Opinion. Aléa jacta est : Emmanuel Macron, un pari stratégique pour l’avenir de la France ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Le sort en est jeté ! Cette locution  latine trouve une résonance particulière dans le contexte politique actuel de la France, où le Rassemblement National (RN) a remporté haut la main le premier tour des élections législatives.

Cette victoire prévisible du RN obtenue par le biais d’un théâtre d’ombres chinoises ouvre la voie à une cohabitation que le président Emmanuel Macron a habilement orchestrée, conscient de la nécessité de changements politiques majeurs face aux mutations économiques et sociales du pays. Emmanuel Macron, élu président de la République française en 2017, a rapidement suscité des réactions contrastées parmi les Français.

Si certains voyaient en lui un réformateur capable de moderniser la France, d’autres étaient sceptiques, voire hostiles, à son égard. Cette impopularité s’est accentuée avec le temps, en particulier lors de la crise des Gilets Jaunes, marquée par des manifestations violentes et des critiques virulentes à son encontre. A notre avis, cela explique en partie la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de provoquer des élections législatives anticipées, et cette décision s’est avérée être un coup de maître pour installer l’extrême-droite au pouvoir. 

Aujourd’hui, la société française est plus divisée que jamais. La montée du RN s’inscrit dans un contexte de fractures multiples : économiques, sociales, culturelles et identitaires. Les Gilets Jaunes, les débats sur l’immigration et l’insécurité, l’islam et la laïcité, ainsi que la gestion de la crise sanitaire, ont tous contribué à polariser davantage l’électorat.

L’extrême-droite, en se présentant comme une alternative aux partis traditionnels incapables de répondre aux préoccupations des citoyens, a su capitaliser sur cette fracture. Derrière cette initiative de banalisation des idées de l’extrême-droite se cachait une stratégie mûrement réfléchie. Macron, conscient des limites de sa majorité relative, a vu dans cette dissolution une opportunité d’imposer un changement de cap radical après la défaite de son camp aux élections européennes nécessaire pour affronter les défis contemporains. La dissolution de l’Assemblée a été un pari calculé, reflétant la compréhension par Macron de la difficulté de gouverner dans un contexte de l’évolution technologique du paysage socio-économique. Il a reconnu la nécessité d’un basculement politique pour traiter des problématiques telles que l’immigration, l’insécurité, le malaise identitaire et la restauration de l’autorité qui sont des enjeux centraux pour le RN .

Emmanuel Macron, en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, savait pertinemment à l’avance le résultat escompté à savoir la victoire sans aucun doute possible du Rassemblement national. Cette stratégie d’amener l’extrême-droite au gouvernement de la France a été murement pensée et réfléchie pour obliger le Rassemblement national à sortir du bois. Les réformes de la majorité présidentielle étaient impossibles à mettre en place, notamment sur les problématiques de l’immigration, de l’insécurité, de l’identité nationale, de la restauration de l’autorité. Et pour cause, sa majorité de centre droit et gauche ne pouvait nullement prétendre à entreprendre ce type de réforme politiquement et idéologiquement parlant, alors le président Emmanuel Macron n’a pas hésité à sacrifier sa majorité relative voyant la mutation sociétale et technologiques s’installer dans un climat lourd de menaces pour la cohésion sociale du pays.

La victoire du RN au premier tour marque une transformation significative du paysage politique français. Ce succès est non seulement un témoignage du soutien croissant aux politiques du parti, mais aussi une indication d’une demande sociétale plus large pour un changement.

Le RN, sous la direction de Marine Le Pen, a su capter ce désir de changement de paradigme, et Emmanuel Macron a littéralement exaucé le vœu du RN de parvenir aux portes du pouvoir. Le programme du RN, axé sur des réformes structurelles strictes en matière d’immigration, des mesures de sécurité renforcées et une réaffirmation de l’identité nationale, a désormais trouvé un écho chez une partie significative de l’électorat français, traduisant une orientation politique plus à droite en France.

