Barrages et grands axes routiers impraticables, ce mercredi 24 février. Tôt le matin, les membres du Collectif des socioprofessionnels, 28 organisations selon le porte-parole, Jean-Yves Ramassamy, ont mis leurs moyens matériels, camions, autobus, engins de travaux publics, pour interdire une circulation fluide. Basse-Terre, La Boucan Sainte-Rose, Capesterre-Belle-Eau Belle-Eau, les entrées de Jarry, encombrées par des gravats, des palettes, des engins divers. Cette situation de blocage devrait se poursuivre aujourd’hui, tandis que des discussions ont été entamées.
Photo barrage de Moudong : Gilles de Lacroix
Toute la matinée de ce mercredi 24 février, les membres du collectif ont tenu les barrages. En début d’après-midi, alors qu’une CTAP Transports devait se tenir au Vélodrome de Gourde-Liane, les membres du collectif ont intégré la réunion, profitant de la présence du préfet Rochatte, des présidents Chalus et Borel-Lincertin, des présidents des EPCI et des parlementaires.
José Gaddarkan, président de la Fédération du BTP, Jean-Yves Ramassamy, porte-parole du Collectif des socioprofessionnels ont écouté les propos du préfet Rochatte et du président Chalus.
Pour dire quoi ? Que les plans de relance national et régional mettent des millions sur la table, pour aider les entreprises d’une part, pour relancer l’économie par des grands chantiers d’autre part. Mais aussi, du côté de l’Etat, pour dire que 200 millions ont été dédiés à la Guadeloupe depuis mars 2020 et le début de la crise, pour payer le chômage partiel, pour verser des aides aux petites entreprises, pour soutenir tel ou tel secteur en difficultés. Mais encore, du côté de la Région, pour dire que le plan régional d’aide à l’économie est en cours et que, dans quelques jours, lors du vote du budget régional, d’autres fonds vont être débloqués.
Les membres du Collectif des socioprofessionnels ont lu les 32 revendications qu’ils portent, au nom des entreprises de Guadeloupe. Mais, c’est comme une liste de commissions : il y a des choses indispensables et d’autres qui peuvent attendre. Le porte-monnaie de la mère de famille n’est pas sans fond.
Alors, que faire ? C’est sans doute ce que se sont demandés les membres du collectif qui ont préféré en parler entre eux, lors d’une suspension de séance. Il y a eu un flottement, sans doute est-on passé trop vite des barrages aux négociations et tout le monde n’était pas prêt…
Jeudi matin, à tout le moins, les barrages seront toujours là. Constat fait par le préfet Alexandre Rochatte à l’issue des discussions, cet après-midi.
La réunion originelle de la CTAP ainsi que la mise en œuvre de la discussion avec le Collectif des socioprofessionnels se sont tenues au Vélodrome de Gourde-Liane, vélodrome Régional. Ce qu’a, dans son discours, rappelé Josette Borel-Lincertin. La précédente réunion avec les socioprofessionnels s’était tenue à la Région. Elle aurait préféré un lieu neutre.
Ary Chalus sait bien qu’il a une grande partie des cartes en mains dans ce débat. Avec l’Etat, il est un potentiel gros bailleur de fonds pour les entreprises. Il est aussi celui vers lequel se dirigent la plupart des critiques malgré une évidente implication de tous les instants. Il partage ce triste honneur avec les présidents des EPCI. Mais, dans l’esprit des chefs d’entreprises en difficultés, il a le levier financier. Une manne inépuisable, pensent-ils. Surtout à quelques mois des élections régionales. C’est peut-être le moment de profiter d’un robinet plus ouvert que d’habitude. Pas si simple. Il y a des règles en matière financière et le président Chalus veut s’y conformer.
« La Région, a-t-il dit, a fait son travail pour aider les entreprises et elle va continuer à le faire. J’aurais souhaité que tout le monde soit dans le même état d’esprit… » A qui faisait-il allusion, mystère, tout le monde en ce moment mettant en avant ce qu’il fait. C’est qu’il n’est pas seul à se présenter aux élections et que les peaux de bananes pleuvent…
« Nous avons pris toutes les mesures à la Région pour aider les entreprises en difficultés. Il y a des marchés ouverts pour les entreprises locales, et après le vote du budget, dans quelques jours, des fonds vont pouvoir être débloqués. »
Le préfet Alexandre Rochatte, lui aussi sous le feu des critiques : « C’était une première rencontre avec le collectif des entreprises. Elles bloquent la Guadeloupe depuis ce matin. Je n’ai pas demandé l’intervention des forces de l’ordre parce que je veux privilégier le dialogue. On a essayé d’avancer cet après-midi, mais le collectif n’était pas prêt. »
Ce qui semble peser sur les discussions, c’est, en dehors des aides aux entreprises, les moratoires potentiels sur les dettes sociales et fiscales. Certaines entreprises ont des retards de versement de trois ou quatre ans.
