des marchés internationaux, et l’absence d’un tissu économique diversifié rend ces territoires largement dépendants des aides publiques.
C’est dans ce contexte que la question de l’autonomie politique a resurgi avec force au fil des décennies. Pour certains mouvements politiques et acteurs sociaux, l’autonomie politique apparaît comme la condition sine qua non pour envisager une véritable émancipation des Antilles. Cette position se fonde sur l’idée que seule une gouvernance locale, libérée des contraintes de la centralisation parisienne, pourrait permettre de répondre efficacement aux besoins spécifiques des populations antillaises.
Le contrôle de l’administration, des politiques publiques et des ressources locales offrirait, selon eux, la marge de manœuvre nécessaire pour élaborer des stratégies de développement adaptées aux réalités insulaires. Cependant, cette vision se heurte à une réalité incontournable : l’autonomie politique que je considère comme un leurre à partir de l’enseignement qui nous est donné par l’exemple de la nouvelle Calédonie en faillite totale sur tous les plans, ne saurait, à elle seule, garantir l’autonomie économique et financière.
En effet, la dépendance économique et financière des Antilles vis-à-vis de la France hexagonale est un obstacle majeur à toute aspiration à une autonomie politique pleine et entière. Nous sommes bien en présence d’un carcan qui me semble insurmontable en l’espèce. Les transferts financiers de l’État français et de l’Europe, qui prennent la forme de subventions, d’aides sociales et de financements pour les infrastructures, constituent une part significative des budgets locaux.
Cette manne financière est cruciale pour maintenir un niveau de vie acceptable et pour amortir les chocs économiques liés aux crises nationale et internationale.
Dans ce cadre, l’autonomie politique pourrait rapidement se transformer en un exercice périlleux si elle n’est pas soutenue au préalable par une économie locale robuste. Le risque serait de voir les Antilles confrontées à une situation à la Nouvelle-Calédonie où, malgré une plus grande liberté institutionnelle, les moyens financiers pour exercer cette autonomie feraient défaut, entraînant un appauvrissement général.
Ainsi , selon le journal Le Monde, tout aujourd’hui n’est plus que désolation économique et désenchantement de l’autonomie en Nouvelle-Calédonie. Le secteur du nickel, qui est la principale source de richesse en Nouvelle-Calédonie, est en faillite et l’usine du Nord portée par les indépendantistes qui était le projet phare du rééquilibrage économique entre Nord indépendantiste et Sud loyaliste, est lourdement endettée et fermera ses portes le 31 août, laissant 1 200 salariés sur le carreau et qui rejoindront les 600 salariés de la sous-traitance déjà sans emploi.
Une catastrophe dans un contexte de crise économique majeure, l’archipel étant en proie depuis mai à des violences qui ont fait au bas mot 2,2 milliards d’euros de dégâts et obscurci durablement les perspectives d’avenir. Le dilemme est donc le suivant : comment articuler une quête d’autonomie politique avec la nécessité de garantir une autonomie économique et financière suffisante pour éviter un affaiblissement des territoires et une paupérisation générale de la population ?
Pour ce qui nous concerne, l’autonomie politique doit nécessairement être envisagée de manière progressive et conditionnée au renforcement des capacités économiques locales. Avant de réclamer davantage de compétences institutionnelles, il conviendrait d’abord de consolider les secteurs productifs, de diversifier l’économie et de réduire la dépendance aux transferts financiers extérieurs.
La priorité serait alors de repenser les modèles de développement économique pour créer un tissu économique résilient capable de subvenir aux besoins locaux tout en s’intégrant aux dynamiques régionales caribéennes. Cette perspective implique de valoriser les ressources endogènes, de renforcer l’agriculture locale qui n’est plus qu’une ombre trompeuse, de soutenir l’entrepreneuriat et de développer des secteurs innovants tels que les énergies renouvelables, la transformation agroalimentaire ou encore les industries technologiques créatives.
Néanmoins, l’idée d’une autonomie économique sans autonomie politique pose également question. Comment réussir à mettre en place des politiques économiques véritablement adaptées aux spécificités locales si la prise de décision reste largement contrôlée depuis Paris ? Les choix stratégiques en matière d’investissement, de fiscalité ou de réglementation demeurent, pour une grande part, déterminés par des instances éloignées des réalités antillaises.
Cette contradiction alimente la frustration et le sentiment d’injustice parmi ceux qui prônent une plus grande responsabilisation des élus locaux. En ce sens, il est possible de voir l’autonomie politique non pas comme une fin en soi, mais comme un levier indispensable pour réussir la transition économique à partir des habilitations. Une gouvernance locale renforcée pourrait, sous certaines conditions, permettre de mieux allouer les ressources, de mobiliser les talents locaux et de valoriser les potentialités spécifiques des territoires.
Au final, le débat sur l’autonomie politique versus l’autonomie économique et financière aux Antilles françaises est loin d’être tranché. Il met en lumière une tension fondamentale entre une aspiration à l’émancipation politique et une réalité économique contraignante qui va à l’encontre de l’idéologie dominante des tenants de l’autonomie étape vers l’indépendance. Mais, comment peut-on faire preuve d’autant de naïveté pour croire que le gouvernement de la France est aveugle sur cette thématique de la volonté à terme de libération nationale.
L’effet boomerang dans ce cas de figure serait bien l’asphyxie financière programmée de la Guadeloupe et Martinique pour contrer toute velléités de souveraineté nationale. Pour dépasser cette dichotomie, il est sans doute nécessaire d’adopter une approche pragmatique et graduelle, combinant un renforcement progressif des compétences locales avec un développement économique plus endogène. Cette démarche pourrait permettre de sortir de la dépendance structurelle tout en évitant les écueils d’une autonomie politique non soutenue par des fondements économiques solides.
Ce défi, complexe et de longue haleine, nécessite une vision stratégique et surtout prospective et un engagement collectif pour tracer la voie d’un avenir où les Antilles puissent conjuguer responsabilité politique et prospérité économique .
» Bèt’ ki ni ké pa ka jambé difé ».
Traduction littérale : Les animaux qui ont des queues n’enjambent pas le feu.
Moralité : Il faut agir selon ses propres capacités et moyens .
*Economiste