Mirna Bolus : « Parler français et créole en classe serait l’idéal »

Mirna Bolus agrégée en langues et cultures créoles

Agrégée en langues et cultures créoles, Mirna Bolus* préside Lolangwa (Lofis Lang Gwadloup) qui programme deux manifestations, les 27 et 28 octobre, à l’occasion de la Journée internationale du créole.

Quelle est la vocation de Lolangwa (Lofis Lang Gwadloup) que vous présidez ?

Mirna Bolus : Lolangwa a été créé en mars 2022. L’idée est de promouvoir la langue et la culture guadeloupéennes en Guadeloupe, mais également dans la diaspora, d’être à l’origine de la production ou de la collecte d’outils de développement de la langue, de tout l’aspect scientifique lié à la langue. Il s’agit vraiment de réunir des personnes d’horizons divers : enseignants, artistes, milieu associatifs… pour mener nos actions. Le 27 octobre, à L’Espace régional du Raizet (Les Abymes), nous présenterons nos actions. Je crois beaucoup à la contribution du tissu associatif pour changer les choses. Les associations, c’est vraiment formateur, encore plus si des jeunes nous rejoignent. Cette force sera l’occasion de créer des liens forts avec les autres : La Réunion, l’île Maurice, nos voisins de la Dominique, de Sainte-Lucie qui sont engagés dans une reconquête de la langue. La Dominique et Sainte-Lucie souhaitent tisser des liens avec nous pour relancer l’usage du créole dans la Caraïbe.

Qu’est-ce qui a motivé la mise en place de Lolangwa ?

Cette structure était appelée des vœux des Guadeloupéens et nous souhaitons, même si nous tenons à notre indépendance, que les élus s’impliquent pour la mise en place de véritables politiques linguistiques en faveur du créole. C’est important pour qu’on sache que la Guadeloupe est un territoire bilingue. À La Réunion, par exemple, où il existe un Office pour la langue créole depuis de longues années, une charte des communes bilingues a été établie : ces communes s’engagent à utiliser systématiquement les deux langues dans leur communication. C’est l’un de nos objectifs.

Pour que la langue reste vivante, il faut qu’elle soit pratiquée au quotidien et enseignée. Le CAPES en langue créole fait partie des avancées notables. Pour autant, le créole a-t-il vraiment trouvé sa place dans les établissements scolaires de Guadeloupe ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, on dispose d’un cadre législatif pour l’enseignement du créole. Mais, si les politiques s’y intéressaient davantage, on pourrait dès les petites classes, avoir des avancées beaucoup plus importantes que celles que nous observons actuellement en Guadeloupe. Cependant, notre territoire reste très actif : quasiment tous les collèges ont au moins un enseignant de créole. Dans les lycées, il y a un développement. En revanche, les écoles primaires sont loin du compte et c’est dommage !

En Guadeloupe, on a le sentiment qu’on peut faire sans la langue créole à l’école primaire, et c’est une erreur. Les enfants, même de manière passive connaissent le créole. Même si de nos jours, ils ont moins l’interdiction explicite de parler le créole, on sent bien qu’un enfant ne se permet pas de s’exprimer en créole. Même en classe de créole, je vois des choses surprenantes : dès qu’on sort de la séance, quand un élève s’exprime en créole l’enseignant lui-même est surpris.

Beaucoup considèrent le créole comme un frein à l’apprentissage de l’enfant. Qu’en pensez-vous ?

Justement, au sein de Lolangwa, nous espérons avoir les moyens de prouver le contraire. Bien avant nous, dans les années 1990, des expérimentations ont été menées en ce sens, mais sont restées lettres mortes. Nous souhaitons impulser une autre façon de voir les choses de façon apaisée, intelligente… en regardant ce qui se passe ailleurs, dans l’Océan indien, et avec d’autres langues que les créoles. Cela peut être intéressant de voir comment mener des expérimentations qui amèneront nos élèves à être de vrais locuteurs bilingues équilibrés. Nous sommes bilingues, voire trilingues avec le savant mélange de créole et de français que pratiquent volontiers les Guadeloupéens aujourd’hui. Mais, là aussi, il faudrait déterminer ce que parlent les petits Guadeloupéens. Ne pas vouloir reconnaître le « français guadeloupéen », ne pas s’en servir dans les enseignements à côté du créole et du français standard est une vraie problématique.

Le 28 octobre, pour la Journée internationale du créole, Lolangwa organise un webinaire, l’une de ses premières actions. Parlez-nous en.

Pour évoquer les politiques linguistiques dans les aires créolophones, j’ai convié plusieurs intervenants dont certains de la Dominique et de Sainte-Lucie qui étaient ravis de participer en distanciel à la manifestation que nous organiserons à l’Université des Antilles. J’ai rassemblé des personnes de diverses régions créolophones pour un état des lieux de ce qui se passe dans leurs territoires respectifs. Ce webinaire sera l’une des premières actions de Lolangwa, avec la collaboration du Cagi (Centre d’analyse géopolitique et internationale).

Entretien : Cécilia Larney

*Mirna Bolus intervient à l’Université des Antilles sur les sites de Fouillole, Saint-Claude, Schoelcher en Martinique, ainsi qu’à l’Institut national supérieur du professorat de l’Education en Guadeloupe où elle est responsable du Master de créole.

Agenda kreyol

  • AtouMots, rencontres littéraires, à Saint-Claude (médiathèque), jeudi 26 octobre, à 18 h 30, avec Marie-Line Averne, Raymonde Pater-Torin, Didyer Mannette. Présentation des auteurs, échange avec le public, lecture, dédicaces.
  • Soirée Lalongwa, avec la Région Guadeloupe, vendredi 27 octobre, à 18 h 30, à l’espace régional (Le Raizet, Abymes) : présentation des actes du colloque Dany Bébel-Gisler (de 2018), actions de Lalongwa, hommage à l’historien Jean-Pierre Sainton…
  • Webinaire sur les Politiques d’aménagement linguistique dans les aires créolophones, samedi 28 octobre, à l’Université des Antilles, avec Lolangwa et le Cagi.
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