Jusqu’au 21 janvier, le mouvement culturel Mas ka klé organise son traditionnel « wikenn kiltirel » en accueillant un groupe de Porto Rico autour du thème, Menm bèt menm pwèl. Entretien avec Jean-Michel Samba, président de Mas ka klé.
En 25 ans, Mas ka klé a accueilli de nouveaux arrivants. Cela a changé la philosophie du groupe ?
Jean-Michel Samba, président de Mas ka klé : Les essentiels sont restés physiquement, mais pas seulement ! Nous restons fidèles aux fondamentaux. Ceux qui sont partis ont laissé des traces : nous sommes dans une transmission, nous perpétuons ce que les précurseurs ont initié.
Aujourd’hui, trois générations se côtoient au sein du mouvement culturel Mas ka klé. La philosophie n’a pas changé, mais nous réactualisons certaines choses en étant dans une forme de « résistance modérée » pour ne pas perdre les fondamentaux. Il faut trouver un juste milieu par rapport aux différents contextes.
Quel est l’ADN de Mas ka klé ?
Le partage, la famille, et les « mès é labitid » à ne pas perdre de vue. À Mas ka klé, des enfants de 3 ans assistent aux répétitions avec leurs parents. Le groupe compte des doyens de 90 ans ! C’est un beau panel intergénérationnel. Nous avons eu raison de maintenir les aînés. Nous avons eu raison d’inculquer cette valeur de transmission, de respect des « grands ».
Basé aux Abymes, le mouvement culturel Mas ka klè a aussi essaimé au-delà ?
Oui ! Les adhérents viennent d’un peu partout : des Abymes, bien sûr, mais aussi de la Côte sous-le-vent, du Nord Grande-Terre…, ce qui nous oblige à porter une réflexion sur ce qui se passe dans ces communes. Il faudrait leur apporter quelque chose pour permettre aux associations d’épouser leur environnement, ce qui serait une richesse supplémentaire.
Parmi les événements instaurés par Mas ka klé, le « wikenn kiltirèl » sera l’occasion d’un « lyannaj » avec les musiciens de Porto Rico d’Afrolégado.
Ce sera un croisement de musiques, de rythmiques, de peuples originaires d’Afrique, un croisement d’inventions contemporaines à partir des acquis avec lesquels nous sommes arrivés. La thématique « Menm bèt, menm pwèl » permettra d’observer les similitudes et les différences entre la musique « senjan » et la « plena », entre le gwoka et la « bomba ».
En 2002, lors d’un concert de Mas ka klé à Porto Rico, quand on a entendu arriver un groupe au son du « mas a senjan », avec des instruments différents, plus petits, on s’est demandé s’il y avait une autre formation de Guadeloupe sur place ! Je me suis dit qu’un jour, il faudrait qu’on croise nos musiques. Pour finaliser notre échange autour de la transmission, en juillet, nous envisageons de nous rendre à Porto Rico pour reproduire le même « bokantaj » avec des soirées léwòz.
Mas ka klé est devenu un acteur culturel qui apporte aussi sa contribution en matière d’insertion ?
Oui. Au-delà du « mas », il y a le quotidien de ceux qui font partie du groupe. Nous sommes sensibles aux problématiques qui touchent notre société : la violence, le chômage, la précarité… En 2023, nous avons compté presque 400 adolescents qui viennent chercher un cadre au sein de notre mouvement culturel. Nous devons bouger, mettre en place des dispositifs, favoriser leur mise en relation avec les organismes qui peuvent leur apporter des solutions. Nous collaborons une nouvelle fois avec La Mission locale (lire par ailleurs).
Quelle est la motivation des jeunes qui rejoignent Mas ka klé ?
Les jeunes veulent s’investir dans la musique. Nous avons pratiquement 200 musiciens, 97 tambours chant, 20 contrebasses… Une partie de la jeunesse a envie de lâcher toute sa fougue dans le fouet. On compte 25 fouettards qui veulent accéder à la musique l’année prochaine. Ils ont gagné en maturité, en autonomie, ils ont une vie sociale stable : je les ai vus évoluer. Quand on organise des réunions avec les fouettards, ils sont au moins 500 avec leurs parents pour connaître l’organisation, les responsables… C’est beau ! Mais, il y a encore du travail à faire, surtout pour accéder à la musique qui impose un cadre strict.
Du Canada à la Côte d’Ivoire, de nombreux voyages ont nourri le mouvement culturel…
Nous sommes allés au Canada, aux Etats-Unis, dans plusieurs îles de la Caraïbe, à Paris… Ces déplacements nous ont permis de gagner en expertise, en ouverture de notre musique : nous avons acquis une vraie maturité musicale. Tous ces projets collectifs ont permis à chacun de se réaliser, de constituer le puzzle, d’évoluer à titre personnel.
En tant que président, je n’ai aucun regret, mais que du bonheur ! J’ai essayé de donner un peu de moi à chacun. J’aimerais qu’il y ait une saine continuité, un fonctionnement loyal en maintenant l’esprit collectif. J’aurais souhaité plus d’engagement, mais le sens du bénévolat tel que nous l’avons pratiqué il y a 25 ans, a disparu. J’ai donné l’impression que tout était facile. J’ai peut-être eu tort, mais cela nous a permis de gravir les échelons rapidement et de nous positionner dans le paysage culturel par la rigueur, les perspectives, la discipline.
Entretien : Cécilia Larney
Programme du « Wikenn kiltirel »
- Jeudi 18 janvier : centre culturel Sonis (Les Abymes), « bokantaj » Plena-senjan, exposition, happening, à partir de 19 heures.
- Vendredi 19 janvier : ateliers pour les scolaires, les personnes en situation de handicap… au local de Mas ka klé (Savane Tico, Les Abymes). Déboulé Mas a lannuit avec les « group-a-po », à partir de 20 heures, depuis le terrain Lunar (Les Abymes). Dékatman mizik a po si podiòm, à partir de 21 h 30, Savane Tico.
- Samedi 20 janvier : mizik si podiòm, à 18 heures, Savane Tico. Grand léwòz gwoka/bomba, à partir de 22 h 30.
- Dimanche 21 janvier : manjé mas, Savane Tico.