Vous êtes agriculteur ou vous avez travaillé sur une exploitation agricole. Vous avez travaillé au moins dix ans au contact de la chlordécone et cela fait moins de quarante ans entre votre dernière exposition à la chlordécone et le diagnostic de votre cancer de la prostate. Vous habitez en Guadeloupe ou Martinique. Vous êtes un enfant qui a été exposé lors d’une grossesse…
Voici les conditions pour être indemnisé au titre de l’exposition à la chlordécone pour un cancer de la prostate dûment diagnostiqué maladie professionnelle agricole.
Utilisée aux Antilles françaises entre 1972 et 1993 dans les bananeraie, cette molécule a pollué les sols, empoissonnant ceux-ci pour des centaines d’années.
Par décret en date du 22 décembre 2021, un tableau de maladie professionnelle relatif au cancer de la prostate en lien avec l’exposition aux pesticides a été créé au régime agricole. Il va permettre de compléter et de faciliter les possibilités d’accompagnement au bénéfice des travailleurs agricoles qui ont été exposés aux pesticides.
C’était une décision attendue, particulièrement aux Antilles. Ce tableau permettra l’indemnisation des anciens travailleurs agricoles exposés à la chlordécone pendant leur activité professionnelle, dès lors qu’ils rempliront les conditions du tableau.
Les personnes éligibles peuvent dès à présent se rapprocher de leurs caisses de sécurité sociale pour déposer une demande d’indemnisation.
Aux Antilles, le plan chlordécone IV prévoit un dispositif d’accompagnement spécifique des personnes concernées pour qu’elles puissent effectuer les démarches auprès du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Ce dispositif s’appuiera sur les associations présentes localement, dont notamment Phyto-Victimes et France Asso Santé Martinique, les centres communaux d’action sociale et les caisses générales de sécurité sociale.
Ce nouveau tableau est le fruit des travaux engagés depuis plusieurs mois par les membres de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP) qui s’est unanimement prononcée, le 12 octobre, en sa faveur sur la base des derniers avis scientifiques (avis de l’ANSES et expertise collective de l’INSERM).
Si l’on ne sait pas encore combien de personnes sont éligibles à cette indemnisation, le ministère des Outre-mer, qui a été questionné à ce sujet, a indiqué que l’indemnisation des victimes représenterait entre 1 000 et 19 000 euros par an pour un exploitant agricole.
Il a dit
« Le décret a une portée limitée »
Harry Durimel, avocat, a déposé plainte dans le dossier de l’empoisonnement à la chlordécone aux Antilles.
« Pour moi ce décret est une avancée dans cette période de turbulences que nous connaissons et qui risque d’être encore aggravée si une ordonnance du juge d’instruction tombe pour prononcer la prescription des poursuites. Je pense que, par anticipation, c’est une sorte d’amortisseur que le gouvernement prépare en faisant sortir ce décret. L’intérêt du décret c’est qu’il démontre le préjudice réel subi par les Antillais suite à cet empoisonnement. Le problème c’est que, pour l’instant, ce décret se limite aux travailleurs qui auraient contracté un cancer de la prostate en liaison avec leur activité professionnelle. Donc, pour moi, le compte n’y est pas encore, mais c’est une avancée qu’on ne peut pas renier. Reste le cas des milliers de Guadeloupéens et Martiniquais qui ont du chlordécone dans le sang et qui vont aussi faire un cancer de la prostate sans avoir travaillé dans la banane. Le décret est quand même limité dans sa portée puisqu’il fait comme s’il y avait une frontière entre les uns et les autres, ce qui est loin d’être le cas. »
On a vu un État qui a autorisé des gens à écouler leur stock de pesticides alors qu’on savait que c’était du poison, donc ce décret, ca ne suffira pas à restaurer la confiance. Et quand je vois aujourd’hui les résistances à la politique vaccinale, je me rends compte à quel degré le traumatisme psychologique et moral a été énorme. Et quand je menais ce combat là et que je me heurtais à l’indifférence des Guadeloupéens, une dame m’a dit, sur un marché : mais comment peux-tu dire que la France ait pu nous faire ça ? On mesure aujourd’hui le désenchantement, on voit comment les gens aujourd’hui quand on leur dit que le vaccin c’est bon pour eux. Ils se disent : mais si c’était aussi faux que le chlordécone ? Voyez donc, c’est un mal profond qui nous a été fait. Mais nous ne devons pas non plus rester prisonniers de cet égarement, puisque cet empoisonnement n’était pas seulement une décision venue de France, il faut savoir qu’il y a eu des députés guadeloupéens et martiniquais qui ont fait du lobbying pour demander qu’on continue d’utiliser ce poison contre les nuisibles de la banane parce que sinon il n’y aurait plus de banane aux Antilles. Aujourd’hui, tout le monde doit se regarder en face et se dire qu’on s’est peut-être plantés donc qu’on est aussi responsables. »
« C’est une annonce électoraliste ! »
Patricia Chatenay-Rivauday, de l’association Vivre
« Il s’agit ici d’une annonce en trompe-l’œil. Une lecture attentive de ce décret démontre qu’il s’agit d’une annonce électoraliste qui ne répond pas aux attentes légitimes des populations continuellement exposées à ce biocide aussi puissant que permanent.
C’est un décret d’exclusion puisqu’il ne vise que les salariés du monde agricole en excluant tous les autres salariés exposés à la chlordécone. Bref, ce décret exclue 90% de la population résidant aux Antilles. Et aussi toutes les femmes !
Les Antillais ne sont plus des enfants auxquels on offre des cadeaux à Noël pour calmer leurs ardeurs. Ils ne sont pas dupes de cette manœuvre électorale. Ils n’ont pas oublié qu’il y a trois ans le président Macron mettait en doute les liens entre la chlordécone et le cancer de la prostate. »
Le communiqué de l’association Vivre
L’avocat de l’association donne le point de vue du juriste