La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, le Centre des monuments nationaux et la Région Île de France ont commémoré les 220 ans de la mort de Toussaint Louverture au Panthéon à Paris, le vendredi 7 avril 2023.
Le 7 avril 2023 marque les 220 ans de la mort de Toussaint Louverture au Fort de Joux en France. Toussaint, surnommé Fatras-Bâton, né sur l’Habitation Breda, a gravi tous les échelons, passant d’esclave à gouverneur de Saint Domingue. Le précurseur de l’indépendance d’Haïti a été, en 1802, embarqué sur le bateau La Créole et contraint de laisser sa terre natale sans jamais pouvoir y revenir.
220 après sa mort, son aura et sa légende ont traversé les siècles sans prendre une ride. Son génie et son héritage ont été salués le 7 avril au Panthéon à Paris, devant un public composé d’élus et d’un ministre et d’un ancien premier ministre français, de diplomates haïtiens, d’écrivains, de membres de la communauté haïtienne et de quelques compatriotes venant d’Haïti.
La cérémonie d’hommage a débuté par un recueillement et le dépôt d’une gerbe par les autorités devant l’inscription en hommage à Toussaint Louverture au Panthéon. Cette inscription décrit le « Spartacus noir » en combattant de la liberté et artisan de l’abolition de l’esclavage. L’offrande florale a été effectuée par la conseillère municipale et représentante de la présidente de la région île de France, Anne Louise Mésadieu, l’ambassadeur d’Haïti à Paris, Jean Josué Pierre Dahomey, le ministre français de l’Education nationale Pap Ndiaye, la ministre de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, Isabelle Lonvis Rome, le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage Jean Marc Ayrault, le vice-président du sénat français Roger Karoutchi, et l’adjointe à la mairie de Paris Audrey Pulvar.
Dans leurs propos de circonstances, les officiels haïtien et français ont salué la contribution du « génie de la race noire » dans l’histoire de l’humanité. Pour l’ambassadeur d’Haïti à Paris, Josué Dahomey, Toussaint appartenait à une génération de révolutionnaires qui ont changé la face du monde. « Son parcours guidé par un attachement viscéral aux idéaux d’émancipation, et son sens aigu de la dignité humaine, demeurent encore aujourd’hui une source d’inspiration pour inventer l’avenir. Il fut en son temps l’anneau de filiation, pour ainsi dire, entre la révolution haïtienne et la révolution française, et c’est à juste titre qu’il a été décrit comme un jacobin noir », a fait savoir l’ambassadeur.
« L’héritage louverturien, c’est la liberté pour tous au-delà des frontières et des murs de toutes sortes ; l’héritage louverturien, c’est l’égalité des droits et l’égalité des conditions ; c’est aussi la fraternité universelle, une fraternité des peuples, qui se manifeste aujourd’hui à travers l’amitié franco-haïtienne. Dans ce sens, Toussaint Louverture reste et demeure pour nous tous un père et un repère. Je me félicite donc de la haute reconnaissance que les deux pays accordent à T. Louverture comme figure historique transcendant et héros de l’émancipation universelle », a-t-il également déclaré.
De son côté, Jean Marc Ayrault, ancien premier ministre et président de la Fondation pour la Memoire de l’esclavage, campe Toussaint comme un avant gardiste, une homme qui regardait l’avenir quand ses contemporains s’étaient cloîtrés dans le passé.
« Il est une expression qui est devenue un poncif, lorsqu’on évoque une personnalité historique : on dit « c’était un homme de son temps ». Et quand on dit cela, on veut souvent dire : « Il ne pensait pas comme nous, il n’était ni républicain, ni démocrate, mais il était un grand homme et il a fait la France ». Mais quand je dis aujourd’hui que Toussaint Louverture était un « homme de son temps », ce n’est pas ce que je veux dire. Car son temps était celui de la Révolution, de l’abolition de l’esclavage, de la tentative de construire une République égalitaire jusque dans les Caraïbes, sans distinction de couleur entre ses citoyens ; et lui était pleinement de ce temps-là. Et ceux qui, au même moment, plaidaient pour le renverser, celui, Premier consul, qui en donna l’ordre, ceux-là étaient peut-être aussi des « hommes de leurs temps », mais lorsqu’ils regardaient Saint-Domingue leur temps n’était pas celui de la République, ni celui de la déclaration universelle des Droits de l’Homme et de l’abolition de l’esclavage. C’était le temps du retour au Code Noir. Sur ce plan, ils étaient alors des hommes du passé, quand Toussaint Louverture, lui, imaginait l’avenir, et c’est ce qui fait que c’est à lui que nous rendons hommage aujourd’hui », a expliqué Ayrault, soulignant que l’hommage de ce 7 avril 2023 est une réparation.
