« La préservation de la biodiversité, ça crée des emplois et c’est vertueux. »

La Guadeloupe vient de se doter d’une agence de la biodiversité. Une création régionale, confiée à Sylvie Gustave Dit Duflot, vice-présidente de la Région, présidente de la Commission environnement et cadre de vie de la Région Guadeloupe.
Entretien avec une spécialiste de l’environnement, maître de conférence à l’Université des Antilles, spécialiste de la mangrove. 
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PROPOS RECUEILLIS PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL

Faire de la Guadeloupe un archipel zéro déchet, ça passe par des aménagements. Lesquels ? 

C’est mettre en œuvre le plan de gestion de déchets que nous avons voté en février 2020. C’est aussi faire en sorte de 90% de nos déchets soient recyclés et seulement 10% d’enfouis. Aujourd’hui, nous enfouissons 75% de nos déchets. C’est encore une vision, c’est-à-dire développer des déchetteries sur notre territoire. Nous avions un programme de huit déchetteries auquel sont venues se rajouter deux déchetteries lors de l’arrivée de deux nouveaux maires. C’est mettre en place des usines de traitement et de valorisation des déchets, trois grandes usines pour un montant de 150 millions, prévues une au nord-est avec la CARL et la CANGT, une au centre, avec Cap Excellence et Marie-Galante, une troisième sur la Basse-Terre, regroupant le Nord et le Sud Basse-Terre. Tout cela fait notre vision zéro déchet en 2035.

Il faudra aussi activer notre feuille de route sur l’économie circulaire, mobiliser le citoyen pour que nous produisions de moins en moins de déchets. Ce qui veut dire une gestion vertueuse de nos déchets mais aussi préférer les circuits court, les produits en vrac, mettre en place une philosophie de la vie.

Les déchetteries, dispositif essentiel dans l’élimination des déchets, c’est devenu l’affaire de la Région. Celle-ci va mettre 145 millions pour aider les collectivités, communautés d’agglomération, mairies, pour tout ce qui est traitement des déchets. 

 Pourquoi ne pas avoir laissé les EPCI gérer les déchetteries comme auparavant ?

Beaucoup de communautés d’agglomération ont des difficultés financières et ne peuvent plus faire face. Cela donne des déchetteries qui ne fonctionnent plus réellement ou qui n’assurent plus vraiment leur mission. En prenant en mains le dossier déchetterie, nous rééquilibrons le territoire. Jusqu’à présent le Sud Basse-Terre était sous-doté en déchetterie, c’est un exemple. La Région prenant la maîtrise d’ouvrage des déchetteries c’est une garantie de pouvoir traiter les déchets rapidement dès que les communes mettent à disposition le foncier, comme ça a été fait en fin d’année dernière à Pointe-Noire qui a aujourd’hui sa déchetterie. Mais, cette déchetterie intéresse les communes voisines. Enfin, cette déchetterie a été reversée à la communauté d’agglomération qui n’a pas eu à prendre en charge sa construction. 

Mettre en place ces déchetteries, c’est un budget de 15 millions pris en charge par la Région. 

Là, nous avons un rôle de planificateur et d’animateur sur le plan de prévention et de gestion des déchets. La Région, c’est un aiguillon qui a fixé des objectifs et doit faire en sorte de les atteindre. 

« Imaginez, 225 millions d’emballages boissons consommés chaque année et nous n’en recyclons que 5 millions. »

Vous misez beaucoup aussi, cette année, sur la consigne. 

Oui, la consigne, en 2021, ce sera une réalité pour les canettes, les bouteilles en plastique et en verre. Nous devrions donner un sacré coup d’accélérateur au recyclage des emballages boissons. Imaginez, 225 millions d’emballages 

boissons consommés chaque année et nous n’en recyclons que 5 millions. Nous prévoyons la mise en place de plus de 400 machines pour cette consignation et des filières de recyclage en place, qui n’existe pas encore, des centres de tri. C’est d’une vraie filière spécialisée dont je vous parle là. Et qui a un coût, plus de 12 millions d’euros, mais nous créons une filière qui sera porteuse d’emplois nouveaux. C’est une filière économique non négligeable et qui vise à rendre vertueuse la gestion de déchets.