« Pour ces moratoires sur les dettes sociales et fiscales, les entreprises doivent se rapprocher de nous. Il y a toujours une possibilités de discuter si l’on est de bonne foi. Il y a des solutions quand on se parle. Mais, je rappelle que l’effacement total de ces dettes ne peut être décidé que par une loi, au Parlement. D’ailleurs, je crois que les parlementaires présents avec nous aujourd’hui vont travailler dans ce sens. »
Sur l’effort de l’Etat pour venir en aide aux entreprises, le préfet Alexandre Rochatte est catégorique : « L’Etat a donné 200 millions depuis le début de cette crise, en mars 2020. Ce n’est pas rien ! »
Dans son discours Josette Borel-Lincertin a dit son sentiment profond.
« Nous n’approuvons évidemment pas le fait de perturber, voire de paralyser ainsi l’activité économique de notre territoire.
Nous ne l’approuvons pas, parce que nous sommes convaincus qu’il ne faut pas bloquer la Guadeloupe, mais qu’il faut au contraire parvenir à la débloquer.
Mais le mouvement d’aujourd’hui, comme il y a deux mois, est un symptôme qu’il faut prendre au sérieux et auquel il faut répondre.
Face à la crise sanitaire qui dure depuis maintenant un an et dont nous ne sommes pas encore sortis, les économies mondiales ont été placées sous assistance respiratoire dans l’espoir que ça ne durerait pas.
La Guadeloupe n’y a pas échappé.
Mais nous sommes un petit territoire et nous sommes vulnérables face à ce genre de crise qui peut emporter tout notre tissu économique. »
« Cela fait des mois que l’on entend parler de relance.
Des mois que nous entendons parler de millions qui s’empilent pour devenir des dizaines de millions, jusqu’à des centaines de millions.
Mais, pour l’heure, nos entreprises, comme notre population, disent ne rien voir venir. Ils disent, et il faut les entendre, qu’il y a eu beaucoup de communication et encore peu de concret. »
« Bien sûr il y a eu le chômage partiel, les prêts à taux zéro, les fonds de soutien et de solidarité. C’était cela, l’assistance respiratoire. Et puis il y a eu aussi des aides sectorielles, pas toujours distribuées de manière transparente, d’ailleurs…
Mais, si nous voulons éviter la catastrophe d’une économie qui sombre, nous devons rapidement changer de braquet et passer de la parole aux actes. Tous. »
« Nous sommes face à un autre mal. Un mal que j’appelle l’impuissance publique, qui nourrit la défiance croissante de notre population à l’égard de la classe politique.
L’impuissance publique c’est cette impression, pour beaucoup de nos compatriotes, que les pouvoirs publics, dans leur ensemble — car cela englobe aussi bien l’Etat que les collectivités locales — ne parviennent pas, ne parviennent plus, à résoudre les difficultés du pays.
Aussi bien les difficultés du quotidien que celles qui relèvent des problématiques de fond.
Le dossier de l’eau est assurément l’une des causes et des illustrations les plus emblématiques de cette perception.
Mais c’est plus généralement le cas de nos services publics essentiels comme les transports ou les déchets.
Et c’est aussi le cas, quand nous ne parvenons pas à éteindre un conflit dans deux sablières qui paralyse la quasi-totalité de nos chantiers… et nous condamne ainsi à … l’impuissance… Nous y sommes. »
« A travers les questions très concrètes que nous posent les entreprises aujourd’hui, mais également les syndicats ouvriers — dont certains sont déjà mobilisés — c’est tout cela qui doit être sur la table dans une Guadeloupe qui, certes, a besoin d’optimisme en ces temps troublés. Mais cet optimisme ne doit pas devenir une forme de déni de la réalité
que vit notre population. »
Jean-Yves Ramassamy, porte-parole du Collectif des socioprofessionnel, après avoir critiqué ceux qui ont dénoncé les blocages de l’économie, à l’issue de la réunion se voulait moyennement optimiste, à tout le moins véyatif, résolu : « Nous avons commencé des négociations, celles-ci vont se poursuivre demain. Il y a des points qui seront peut-être débloqués dans la nuit. En tout cas, nous poursuivrons notre combat jusqu’à ce que nous obtenions satisfaction. Les blocages, demain, seront renforcés ! »
André-Jean VIDAL