Opinion. Au feu les pompiers !

PAR PIERRE SAINTE-LUCE

Le variant OMICRON débute son expansion et constitue une crainte pour les gouvernements du monde entier,

La France fait face à une nouvelle vague COVID, avec plus de 50 000 cas positifs par jour, impactant la stratégie vaccinale,

Les vaccinodromes sont pris d’assaut. 

Pendant, ce temps-là, les Francais des Antilles se battent pour se soustraire à la loi du 5 aout 2021 relative à l’obligation vaccinale pour une catégories de salariés en contact avec les personnes fragiles et au passe sanitaire.

Pourtant, aux Antilles, la COVID n’est pas une vue de l’esprit !

La Guadeloupe a payé un lourd tribut face à la maladie avec plus de 800 morts dont 596 lors de la 4e vague, engendrant une saturation des morgues et tellement de souffrance pour les familles endeuillées. C’était hier, au mois d’août 2021.

Les Guadeloupéens et Martiniquais ont bénéficié d’une solidarité nationale majeure de la part des soignants de l’Hexagone venus au chevet de ceux qui, aujourd’hui, brûlent, pillent, ne laissent pas passer les ambulances transportant des dialysés et des malades graves, au mépris des lois humanitaires. Au mépris de la simple humanité. 

Sur les multiples barrages, on agresse des soignants qui ne peuvent se rendre dans les hôpitaux.
Dès lors ceux-ci fonctionnent selon le mode dégradé d’un plan blanc.

VOILA QUE L’ON OUBLIE 

QUE dans le même temps, les élèves et les étudiants sont privés de cours. 

ALORS QUE le pourcentage de sorties précoces du système scolaire pour les 18-24 ans est supérieur à la moyenne nationale : en 2019, 14.5% en Guadeloupe, 14.8% en Martinique contre 8.2% dans l’Hexagone.

QUE le total des jeunes sans diplôme est de 50% dans les Outre-mer contre 32% dans l’Hexagone. 

QUE le taux d’illettrisme sur le territoire national est de 11% contre 30 % en Guadeloupe et 35 % en Martinique.

QUE les administrations fonctionnent au ralenti. 

QUE les personnels de services, indispensables au fonctionnement de l’administration publique, se retrouvent bloqués à la maison.

QUE les entreprises ne peuvent pas fonctionner et que leurs salariés sont entravés et sans ressources depuis des semaines, ce qui aggrave la crise économique qui couvait depuis le début de la pandémie COVID.

Peu de personnes sont conscientes de la souffrance morale des commerçants, chefs d’entreprises, de leurs salariés ; des psychoses post-traumatiques que vivent des hommes et des femmes qui ont vu partir en fumée le travail d’une vie, voire de plusieurs générations, si bien que certains d’entre eux doivent être pris en charge par des cellules psychologiques avec l’aide de la Chambre de Commerce et d’Industrie.

Les alertes restées sans réponse

Depuis le début du mois de juillet 2021, les images des manifestations contre l’obligation vaccinale et le passe sanitaire se sont multipliées dans toute la Guadeloupe.

Le comble a été atteint au spectacle de sapeurs-pompiers défilant, en tenue de service, au volant de véhicules d’intervention, pouvant empêcher la circulation des malades et pouvant mettre le pronostic vital de certains en danger.

ALORS MEME QUE leur mission de service public est de sauver des vies.

ALORS MEME QUE la profession de sapeur-pompier est jugée la plus populaire du monde (90% de taux de confiance dans le monde, 99% en France). Les sapeurs-pompiers sont considérés comme des héros du quotidien. Ils sont respectés et admirés. 

Les sapeurs-pompiers de Guadeloupe ont dressé des barrages, en face de l’entrée de la caserne, à Perrin. Ils ont organisé un grand convoi dans l’agglomération pointoise, en opération escargot, durant plusieurs heures. Ils ont affronté les forces de l’ordre à coups de lances à eau. 

Devant tant de mépris pour la population, le président du Conseil départemental et le président du conseil d’administration du SDIS ont publié un communiqué dans lequel ils « déplorent et condamnent fermement les incidents qui se déroulent, depuis le lundi 15 novembre 2021 ».

Cette mise en garde est restée lettre morte. La protection minimale de nos concitoyens n’a pas été assurée.

De plus, l’exécutif du SDIS a dénoncé l’utilisation non autorisée des uniformes et du matériel du SDIS.

Le ministre de l’Outre Mer, lui-même président du conseil départemental de l’Eure et donc président du SDIS de ce département, aurait du être plus vigilant et anticiper l’embrasement en gestation, à partir de ces défilés de sapeurs-ompiers.

Le comportement devoyé des sapeurs-pompiers a probablement déshinibé les casseurs.

Je l’ai dénoncé avec force dans un article intitulé « Anmwé », paru le 9 aout 2021 dans les journaux de Martinique et de Guadeloupe.

Certains font leur devoir – Les médecins en première ligne

Cependant d’autres corps de métiers se sont manifestés pour éveiller les conciences. 

Les médecins ont fait leur part dans la prise en charge des malades COVID-19 et dans l’incitation à la vaccination. Pour preuve « le mur » : les interview-spots de plus de 100 médécins, vaccinés, ont été diffusés dès mai 2021 sur les stations de télévision et sur les réseaux sociaux. Y ont également participé les pharmaciens et quelques infirmières libérales.