La vertu, c’est pour tout le monde ! Le foncier doit être mis à disposition par les communes. Il semble que la vertu de se délester d’un peu de terrain pour l’intérêt général ne soit pas encore une habitude ! 

C’est vrai ! Le projet de déchetterie est là depuis 2017 et certaines communes viennent juste de mettre à disposition du foncier pour construire ces déchetteries. Il y a toujours une commune qui ne nous a pas donné du foncier…

La déchetterie de Capesterre Belle-Eau est un vrai scandale, récurrent. Les Capesterriens n’ont pas mérité cela. Une implantation aberrante, à quelques dizaines de mètres d’un site classé, l’allée Dumanoir, à quelques dizaines de mètres de la mer…

Cette déchetterie n’aurait jamais dû être placée à cet endroit. Mais, la déplacer c’est laisser un site pollué, parce que les activités de la déchetterie au fil des années a pollué les sols. Notre objectif est de réhabiliter la déchetterie de Capesterre Belle-Eau, mission que nous ont confié le maire, Jean-Philippe Courtois, et la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbe. Nous allons laisser la déchetterie là où elle est mais nous allons décontaminer les sols, réaménager l’ensemble et, surtout, on va lui mettre un décor paysagé pour mieux l’intégrer dans le site classé de l’allée Dumanoir. Ce sera une déchetterie mixte, à la fois professionnelle et domestique. Aujourd’hui, il y a beaucoup de déchets d’activités économiques qui arrivent, apportés par les artisans ou les petites entreprises, qui n’ont pas à être pris en compte par la communauté d’agglomération. Les communautés d’agglomération sont compétentes sur les déchets domestiques, pas sur les déchets professionnels. Pour 2022, cette réhabilitation sera faite.

L’économie circulaire, vous en avez parlé, c’est très important pour un territoire comme le nôtre !

Effectivement, nous ne sommes pas à l’échelle d’un continent, nous sommes à la petite échelle d’une île. C’est pour cela qu’il faut s’inscrire dans l’économie circulaire, il faut que ce recyclage devienne infini. Dans notre plan de prévention et de gestion de déchets nous avons une feuille de route : pour ce qui est de l’économie circulaire, il revient aux régions de la développer. Au niveau du plan de relance France de 100 milliards, il y a une fiche d’action économie circulaire et nous nous inscrivons dans cette fiche au travers de la consigne, un vrai projet, mais aussi les usines de traitement et de valorisation des déchets. Nous avons pour objectif que ces déchets, finement raffinés, finement triés, puissent devenir des combustibles solides de récupération qui vont ensuite être utilisés par des énergéticiens, comme Albioma au Moule pour être brûlés et produire de l’énergie. C’est de l’économie circulaire : nous nous inscrivons dans l’industrie décarbonée. Avec ce plan de prévention et de gestion des déchets, nous sommes en phase : nous avons senti venir le temps où ce type de projet aurait l’agrément de l’Etat et surtout que celui-ci accorderait les financements qui vont avec.

Où allez-vous installer ces plateformes multifilières ? 

Il devait y en avoir une sur le site de Grand-Camp, aux Abymes, ce qui aurait représenté un investissement de plus de 200 millions d’euros. Mais, en rééquilibrant le territoire, avec trois petites usines. On fera des économies.

« Avec le département et les EPCI,
la Région a pu mettre en place un plan d’urgence de 72 millions d’euros
pour l’eau. »

L’environnement, c’est aussi l’eau, gérer la ressource, qui est importante mais mal gérée. Que faire ?

