Martinique. Claude Lise invité surprise du Congrès des élus : « Redonner à notre Peuple et surtout à sa jeunesse le goût de l’avenir »

Serge Letchimy et Lucien Saliber ont réuni le Congrès des élus de la Martinique. C’était les 12 et 13 juillet, le temps des discours et celui d’une méthodologie. Pas question d’un congrès de quelques jours… Le Congrès de la Martinique se veut fondateur d’une nouvelle politique publique. De nouveaux rapports avec l’Etat (français), de nouvelles pratiques. C’est pour cela que le Congrès durera plusieurs mois, sous la forme de réunions, d’ateliers largement ouverts à la société civile martiniquaise.

Serge Letchimy et Lucien Saliber ont souhaité que Claude Lise, ancien président du Conseil général et de l’Assemblée de la Martinique, membre honoraire du Parlement français, ouvre avec eux le Congrès.

Ecoutons Claude Lise :

« Je sais que ma présence ici, à cette tribune, peut surprendre et même être contestée. Elle n’est évidemment prescrite par aucune disposition législative ou réglementaire. Mais nous n’avons pas besoin, me semble-t-il, de textes normatifs pour organiser les relations entre élus martiniquais.

C’est en tout cas ce que je me suis dit lorsque le président Serge Letchimy et le président Lucien Saliber
m’ont fait part de leur souhait de m’associer à l’ouverture du présent Congrès en tant qu’ancien président du Conseil général, ayant eu à présider le tout premier Congrès des élus départementaux et régionaux.

Et j’ai considéré que je devais accepter cette invitation parce qu’elle relève, selon moi, d’une volonté de pacifier le débat politique dans notre Martinique, à un moment où cela s’avère plus que jamais nécessaire si nous voulons être en mesure de faire front face aux situations de plus en plus difficiles auxquelles nous allons être confrontés dans un environnement mondial qui ne cesse de se dégrader.

J’ai estimé par ailleurs que cela me permettrait d’apporter, grâce à quelques brefs rappels historiques, des éléments d’éclairage sur ce que l’on peut attendre d’un tel Congrès.

Évidemment, vous vous en doutez, je suis en cet instant assailli de souvenirs, dont le plus ancien remonte à ce mardi 21 juillet 2001 où j’ai prononcé le discours d’ouverture du premier Congrès. Je voyais alors enfin reconnaitre, même par ceux qui en avaient été les plus grands détracteurs, que j’avais eu raison de faire inscrire dans une loi — la loi d’orientation pour l’Outre-mer de décembre 2000 — une procédure démocratique et transparente d’évolution institutionnelle à la disposition des Départements et Régions d’outre-mer.

Cette procédure confère aux élus de ces territoires un pouvoir d’initiative et de propositions en matière d’évolution institutionnelle, mais un pouvoir assorti d’une disposition pour moi essentielle : la consultation obligatoire des seuls citoyens concernés en cas de proposition de changement statutaire – c’est à dire de changement de régime législatif. Une disposition qui donne donc au peuple martiniquais — comme à ceux des autres Régions et Département d’Outre-mer — la garantie que rien ne sera jamais fait en matière de changement de statut sans son consentement.

On n’imagine pas aujourd’hui la véritable révolution que cela a représenté à l’époque. On n’imagine pas les oppositions farouches qui se sont manifestées alors, pour les uns au nom de la sacro-sainte unité de la République française, pour les autres à cause de leur volonté de négocier les questions statutaires entre forces politiques et gouvernement français, sans avoir à subir les contraintes d’une procédure démocratique.

Tant l’institution du Congrès que la disposition prévoyant la consultation des seul(e)s citoyennes et citoyens concerné(e)s ont été déférés au Conseil Constitutionnel par 60 députés et 60 sénateurs parmi lesquels hélas des élu(e)s d’Outre-mer ! Fort heureusement, ces recours n’ont pas abouti et les deux dispositions, après avoir été votées, ont été validées — je crois pouvoir dire contre toute attente — par le Conseil Constitutionnel.

Par la suite, lors de la réforme constitutionnelle de mars 2003, la consultation obligatoire des seuls citoyens concernés a été intégrée dans les dispositions de l’article 72-4 de la Constitution.

Comme je l’ai déjà évoqué, le premier Congrès s’est réuni à peine six mois après la promulgation de la Loi
d’Orientation pour l’Outre-Mer. Ses travaux se sont étalés sur près de deux ans. Ils ont abouti à une proposition visant la création d’une Collectivité territoriale unique demeurant dans le cadre de l’article 73, proposition qui, soumise à une consultation locale, a été rejetée par les électeurs.

Un deuxième Congrès s’est tenu de décembre 2008 à juin 2009. Les élus ont alors, à une nette majorité, proposé la création d’une Collectivité territoriale unique mais relevant de l’article 74, proposition qui a été également rejetée par les électeurs.

Et c’est ensuite, sur la proposition qui leur a été faite par le président Nicolas Sarkozy, que les Martiniquais ont approuvé le principe de la création de notre actuelle Collectivité territoriale de Martinique, qui continue de relever de l’article 73 de la Constitution.