« Réparation due par la République à un homme qui crut en elle, qui la défendit, et qui fut trahi, déporté, sans procès. De sa mort, Victor Schœlcher écrira plus tard qu’elle fut « un assassinat plus hideux encore que celui du duc d’Enghien », « par le froid et la misère ». Cet hommage est aussi une réparation due par la France à l’Histoire, celle de la révolution haïtienne, qui, en poussant les révolutionnaires français à abolir l’esclavage en 1794, les a aidés à accomplir enfin la grande promesse universaliste qu’ils avaient lancée en 1789 en adoptant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cet hommage est enfin une réparation due au peuple haïtien, qui après la mort de Toussaint Louverture s’arracha à la colonisation, et auquel la France de la Restauration fit payer un prix exorbitant, qui l’enchaîna de nouveau, non plus à l’esclavage, mais à la dette. Cette dette crée une responsabilité à la France : celle de ne jamais oublier Haïti, ni ce lien spécial que l’Histoire a noué entre nos deux pays » a soutenu l’ancien PM de François Hollande.
Le ministre de l’Education nationale et de la jeunesse, Pap Ndiaye a fait part de son émotion, saluant la vie d’un homme qui était né dans l’esclavage et qui le renversa comme on renverse les montagnes. « C’était un général de la République. Défenseur des valeurs fondatrices et universelles que la République rend hommage aujourd’hui. 1803-1998, presque deux siècles. C’est le temps qu’il a fallu à la France pour rendre à Toussaint Louverture l’hommage officiel que sa destinée exceptionnelle justifiait depuis si longtemps. Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir le faire au nom du gouvernement Français. Parce que le combat de Toussaint Louverture, pour que la liberté et l’égalité règne est plus que jamais actuel. Il est plus que jamais le nôtre et celui de la jeunesse », a déclaré Ndiaye.
Selon lui, cette cérémonie d’hommage au Panthéon s’emploie à réparer l’oubli et l’effacement de Toussaint Louverture. Ce, alors qu’il est partie intégrante de notre histoire, de l’histoire des empires, de l’histoire intellectuelle et de celle de la décolonisation, a dit Ndiaye. « En quittant Saint Domingue, Toussaint Louverture déclara pensivement : « En me renversant, on n’a abattu à Saint Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des noirs. Il repoussera par les racines parce qu’elles sont profondes et nombreuses ». Puissent cet arbre de la liberté fleurir et refleurir chaque année. Puisse ces racines courir de la terre chaude d’Haïti à celle froide de l’Ukraine Martyrisée. Car cet arbre-là, celui de Toussaint Louverture, est l’arbre universel et immortel de l’aspiration intransigeante de tous les opprimés et de tous les aliénés à affirmer leurs libertés », a soutenu l’historien et ministre de l’éducation.
Anne Louise Mesadieu, conseillère régionale Ile-de-France, initiatrice de l’événement, a pris la parole au nom de la présidente de la Région, Valérie Pécresse. Pour Madame Mesadieu, élue française d’origine haïtienne, la date du 7 avril, tout comme la vie et l’œuvre de Toussaint, valent énormément pour le peuple haïtien et pour le monde.
« C’est un honneur pour moi que d’être là aujourd’hui. Cela fait un an que nous travaillons sur ce projet. Toussaint Louverture mérite cet honneur et je suis ravie que nous sommes si nombreux aujourd’hui venus honorer et commémorer la mémoire de ce précurseur, ce symbole de liberté, cette force et ce dynamisme », a-t-elle indiqué.
Interrogé par Le Nouvelliste en marge de la cérémonie, le vice-président du Sénat français Roger Karoutchi croit qu’il est important d’honorer la mémoire de Toussaint Louverture.
« Parce qu’il est ignoré ou relativement ignoré par l’histoire française qui, dans cette période, privilégiait le personnage de Napoléon. Toussaint Louverture, général français et héros de l’abolition de l’esclavage, de la décolonisation, est passé un peu dans les limbes de l’histoire française. Durant la période de Bonaparte, on avait une tendance naturelle à ne voir en Toussaint Louverture qu’un révolté. Il faut y voir beaucoup plus », a-t-il dit, se réjouissant que depuis 20 ans qu’un certain nombre de vérités ont pu être rétabli.
La cérémonie d’hommage a été également ponctuée des présentations de l’historien Pierre Buteau et du dramaturge et écrivain Éric Sauray sur l’histoire et l’héritage de Toussaint Louverture. Emmeline Michel et James Germain ont animé la partie culturelle avant que les convives ne se retrouvent dans un cocktail à la fin de la soirée. Vers les 21h30.
Ce 7 avril, des Français et des Haïtiens ont célébré le génie et l’héritage de l’enfant de Bréda. Son histoire sera encore racontée et expliquée en automne prochain dans les travers du Panthéon. En effet, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et le Centre des Monuments Nationaux consacreront cet automne une exposition consacrée à l’histoire et aux mémoires de l’abolition de l’esclavage. C’est l’administratrice du Panthéon, Barbara Wolfer, qui en a fait l’annonce au début de la cérémonie. « Toussaint Louverture y aura toute sa place », a-t-elle assuré.
Source : Le Nouvelliste