Ils ont pris cette initiative au regard de leur connaissance de la culture de leur territoire, de leur implication dans le tissu social, de l’amour qu’ils portent à leurs patients.

Les médecins ont spontanément compris qu’ils étaient dans un environnement de traditions, d’identités singulières construites sur les temps longs de l’esclavage et de la décolonisation.

Les institutions, l’Agence Régionale de Santé et les organisations patronales ont payé des campagnes  d’information dans les journaux et dans l’espace public en faveur de la vaccination.

Les membres du collectif Covid Urgences Outremer (médecins, scientifiques) ont sollicité le Groupement (CNAM, ANSM) d’Intérêt Scientifique EPI-PHARE du Pr Mahmoud Zureik pour évaluer les effets de la vaccination en termes d’hospitalisation et de décès liés à la COVID-19, en Guadeloupe et en Martinique. Les résultats sont édifiants.

73 401 personnes vaccinées et domiciliées en Guadeloupe et 68 135 en Martinique ont été suivies du 1er janvier au 31 août 2021. Ces personnes vaccinées ont été comparées au même nombre de personnes non vaccinées, de même âge, de même sexe et ayant un profil de comorbidité similaire.

  • En Martinique, on observe une réduction de 91 % du risque d’hospitalisation et une réduction de 93 % du risque de décès. Cela voudrait dire que la vaccination aurait pu éviter 2 264 hospitalisations et 511 décès.
  • En Guadeloupe, on observe une réduction de 90 % du risque d’hospitalisation et une réduction de 94 % du risque de décès. Cela voudrait dire que la vaccination aurait pu éviter 1 229 hospitalisations et 339 décès.

Devant une telle démonstration en vie réelle de l’efficacité de la vaccination contre la COVID-19 dans nos régions, comment ne pas poursuivre le travail de persuasion, d’éducation entamé par les médecins ?

Et comment se comportent nos voisins de la Caraïbe ? 

Nos voisins carribééens, anciennes colonnies devenues indépendantes (GRENADE, TRINIDAD, BARBADE, DOMINIQUE) n’ont pas connu ce genre de révoltes et de saccages.

A un quart d’heure d’avion de la Guadeloupe, l’ile d’Antigua (60 000 habitants) a introduit la vaccination obligatoire pour l’ensemble de sa population dans l’objectif de protéger sa population et redémarrer l’économie du pays.

Les fonctionnaires d’État, y compris les agents de police, avaient jusqu’au 20 septembre 2021 pour se faire vacciner contre la Covid-19. 

Le gouvernement a mis en place un système de certificat vaccinal avec une photo d’identité.

A Saint-Vincent et les Grenadines, petit chapelet d’iles, jadis françaises, au sud de la Martinique, avec aujourd’hui 102 000 habitants et une démocratie parlementaire, les autorités ont pris des mesures drastiques contre la COVID-19 pour la population : depuis le vendredi 3 décembre 2021, les fonctionnaires d’état non vaccinés sont licenciés.

Et le Premier ministre Ralph Gonsalves de s’exprimer en ces termes : « S’ils ne prennent pas le vaccin, on estime qu’ils ont abandonné leurs postes de travail. »

Dans toutes ces iles, indépendantes, au pouvoir d’achat bien inférieur au notre, qui ne peuvent pas s’appuyer sur un état providence, la vaccination de la population est près de deux fois supérieure à celle de la Guadeloupe et de la Martinique (proche de 60%).

La réparation

Pourra-t-on, après avoir averti les sapeurs-pompiers sur les fautes professionnelles qu’ils ont commises de façon répétée, les exonérer de toute sanction ?

Alors viendra le temps de la réparation, le temps du paiement de leur dette envers la population.

Cette réparation est de l’ordre de la morale. Elle a pour objectif de provoquer un processus de transformation des comportements pour éviter la récidive.

Le sapeur-pompier « barreur », celui qui entravait le passage des chemins qui menaient aux hôpitaux, celui « qui a mis le feu » dans le pays, doit rendre des comptes.

Article 1240 du Code Civil – article 1382 jusqu’à la réforme du droit des obligations entrée en vigueur au 1er octobre 2016 – pose le principe de la responsabilité du fait personnel. « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le         réparer ». En d’autres termes, lorsque la faute d’une personne cause un préjudice à un tiers, le responsable doit indemniser la victime.

On pourrait évoquer la perte de chance de tous ces malades qui n’ont pas pu obtenir des soins adaptés à leur état. Un collectif de malades qui s’attèlerait à cette tache pourrait obtenir de lourds dédommagements financiers.

Tout au moins, le sapeur-pompier fautif, le sapeur-pompier qui sera reconnu comme délinquant par la Justice, pourrait être amené à effectuer un travail gratuit dans une association ou un service public

Nous croyons que les membres de ce corps professionnel ont pris la mesure des dégâts moraux et matériels dont ils sont à l’origine. Ils ne feront pas obstacle à leur sanction.

La maladie COVID-19 est une maladie grave, mortelle, qui continue à mobiliser les soignants du monde entier, des soignants exténués dont le professionnalisme et le dévouement méritent d’être salués.

*Docteur en Médecine
Docteur en Sociologie
Président honoraire de la compagnie des Experts près la Cour d’Appel de Basse-Terre

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