L’écrivain Gary Victor craint un retour de la dictature en Haïti

Ecrivain, Gary Victor est un observateur attentif de ce qui se passe dans son pays, Haïti, en proie depuis des années à une anarchie gouvernementale et sociétale. 
Depuis le 7 février, Jovenel Moïse… n’est plus constitutionnellement président d’Haïti. Son mandat est arrivé à échéance. Cependant, M. Moïse affirme qu’il est victime d’une tentative de coup d’Etat et qu’il est président encore pour un an. Jusqu’au 7 février 2022.

Décryptage avec Gary Victor, joint par téléphone ce lundi 8 février.

INTERVIEW : ANDRE-JEAN VIDAL
@Pedro Ruiz

Gary Victor, que se passe-t-il en ce moment en Haïti ?
Ce qu’il se passe c’est tout simplement qu’une population en a assez d’une situation d’inconstitutionnalité. Il faut se rappeler que le président a été élu il y a quatre ans. Jovenel Moïse a été élu dans une ambiance de blanchissement d’argent, élu avec le soutien des Etats-Unis et il a fait de folles promesses : il se faisait fort de donner l’électricité partout en  Haïti, 24 heures sur 24, ceci en 24 mois.

Jovenel Moïse a fait d’autres promesses comme celle-ci. Les 24 mois se sont achevés et il y avait encore moins d’électricité en Haïti. Aucune de ses promesses n’a été respectée. De plus, depuis son élection, la sécurité n’a cessé d’être compromise : des gangs armés ont poussé comme des champignons après la pluie, il y a eu le scandale de Petrocaribe, avec trois milliards de dollars disparus, scandale qui éclabousse le pouvoir de Jovenel Moïse.

« Dans le scandale Petrocaribe, trois milliards envolés, trois rapports de la Cour Supérieure des Comptes ont souligné l‘implication du président, mentionné 63 fois… »

Il n’y a pas eu d’enquête ?
Le président Moïse a bloqué toute tentative d’enquête et de procès malgré trois rapports de la Cour Supérieure des Comptes qui a souligné l‘implication du président, mentionné 63 fois, de l’entourage de la présidence, d’élus du parti au pouvoir.

En Haïti, en ce moment et ce depuis plusieurs mois, c’est l’anarchie de l’Etat, des enlèvements, des meurtres, des assassinats, dont le plus marquant a été celui, il y a quelques semaines, du bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Dorval. On sait qu’il y a une implication de hauts fonctionnaires de l’entourage de M. Moïse dans cet ignoble attentat.

Le président Jovenel Moïse soutient que son mandat ne s’est pas achevé ce dimanche, mais se poursuit un an de plus. Que répondez-vous ? 
Actuellement le grand problème qui se pose, c’est que le président n’a organisé aucune des élections qui auraient dû se tenir : il a renvoyé les deux tiers du Sénat, sans faire de réélection, il a renvoyé les députés de la Nation sans faire d’élection pour les remplacer. Pour cela, il s’est servi de deux articles de la Constitution qui permettent de renvoyer les élus avant le terme de leur mandat, si l’élection ne pouvait avoir eu lieu à la date prévue.

Mais, le président Moïse tombe sous le coup du même article de la Constitution et son mandat a pris fin constitutionnellement le dimanche 7 février 2021, hier. Ce que disent en chœur, la population, les élus, les évêques, les leaders protestants. De plus, la Cour supérieure a déclaré la fin de son mandat, sauf qu’il persiste à se maintenir au pouvoir. Et pour cela, il ne s’appuie sur rien de concret, aucun texte. 

« Constitutionnellement, Jovenel Moïse n’est plus président d’Haïti. »

Cependant, il le dit…
L’article de la Constitution qui concerne l’élection et le mandat du président dit que l’élection doit avoir lieu le 7 février et commence à courir le 7 février suivant la date de l’élection. C’est l’article 134.1. Mais, un deuxième article dit qu’au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président entre en fonction immédiatement après que le scrutin ait été validé et ainsi débute l’année de l’élection, ce que dit l’article 134.2.

Ce qui veut dire que, si on tient compte de la Constitution, son mandat est arrivé à terme. Il s’est servi de ce même article pour renvoyer sénateurs et députés, mais il ne veut pas qu’on le lui applique. Il veut rester au pouvoir une année de plus.
Et pendant ce temps, les gangs contrôlent les quartiers populaires…

Aujourd’hui, 8 février, Jovenel Moïse n’est plus président d’Haïti ?Constitutionnellement, il n’est plus président d’Haïti. Mais lui persiste, passant outre le texte même de la Constitution. Aujourd’hui, Jovenel Moïse parle de tentative de coup d’Etat. C’est ridicule !