Aujourd’hui, s’ouvrent les travaux d’un troisième Congrès. Cela signifie qu’une majorité d’élus de l’Assemblée de Martinique a estimé que pour faire face à nombre de problèmes auxquels la Martinique est confrontée, il est nécessaire de repenser les rapports entre l’Etat et les organes de décision locaux, qu’il est notamment indispensable de domicilier localement davantage de leviers de décision.

Il s’agit d’une revendication qui semble avoir assez progressé dans l’opinion et qui a été, en tout cas, beaucoup mise en avant lors des récentes crises sanitaires et sociales que nous avons connues. Mais évidemment c’est au Congrès — dans sa nouvelle composition — que revient la responsabilité de faire éventuellement des propositions en ce sens.

Certaines, qui n’impliquent pas un changement de régime législatif, peuvent ne nécessiter que des
demandes d’habilitation. Celles-ci, il faut parfois le rappeler, doivent obligatoirement s’inscrire dans des compétences que l’on possède déjà.

D’autres propositions qui impliquent un changement de régime législatif nécessitent, dans l’état actuel de la Constitution, une consultation locale dans le cadre du système de choix binaire 73-74. Si on devait y avoir recours, on courrait le risque de revivre tout ce que cela a pu générer d’incompréhensions dans la population et d’affrontements entre les élus.

Heureusement, une perspective de sortie de ce système binaire existe sur la base d’une proposition que je soutiens depuis plusieurs années. Elle figure désormais dans un important rapport présenté au Sénat en septembre 2020 par le sénateur Michel Magras, intitulé « Différentiation Territoriale
Outre-Mer ». Cela suppose évidemment une modification du titre XII de la Constitution, visant à remplacer les articles 73 et 74 par un article unique permettant à chaque territoire d’Outre-mer de bénéficier d’une vraie politique de différentiation.

Les consultations locales porteraient alors non sur un article mais sur les transferts de compétences proposés par le Congrès. Il y a peut-être là, selon moi, un sujet de réflexion sur lequel votre
Assemblée pourrait utilement se pencher.

Mesdames et Messieurs les Congressistes, s’agissant de ces questions d’ordre institutionnel, l’expérience de,Congrès précédents m’a fait bien prendre conscience du fait que pour beaucoup de nos concitoyens, elles semblent relever d’un domaine réservé aux élus.

Un domaine dans lequel ils se complaisent loin des préoccupations qui assaillent au quotidien les Martiniquaises et les Martiniquais !

C’est dire que je me réjouis de constater qu’il vous est proposé de consacrer une large part de vos travaux à l’élaboration d’un bilan approfondi des problématiques liés à la conjoncture martiniquaise, mais aussi des grands enjeux structurants et des problématiques de long terme relevant d’un projet de développement de la Martinique.

D’autant que sur tous ces sujets, vous devriez être amenés à faire des propositions, sans vous enfermer
dans la lettre du texte législatif concernant le Congrès qui, dans la rédaction qui a été finalement votée, réserve celui-ci aux seules questions institutionnelles.

Cela est certainement de nature à susciter un plus grand intérêt de nos concitoyens pour vos travaux. Il sera malgré tout nécessaire, selon moi, que vous accordiez une grande importance à la communication et à une communication à visée, si j’ose dire, pédagogique. Car il reste à convaincre nombre de Martiniquaises et de Martiniquais qu’il n’est pas possible de satisfaire certaines de leurs demandes, telles celles récurrentes de bénéficier de politiques publiques menées au plus près de notre territoire et parfaitement adaptées à nos réalités, sans rien toucher au cadre juridique dans lequel nous évoluons actuellement.

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Congressistes, je mesure, croyez-moi, l’ampleur de la tâche qui vous attend. Et j’en connais d’expérience les difficultés. Ce que je peux vous souhaiter, en terminant mon propos, c’est d’entamer vos travaux, avec, dès le départ, la conviction que vous pourrez réussir à faire aboutir un certain nombre de propositions susceptibles de faire avancer la Martinique sur la voie d’un réel développement, en même temps que sur celle d’une plus grande responsabilité locale.

Vous y parviendrez si vous vous inscrivez dans l’état d’esprit que je recommandais à l’ouverture du premier Congrès, « un état d’esprit favorable à une réflexion commune et à un débat constructif… [et]…marqué avant tout par le respect dû à chacun et la reconnaissance de son droit à la différence, de sa liberté de penser autrement. »


Dans les temps difficiles que nous traversons, je suis persuadé qu’une telle préoccupation ne peut qu’être largement partagée. Et c’est donc avec cette conviction que je vous souhaite de très fructueux travaux !

Avec l’espoir que ceux-ci déboucheront sur des propositions susceptibles de redonner à notre Peuple et surtout à sa jeunesse le goût de l’avenir. »

Le discours de Serge Letchimy : https://www.karibinfo.com/index.php/2022/07/12/politique-serge-letchimy-faisons-de-ce-congres-un-congres-pour-lhistoire/

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