Martinique. Maguy Moravie : « Au Tour des yoles rondes, deux sociétés se font face »

Moment de rassemblements populaires sur les plages de l’île, le Tour de Martinique des yoles rondes qui s’achève ce dimanche 21 juillet, est l’occasion de se plonger dans la lecture de La yole ronde en Martinique. Symbole d’une société en mutation, du Dr Maguy Moravie*, sociologue, maître de conférences associée à l’Université des Antilles.

Qu’est-ce qui a motivé vos travaux sur la yole ronde ?

Dr Maguy Moravie : à l’époque, je ne comprenais pas cet engouement, pourquoi pendant trois semaines, on ne parle que de la yole, une semaine avant, pendant et après. C’était aussi le moment où le Tour des yoles rondes prenait une autre ampleur. L’engouement était encore plus fort !

Le livre La Yole ronde en Martinique. Symbole d’une société en mutation, sorti en 2023, est la restitution de votre thèse ?

J’ai soutenu ma thèse en 2010, à l’Université de Bordeaux. Je l’ai réécrite et réduite. Dans ma thèse, il y avait une perspective comparative avec d’autres localités régionales à identités fortes. J’ai comparé la yole au gommier pour savoir pourquoi il était si effacé par rapport à la yole. Je me suis intéressée à la voile traditionnelle en Guadeloupe avec les saintoises, aux pinasses, à Bordeaux, et au va’a, la pirogue de Polynésie française. L’idée, c’était d’identifier les valeurs liées à la voile traditionnelle, de comprendre pourquoi il y avait cet engouement et quel sens cette pratique a pour les Martiniquais. Pourquoi ils se reconnaissent autant dans la yole ? Il s’agissait de comprendre les schémas directeurs qui poussent les populations à se rattacher à ces pratiques, souvent dites « traditionnelles » et qui ne le sont pas forcément.

La yole est-elle vraiment une pratique « traditionnelle » ?

Non. Elle n’est pas héritée d’une tradition ancestrale. C’est quasiment le cas pour toutes les pratiques : quand les populations s’identifient à une pratique ancienne, en sachant que nos sociétés sont jeunes, cette pratique a « l’effet de la tradition ». J’ai exploré plusieurs aspects de manière globale, en envisageant l’histoire de l’embarcation. J’ai été beaucoup aidée par les premiers travaux d’André Quion Quion. Ensuite, je me suis attachée au développement sportif, mais aussi aux aspects économiques qui ont pris le pas, et à la partie la plus anthropologique avec les valeurs, les sens cachés que cette pratique véhicule.

La yole ronde a-t-elle changé le rapport des Martiniquais à la mer ?

Oui. Des anthropologues avant moi ont fait le travail : les populations antillaises s’approchaient à peine de la mer qui porte le traumatisme de la Traversée. Mais, on voit bien qu’aujourd’hui, il y a une réappropriation de l’espace maritime. Dans ma thèse, je l’envisage comme un espace « détaché », vierge de l’histoire coloniale qui s’est construite sur la terre. On voit se développer une autre culture maritime, détachée de cette histoire douloureuse. Aujourd’hui, la mer est un espace festif avec des milliers de bateaux qui en prennent possession pendant une semaine, mais avec aussi des aspects plus problématiques, notamment une hypersexualisation des femmes…

La société moderne et ses dérives s’invitent dans la tradition ?

Exactement. Ce qui me permet d’interroger ces deux sociétés qui se font face pendant le tour des yoles. Une société maritime « sur-moderne » où l’important, c’est de paraître et d’être vu, reconnu… avec une mise en scène des corps. Le corps du yoleur est aussi magnifié, moulé dans une tenue noire. Et, sur le littoral, on retrouve une société plus traditionnelle, avec des jeux d’avant, plus familiale, avec des grillades, des marchandes, des animations à la radio, le podium… Il y a là deux sociétés qui se font face, deux sociétés de couleur, ce qui permet d’interroger les rapports ethniques. Entre une mer, plus métissée, claire de peau, et une plage, plus noire, plus foncée, plus populaire, plus traditionnelle.

Propos recueillis par Cécilia Larney

Présentation de La Yole ronde en Martinique. Symbole d’une société en mutation, par Maguy Moravie, samedi 3 août, de 13 à 17 heures, auditorium de la Bourse du travail, 1 place de la Libération, Bobigny (Paris).

*Retrouvez l’intégralité de l’entretien dans L’Hebdo Antilles-Guyane n°124 du 13 juillet 2024
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