Mainmise sur l’eau : il y en a qui ont profité du système

Mathilde Panot et Olivier Serva, députés.

Un commission parlementaire d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences a été réclamée par Mathilde Panot, députée de La France Insoumise, et les membres de son groupe le 8 janvier 2021. Le 9 février, le principe d’une commission de 30 membres, députés issus de tous les groupes à l’Assemblée nationale été actée. Mathilde Panot devenait présidente de cette commission, Olivier Serva, député de la Guadeloupe en devenait le rapporteur. Mercredi 16 juin, les deux parlementaires ont présenté leurs premières conclusions à la presse dans les salons ouvert sur la mer de l’hôtel Arawak, au Gosier.

Convoqués en rangs serrés

Quand ils sont arrivés en Guadeloupe Mathilde Panot et Olivier Serva, accompagnés de quelques administratifs de l’Assemblée nationale, ont déclenché un vent de panique. D’autant qu’ils avaient listé beaucoup de monde qui devait répondre à une convocation. Si Amélius Hernandez, ancien président du SIAEAG, son successeur, Ferdy Louisy, certains élus, s’étaient attendus à être sur cette liste de convocations, tout comme bien sûr les anciens et actuels patrons de la Générale des Eaux et de Véolia, certains noms ont fait tilt : des marchands de pompes, d’anciens élus en retraite, tout un tas d’administratifs, mais aussi et c’est bienvenu des représentants d’usagers.

En une semaine, 32 heures d’auditions, Mathilde Panot et Olivier Serva ont entendu 66 personnes (il y en avait une vingtaine de plus sur le listing).

Mathilde Panot a résumé l’ambiance, reprenant à son compte le propos d’un usager, Betty X, auditionné : « Ici, on boit de l’eau de merde. »
Mme Panot a donné ses premières conclusions mais avant tout, avec Olivier Serva, a dit pourquoi il y a eu constitution d’un commission d’enquête, listé les dysfonctionnements, expliqué ce qui allait se passer.

Olivier Serva, sans note, a fait l’historique de la situation : la délégation de service public donnée à la Générale des Eaux, l’immiscion de l’Etat à partir de 1968, Etat pas assez vigilant qui n’a pas relevé que les communes se voyaient octroyer une surtaxe sur les factures d’eau pour qu’elles assurent les réparations sur le réseau. Elles n’ont rien réparé et gardé l’argent qui a été versé pour… payer les agents communaux, changer la voiture du maire, etc. Et le réseau s’est dégradé.

Peur de donner des noms, omerta

En 2008, a poursuivi le député, il y a eu une volonté du SIAEAG de remettre en cause la délégation de service public. Les élus voulaient contrôler ce qu’il se passait. Le SIAEAG fonctionnait avec la Générale des Eaux puis Véolia selon le principe marché – devis – bon de commande – facturation. Mais, l’entreprise en faisait le minimum. En 2011, ce qu’on a appelé un accident industriel : pendant quatre ou cinq ans, la facturation des usagers de l’eau ne s’est pas faite. Et puis, d’un coup, en 2015, les mêmes usagers ont reçu une quinzaine de factures d’un coup… En 2015 les EPCI sont devenus compétents pour l’eau. Chacun a fait ses petites affaires, il y a eu ce que M. Serva a appelé « une balkanisation ». la solidarité gérée par la Générale des eaux a éclaté. Faute de personnels qualifiés et de plans des réseaux (pas donnés par la Générale des Eaux), tout s’est dégradé.

Mathilde Panot a pris la parole pour dire les responsabilités. Elle s’est étonnée : ceux qui ont été auditionnés ont eu des mots durs, les uns dénonçant les autres. Mais quand elle a voulu savoir qui avait fait quoi, grand silence. L’omerta a fonctionné. On s’est serré les coudes.

Certains en ont profité

Ce qu’on sait, c’est que la Générale des Eaux puis Véolia étaient en charge de l’entretien du réseau. Tout le reste, déclenchement des travaux de construction, facturation des clients, etc. C’était le SIAEAG.

Mais, a relevé Mathilde Panot, « dans les faits, la Générale des Eaux décidait de tout. Et les élus ont été défaillants à contrôler. En fait, ils n’intervenaient pas. » Et quand elle leur a demandé pourquoi, elle a compris que tout ceci ne les intéressait pas… Ou qu’ils faisaient tout comme. Ne pas trop en savoir… leur évitait de voir bien des choses.

Alors, certains en ont profité : il y a des projets couteux qui ont été mis en place là où il n’avaient pas à être édifiés. Une autre entité, la SEMSAMAR, a laissé faire des investissements dans des projets pas adaptés. Et l’Etat qui avait le contrôle de légalité n’a rien dit. Et la DAF (direction de l’Agriculture et de la Forêt) a validé des projets aberrants. La police de l’eau, s’est aperçu Mathilde Panot, n’existe pas en Guadeloupe, avec seulement quatre agents. L’Etat ne fait pas son travail en matière de sécurité sanitaire.

Des élus très intéressés
ont placé leurs enfants

Certains en ont profité aussi côté élus : ceux qui crachent aujourd’hui sur la Générale des Eaux ou Véolia qui ont profité des petits Guadeloupéens sont les mêmes qui, pour l’un a fait embaucher ses deux filles par la Générale des Eaux, pour un second était contrôleur de gestion de la Générale des Eaux et en même temps élu a voté ou fait voter par un représentant au moment du départ de la Générale des Eaux un document disant qu’il n’y aurait aucune poursuite en justice contre cette société… Un troisième, qui n’était pas n’importe quoi non plus, a fait embaucher son fils à la générale des Eaux. Décidément… A noter que ce dernier n’a pas répondu à la convocation. Il ne l’a jamais reçue, en fait…

A la question : les personnes impliquées dans ces conflits d’intérêts en faisant embaucher leurs proches (contre quelles compromission politique à implication financière) risquent-elles des poursuites, Mathilde Panot a répondu en souriant : « Nous ferons savoir ce que nous avons découvert lors de ces auditions… »

Dernier point, celui de la chlordécone : seulement 8 à 9% des terres ont été cartographiques, quid de l’irrigation des terres non chlordéconées en Basse-Terre avec des eaux agricoles contenant de la chlordécone…

Le rapport pas mis au placard

Quelles préconisations de la commission d’enquête qui devrait rendre ses travaux d’ici le 14 juillet et qui a promis que tout ceci ne serait pas remisé dans un placard profond ?
L’Etat doit dire combien on doit investir pour avoir un réseau d’eau et d’assainissement fiable. « Personne ne sait, semble-t-il », a moqué Mme Panot.
Il semble difficile de faire confiance aux seuls marchés pour gérer l’eau. « Il faut une gestion citoyenne de l’eau », a relevé l’élue.
Pour la chlordécone, il faut rapidement cartographier, dépolluer les terres, indemniser les victimes. C’est l’Etat qui doit prendre ceci en charge.
Enfin, pour les usagers qui ont de vieilles factures, il faut abandonner les poursuites.

Le député Olivier Serva :

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