L’hommage du poète marie-galantais, Max Rippon, à Maryse Condé, décédée ce 2 avril.
« Je ressens ce matin un immense besoin de t’écrire. Ces paroles simples dont je saupoudre ton corps encore tiède, tu les liras avant moi car c’est dans l’encrier commun que je trempe ma plume.
Dans ce concert de voix élogieuses qui balisent ta route vers ces lieux de silence d’où l’on ne revient pas.
Je veux garder bien au chaud l’œuf frais de ton souvenir, tiède et doux et qui a peur d’éclore avant que ne se lèvent les tapis de rosée qui pavent les déserts
Voilà que je m’adresse à toi avec le regard soumis du temps de nos enfances, les paupières lourdes de chagrin.
Pour moi, outre tes qualités d’auteur et de femme engagée, je viens ici te remercier de m’avoir accompagné, innocent, bras tremblants, mains gantées de blanc, sur les fonts baptismaux de l’oraliture, et de mes audaces publiées
J’ai pu mesurer ton attentive écoute et ta douce générosité de coach convaincue de l’utilité à ne pas distraire ma voix créole de l’urgence de parler de nous
« Nous avions des espaces en commun dont Marie-Galante »
Ce 28 février, il pleuvait, je me souviens de mes pas hésitants à l’entrée de Chez Jasor, et la parenthèse de tes bras autour de mon cou, comme un silencieux tchenbé rèd, tout en présentant Raphaël Confiant, invité par tes soins à conforter mon tutorat d’écrivain face au public.
Matriarche expérimentée, tu avais tout organisé pour conjuguer nos démarches. Ralph et moi sommes demeurés amis, liés au service de la créolité. Nous te devons cette rencontre, et je suis sorti de mon ergastule ce jour-là.
Nos rencontres furent nombreuses et en maints lieux. Nos anniversaires croisés tout au cours du mois de février me semblaient une évidence : un coup pour toi chez moi, l’autre fois pour moi, chez toi…
Nous avions des espaces en commun dont Marie-Galante était le nombril… tant de choses que tu sais si bien et inutile de rappeler.
La table et la bonne chair, que nous savions en parler et partager. À cet instant où je te confie cette adresse par la magie des mots, j’ai le regret de n’avoir pas pu à temps, honorer ce projet que nous caressions de te faire à Gordes un court-bouillon avec du poisson qui aurait fait le déplacement tout exprès.
« Survivre quand vivre n’est plus possible, est un ténu compromis »
Tu vois que nous avions raison cette fois encore de suivre nos instincts. Autour du kalalou fortement recommandé pour satisfaire ta gourmandise et marquer notre affection à tes convives, nous avons pris la décision de monter à Marie-Galante, le lendemain de partir visiter la demeure de la famille Tirolien, au haut du morne Latreille. Thérèse en famille nous y attendait, et Guy par son absente affection, veillait en silence. Ce temps merveilleux devenait la suite logique de cette excellente traversée en mer. Alors que nous avions tournant en boucle dans nos cœurs les images de Redécouverte… Arriva enfin cette île plate et qui n’a pas bougé. Le capitaine pour confirmer son affectueuse érudition, fit descendre les passagers en premier. Il les invita à former une double haie d’honneur en applaudissant la Grande Maryse. Le fauteuil roulant que nous avancions au sortir du quai avait pris l’allure assurée d’un carrosse.
J’étais heureux, songeur et triste tout à la fois. Un vent de réalisme est venu me souffler à l’oreille que ce serait le dernier voyage, et que malgré ta promesse de revenir fouler la trace de nos pas familiers, que nous vivions le chant d’un cygne majestueux dont le plumage se confond désormais avec le duvet des nuages. Souvent j’ai pensé que le fait de survivre quand vivre n’est plus possible, est un ténu compromis.
« Il est bien trop tôt pour me passer de toi »
Bien chère Maryse.
J’ai voulu passer ce temps de confidence avec toi malgré la naïveté du style et l’imprécision des mots. Chère Madame Condé, tu avais raison de me dire que les mots sont impuissants à tout dire quand l’émotion vous gagne.
Tu prends ce chemin dont nul ne connait les détours et chaque étier est un abîme. De notre cadastre proche, certains sont devenus feus. Je pense à Henri Lopes le plus récent.
Au moment de clore ce pas de deux, je veux retenir de toi la qualité de jambes de force que tu es pour moi, et ce phare cinglant vers le levant qui va demeurer.
Je parle de toi au présent car il est bien trop tôt pour me passer de toi.
J’entends encore les larmes étouffées de Richard lors de la forte alerte, et sa dernière parole à mon tout récent appel : « tu peux lui parler, elle écoute… » Tu as souri… !
Je garde ton sourire dans le tabernacle de mes souvenirs. »