Les choses sont en train de changer, en mieux ! On se rappelle qu’en 2015, quand l’équipe en place aujourd’hui avait fait sa campagne, nous disions que la Région n’était pas compétente dans la question de l’eau mais qu’il fallait que celle-ci travaille sur cette compétence eau parce qu’elle a des possibilités financières que d’autres n’ont pas. Et une possibilité d’ingénierie aussi. Avec le département et les EPCI, la Région a pu mettre en place un plan d’urgence de 72 millions d’euros. Cela a permis de revoir les unités de production, les canalisations principales. Ce premier plan va s’achever au premier semestre. Nous partons pour un second plan d’action d’urgence, parce que, le temps que le syndicat mixte ouvert se mette en place, qu’il y ait une répartition du personnel, qu’il y ait un opérateur, des régies, des délégations de services publics, il faut du temps. Présidente du Comité de l’eau et de la biodiversité, j’ai reçu mandat des membres de ce comité pour interpeller les différents présidents des EPCI et le président de Région pour que nous maintenions la pression sur les chantiers eau pendant la phase de transition et que nous allions vers l’assainissement. Vous savez que notre comité est en train de rédiger son schéma directionnel de la gestion des eaux. L’état des masses d’eau n’est pas bon ! Il se dégrade. Ceci concerne les eaux de surface, les rivières, les eaux souterraines. Il nous faut réagir, et vite, parce que c’est à la fois une question de santé publique mais aussi une atteinte aux écosystèmes aquatiques qui nous entourent. 

Qu’allez-vous faire ?

Nous partons sur un second plan d’action d’urgence de 70 millions sur l’eau et l’assainissement. Nous devrions avoir ensuite 45 millions de travaux injectés chaque année jusqu’à réalisation de ce second plan qui sera remis au syndicat mixte ouvert une fois celui-ci pleinement opérationnel. Je suis optimiste parce que les choses bougent. Elles changent en mieux. Région, Département, EPCI, tout le monde veut y aller désormais. Et puis, il y a 170 millions pour faire tout ça, il faut y aller ! 

Protéger l’environnement, c’est produire de l’électricité à partir de l’énergie renouvelable. Laquelle et comment ? 

Aujourd’hui, il y a un mixte énergétique dans lequel on retrouve de l’éolien, des biogazs, produits par les gaz des déchets, ceux de la Gabarre et ceux d’Energie Espérance, à Sainte-Rose. C’est également du solaire et lorsque nous aurons construit les usines, les déchets solides de récupération produits à partir de déchets ce sont aussi des énergies verdissantes. Et puis, il y a l’hydrogène qui monte en puissance comme énergie à gros potentiel. On parle d’avions à hydrogène, de bateaux à hydrogène ; là aussi, il va falloir que l’archipel Guadeloupe s’inscrive dans cette réflexion pour faire en sorte que toutes les énergies que nous utilisons soient des énergies verdissantes. 

« La préservation de la biodiversité, ça crée des emplois et c’est vertueux. »

L’environnement, sa protection, ce sont aussi des emplois ?

Nous avons pris des délibérations concordantes Région-Office Française de la Biodiversité pour la création d’une Agence régionale de la biodiversité qui sera la première outre-mer et elle a pour vocation d’optimiser nos actions en faveur de la biodiversité. Cette agence va générer des emplois de cadres, d’ingénieurs, de techniciens, les filières de recyclages des déchets, les déchetteries, vont générer des emplois. Le développement de la consigne, avec les machines de déconsignation, les camions qui vont venir chercher les bouteilles, va générer des emplois, les centres de tri vont générer des emplois. Le traitement des sargasses aussi va générer des emplois parce que nous sommes en train de travailler sur leur valorisation sur Marie-Galante, Désirade, Baie-Mahault. La création de chaque déchetterie aussi crée des emplois. La préservation de la biodiversité, ça crée des emplois et c’est vertueux. C’est une industrie vertueuse. 

Vous pensez aussi à la réhabilitation des friches industrielles, véritable amas de pollutions, visuelle à tout le moins, mais aussi des nids de vermine et des lieux de dépôts sauvages.

Bien sûr, nous y travaillons. Il y en a du côté de Baie-Mahault, de Lamentin, de Capesterre Belle-Eau, dans d’autres communes et il faut restaurer ces paysages. Enlever ces amas de gravats, ces bâtiments qui s’effondrent, ces pollutions. Il faut que, dans les années à venir, nous songions à restaurer et compenser. Restaurer ce qui est abîmé et qu’il faut réhabiliter, compenser par des puits de carbone, nettoyer, planter des arbres. C’est important pour l’empreinte carbone. 

* Cette interview a paru dans L’Hebdo Antilles-Guyane n°7 du 6 au 12 mars 2021

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