En provoquant la dissolution de l’Assemblée, Macron n’a pas simplement pris un risque ; il a orchestré une situation de cohabitation qui oblige le RN à assumer la responsabilité de la gouvernance dans une période très difficile sur le plan économique et financier. Il est possible que cette situation soit perçue comme un piège politique tendu par Emmanuel Macron. En forçant le RN à prendre des responsabilités gouvernementales dans un contexte de difficultés, cela pourrait exposer le parti aux critiques et à l’impopularité. Cela peut être vu comme une stratégie pour affaiblir le RN en l’obligeant à gérer des situations particulièrement complexes et potentiellement impopulaires.

En effet, cette cohabitation crée une dynamique pour une politique nouvelle, où les thématiques du RN seront mises à l’épreuve de la réalité du pouvoir. C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Le RN devra composer avec un budget national contraint par des obligations de réduction de la dette publique et des déficits budgétaires. La loi de finances du budget pour 2025 devra refléter ces priorités tout en répondant aux promesses électorales du RN. Des coupes budgétaires dans certains secteurs ou des réformes économiques impopulaires pourraient provoquer des mécontentements.

Il sera crucial de présenter des mesures d’économies structurées et viables pour rassurer les marchés financiers et les institutions internationales. Dans cette nouvelle configuration d’austérité, le RN devra faire face à des mouvements sociaux potentiellement intensifiés, notamment de la part des syndicats et des groupes de la société civile qui pourraient être en désaccord avec leur politique budgétaire et financière.

Pour gérer ces conflits, la mise en œuvre de politiques de sécurité et de maintien de l’ordre sera un autre défi majeur. Une approche trop répressive pourrait aggraver les tensions sociales. Emmanuel Macron, en toute connaissance de ces éléments propices à l’impopularité et dès lors en sacrifiant délibérément sa majorité relative, a démontré une vision stratégique pour le bien du pays au détriment de l’intérêt de son parti, Renaissance. Il a compris que la structure politique existante était insuffisante et les programmes et postures des partis politiques traditionnels inadaptées politiquement et idéologiquement pour répondre aux profondes transformations sociétales et technologiques en cours.

Le nouveau gouvernement de cohabitation est donc appelé à entreprendre des réformes significatives pour guider la France à travers cette période de mutation. La cohabitation entre le président Emmanuel Macron et le RN est sur le point de redéfinir la politique française. Cette nouvelle dynamique politique entraînera sans doute des débats robustes ,des heurts, des blocages des institutions, des incompréhensions de toutes sortes vu l’altérité du programme du rassemblement national.

La prévoyance stratégique de Macron dans la facilitation de ce changement de paradigme témoigne de son engagement à aborder les problèmes fondamentaux du pays. Les mois à venir seront cruciaux pour déterminer l’efficacité du RN dans la réalisation de ses promesses et la capacité de Macron à tirer parti de cette cohabitation pour mettre en œuvre une recomposition politique plus large en prévision de 2027, et déterminante pour l’avenir de la France.

En somme, la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de provoquer des élections législatives anticipées a inauguré une nouvelle ère politique en France. La victoire du RN marque un tournant significatif, et le gouvernement de cohabitation qui en résulte est prêt à entreprendre les réformes nécessaires, mais en aura -t- il les moyens ? 

Le pari stratégique de Macron de mettre en situation le RN pour gérer le pays dans un environnement très compliqué reflète sa volonté de compromettre l’accession de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle. C’est là le sens profond de sa stratégie de décomposition du paysage socio-politique et son engagement à guider la France vers un avenir de stabilité et de progrès sans les extrêmes. Mais jouer l’avenir de la France sur un coup de dés pourrait s’avérer être un jeu très risqué … Aléa jacta est !

 » SA KI LA BAW DLO PA KA CHAYEY « 

– traduction littérale : ce qui est là pour toi l’eau ne l’emmène pas

– moralité : On échappe par à sa destinée / il n’y a pas de hasard !

*Economiste et juriste en droit public 

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