Opinion. « Après la colère, la reconstruction. Nous en sommes capables en Guadeloupe »

Question d’actualité, l’autonomie de la Guadeloupe fait réagir le CIPPA (Comité d’Initiative pour un Projet Politique Alternatif).

Les récents propos du ministre des Outre-mer, sur la possibilité d’une autonomie octroyée à la Guadeloupe, nous interpellent. Cette colère qui ne s’exprime pas dans des termes purement politiques réclame bien un changement. Elle souligne la prise de conscience du décalage entre ce que nous sommes sur le papier et le traitement qui nous est réservé.

  • Un déphasage entre la manière dont les politiques locales ont géré et continue de gérer notre territoire et ce que les populations vivent au quotidien.
  • Une dissonance entre une extrême dépendance extérieure, des financements qui ne bénéficient pas toujours à la majorité et des savoir-faire et compétences non valorisés sur le territoire.
  • Une rupture entre les institutions censées agir dans l’intérêt général, mais qui en réalité manquent de connaissance sur les populations et qui n’ont établi jusqu’ici que de faibles liens avec d’autres structures citoyennes, associatives présentes sur le territoire.
  • Une fracture entre un discours et une représentation médiatique, institutionnelle, politique qui ne reflètent pas toutes les composantes de la société guadeloupéenne.
  • Une distance entre « nou » (nous) et « yo » (eux) qui est mise en avant sur des bases historiques, culturelles, générationnelles et sociales. Qu’on l’admette ou non, c’est ce que cette colère exprime à sa façon.

Ces mouvements sociaux montrent un paradoxe qu’il faut chercher dans l’inadéquation des politiques décidées depuis Paris et les réalités du territoire guadeloupéen. D’un côté, les Guadeloupéens réclament des droits et une égalité de traitement en tant que citoyens français, car les lois de la République ne sont pas toujours appliquées en respectant les populations. On l’a vu avec le scandale de la chlordécone, la teneur en sucre dans certains aliments aux Antilles par rapport à l’Hexagone, la gestion catastrophique de l’eau, des sargasses, les dysfonctionnements du système de santé, la gestion de la crise sanitaire…

Des propositions pour un changement statutaire

De l’autre côté, des revendications pour un respect des spécificités propres à notre territoire. Cela montre que le statut sous lequel nous sommes ne convient plus et qu’il faut des propositions concrètes pour un changement statutaire qui permettront à la Guadeloupe de prendre en main sa destinée.

La crise sanitaire, la crise économique, la colère des jeunes qui se manifestent actuellement requièrent une mise à plat du système social, politique, économique, des pratiques éducationnelles. En 2009, il y a eu des propositions, des promesses, mais tout cela n’est pas allé bien loin, car nous fonctionnons encore dans le même cadre.

Le CIPPA s’évertue à dire depuis plus de 10 ans, que ces changements ne peuvent se réaliser que dans le cadre d’un changement statutaire, qui est d’ailleurs prévu dans la constitution française.

Les collectivités régies par l’article 74 peuvent être habilitées à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire quand elles sont justifiées par des nécessités locales en faveur de sa population (fiscalité, culture, formation, accès à l’emploi, protection du patrimoine foncier, etc.). Seulement, jusqu’ici tout a été fait pour écarter cette possibilité, tout a été fait pour dissuader les populations de se préparer et de s’orienter vers cette voie.

L’autonomie n’est pas l’indépendance

Certains ont brandi l’épouvantail d’Haïti (première République noire, dont la situation n’a cessé de se dégrader), du chaos, s’enfermant dans la peur du changement. Pourtant, cette autonomie qui constitue un premier pas (il ne s’agit pas d’indépendance) nous met face à la nécessité d’une reconstruction, d’une reprise en main urgente de la gestion d’un territoire avec ses spécificités.

Dans le cadre d’un territoire autonome, qu’est-ce qui change ? Nous restons Français disposant de nos droits civiques, du droit électoral, de nos libertés publiques, de la conservation de la monnaie, etc. Alors pourquoi tant de peur ? Pourquoi n’y-a-t-il pas une plus forte adhésion de la population à cette possibilité de changement statutaire ? Le changement fait peur en général, surtout quand il est porté par des personnes qui n’inspirent pas confiance.

Une défiance réelle des Guadeloupéens envers la politique

Le taux d’abstention aux dernières élections régionales montre une défiance de la population envers la politique actuelle, une politique qui ne reflète pas les aspirations, ni les besoins des Guadeloupéens et ne propose pas d’alternatives pour une gestion différente du territoire.

La Guadeloupe a besoin d’hommes et de femmes intègres et responsables qui comprennent cette nécessité de changement, de ce premier pas nécessaire à sa reconstruction.

La concertation plutôt que la confrontation

Le CIPPA a fait des propositions concrètes qui peuvent sortir la Guadeloupe de cet engrenage, car l’économie, le social, le culturel sont intimement liés.

On ne peut concevoir une industrie culturelle dynamique et source de richesses, dans l’état actuel du tissu économique, de sa forte dépendance envers l’extérieur, et avec les clivages sociaux qui secouent la société antillaise.

Il faut que nous exploitions mieux nos ressources naturelles (ressources marines, géothermiques, éoliennes, agricoles) et protégions mieux notre environnement, notre marché intérieur source d’emplois, que nous accordions davantage de moyens à la création d’industries propres, à la culture, que nous changions notre rapport à l’éducation, pour que les filières de formation répondent mieux aux besoins du territoire et permettent l’insertion de notre jeunesse, que nous soutenions les personnes les plus fragiles, que nous favorisions la concertation et le dialogue plutôt que la confrontation.

Rien ne peut se faire dans le chaos

L’autonomie est une voie qui requiert des engagements, des hommes et des femmes responsables qui se concertent pour définir les « voies et les moyens » de sa réalisation. La Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon ont déjà emprunté cette voie et il n’y a pas eu d’effondrement de leur système social et économique. Oui, nous en sommes capables. Le programme du CIPPA lors des dernières élections comportait des propositions en faveur de l’emploi et de l’exploitation des ressources du territoire.

Mais rien ne peut se faire dans le chaos : il faut d’abord que le gouvernement règle des questions urgentes qui relèvent de sa compétence et pour lesquelles il n’a proposé aucune solution pour un retour à la paix sociale !

Le CIPPA en appelle à la concertation entre les associations, syndicats, partis politiques, société civile, autour d’une plateforme de propositions pour poser les bases du changement en Guadeloupe.

Clara Palmiste, porte-parole du CIPPA

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