« En pleine tentative de soit-disant
coup d’Etat, Jovenel Moïse prendrait l’avion avec ses proches pour aller s’amuser au carnaval de Jacmel ! »

Y a-t-il eu une tentative de coup d’Etat ce dimanche, comme le dit Jovenel Moïse ? 
Il a arrêté des magistrats, des policiers de haut rang, des élus de l’opposition. Il a dit qu’il y avait un coup d’Etat en cours. Mais, cinq heures après ces dizaines d’arrestations, en pleine tentative de soit-disant coup d’Etat, Jovenel Moïse prendrait l’avion avec ses proches pour aller s’amuser au carnaval de Jacmel ! Ce qui fait rire toute la population haïtienne. Quand il y a un coup d’Etat, le président du pays ne peut pas se comporter comme ça.

En cas de tentative de coup d’Etat, au contraire, le président reste au palais national. Et puis, en cas de tentative de coup d’Etat, la population aurait fait le coup de feu sur le palais national ! Or, là, il n’y a pas eu le moindre coup de feu. Non, c’est un scénario cousu de fil blanc : il n’y a pas eu un coup de feu sur le palais national, les auteurs du scénario auraient du avoir l’intelligence de le faire eux-même pour tromper encore plus la population. De plus, il a fallu deux heures pour arrêter les soit-disant complices de la tentative de coup d’Etat alors qu’habituellement, pour arrêter les auteurs de kidnappings, qui sont connus de tout le monde, il faut des semaines… Et souvent, il n’y a pas d’arrestation. 

Que se passe-t-il à Port-au-Prince. On dit que des magistrats sont retenus ?
Oui, la police nationale a entouré la Cour de Cassation, les magistrats de cette Cour sont sous la pression. Pour nous, Haïtiens, nous assistons d’une tentative de retour à la dictature.

« Les gangs travaillent pour le pouvoir politique, ils sont alliés à certains membres des familles de l’oligarchie
qui les ont armés. »

En Haïti, ces derniers mois, l’insécurité gagne, avec des plus en plus de gangs armés dans les quartiers, des enlèvements d’écoliers, des assassinats. Ceci dans une impunité totale. C’est incroyable. Que font les autorités ? 
Ils ne sont pas impunis. Ils sont tout simplement sous le contrôle du gouvernement. Ils travaillent pour le pouvoir politique, ils sont alliés à certains membres des familles de l’oligarchie qui ont armé ces gangs. Il faut contrôler par la terreur les quartiers à fort potentiel de vote en prévision des prochaines élections pour que le parti au pouvoir puisse voir renouveler ses élus. Un parti au pouvoir qui est sous le coup de soupçons de corruption dans tout un tas de scandales financiers. Un parti qui a bloqué tous les dossiers des massacres perpétrés dans les quartiers populaires.

En Haïti, la population rejette autant l’opposition que les partis au pouvoir. C’est une question de confiance et la confiance n’est pas là.

Que faire, Gary Victor ?
Il faut que la population se mobilise, que l’opposition réagisse. Actuellement, les rues de Port-au-Prince sont totalement vides, rien ne fonctionne. Il y a une grande peur parce que les gens craignent d’être kidnappés, sachant que des membres de la police sont complices de ces actes. 

Imaginez qu’on a vu un chef de gang très connu, accompagné de policiers, se promener dans les rues. Haïti est devenu un pays où les voyous font la loi avec l’aval, sinon les consignes des partis politiques au pouvoir, sous la présidence de Jovenel Moïse. 

Ne peut-on craindre d’assister, comme à de nombreuses reprises en Haïti, à une intervention extérieure, soit pour maintenir à tout prix Jovenel Moïse au pouvoir soit pour le déchouker et le remplacer par une nouvelle marionnette ? 
C’est la grande crainte de la population. En Haïti, la population rejette autant l’opposition que les partis au pouvoir. C’est une question de confiance et la confiance n’est pas là. L’opposition n’a fait aucune proposition sérieuse pour changer les choses.

Depuis ces trente dernières années, il y a eu des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers d’Haïtiens en exil, l’intervention des Américains et rien n’a changé. L’élection de Michel Martely a été une catastrophe, suivie de celle de Jovenel Moïse, encore pire. La population ne sait vraiment plus à quel saint se vouer ! Elle se sent trahie de toutes parts.

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