La grande interview. « Nous souffrons encore de l’éloignement de certains grands services administratifs »

Frantz Gumbs est député des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Discussion.

Vous êtes député de deux petites îles de la Caraïbe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, totalement différentes de par leur peuplement, de par leurs économies. C’est une situation originale, n’est-ce pas ? 

Originale en effet pour les raisons que vous évoquez : des parcours historiques différentes qui conduisent à des situations sociales, culturelles et économiques très différentes malgré la proximité géographique. Cependant, des îles qui ont eu le même intérêt et le même désir, à un moment donné de faire évoluer leur statut politique, le statut de commune de la Guadeloupe rendant le « decision making process » inefficient pour ces citoyens éloignés, excentrés et différents qui habitent dans ces « Îles du nord ».

Le changement de statut intervenu en 2007 nous a conféré les compétences du Conseil Départemental et du Conseil Régional mais nous souffrons encore de l’éloignement de certains grands services de l’Administration : La Préfecture de Région ou le Tribunal Judiciaire à Basse-Terre, La Région Académique ou l’Agence Régionale de Santé aux Abymes. L’Autorité de gestion de certains fonds Européens pour Saint-Martin, à la main de la Région Guadeloupe. 

Ainsi donc, l’efficacité des services attendus du public a des marges de progression importantes. Nous y travaillons avec le gouvernement et les Collectivités.

« Reconstruire après la survenue d’une catastrophe naturelle
coûte beaucoup plus cher que les mesures de préparation,
de préservation des personnes et des biens et de prévention »

Vous êtes intervenu sur certaines problématiques, dont la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires ultramarins. N’avez-vous pas le sentiment que cette problématique est quasiment ignorée des autorités ? 

Le retour d’expérience d’Irma ne montre pas cela pour ce qui concerne Saint-Martin et Saint-Barthélemy. On ne peut pas dire que l’État se désintéresse du sujet, les plans séismes en sont une illustration. Il est vrai que Irma était un phénomène tout à fait exceptionnel pour la France. Mon intervention sur le sujet demandait surtout qu’on se focalise sur les leçons à tirer des évènements, plus qu’à la recherche systématique d’une potentielle « culpabilité » du gouvernement. Le fait est que reconstruire après la survenue d’une catastrophe naturelle coûte extrêmement cher sur le court terme, beaucoup plus cher que les mesures de préparation, de préservation des personnes et des biens et de prévention.  

Comment rendre les territoires résistants en matière de bâti, en matière de communication interne et externe, en matière d’autosuffisance en énergie électrique et en eau potable, en matière de transport de marchandise et de personnes ? Comment assurer la mise en place d’une organisation disposant de ressources humaines de secours, accessibles en nombre et en qualité, et de la logistique utile… en dehors de toutes considérations partisanes ? Tel est l’état de ma réflexion. 

« Il me semble largement possible d’améliorer
l’autosuffisance alimentaire de nos territoires, à condition
que les producteurs soient accompagnés »

La continuité territoriale en Outre-mer est d’autant plus prégnante dans les Îles du Nord. Cette continuité territoriale, mal assurée, induit des dépenses de déplacement personnels, mais aussi des coûts supplémentaires pour le transport des biens de consommation. Cette situation va-t-elle perdurer indéfiniment ? 

C’est une situation structurelle, la géographie étant ce qu’elle est. Pour ce qui concerne les déplacements de personnes, Saint-Martin et plus encore Saint-Barthélemy, plus que la Guadeloupe ou la Martinique sont fortement impactées par les prix exorbitants des billets d’avion.  Cela semble être la conséquence de la situation de monopole dont jouit la compagnie nationale, ainsi qu’une compagnie régionale, seule pour le moment à desservir nos îles. Le manque de concurrence ne tire certainement pas les prix vers le bas.

Le transport de marchandise pourrait être réduit en quantité, en coût et en empreinte carbone si nous arrivions à réduire notre dépendance (quasi-totale) aux biens matériels et alimentaires venus d’Europe. Il me semble largement possible d’améliorer l’autosuffisance alimentaire de nos territoires, à conditions que les producteurs soient accompagnés et que quelques habitudes alimentaires adoptées depuis quelques décennies soient progressivement modifiées. 

Vous êtes membre du groupe d’études langues et cultures régionales. Le créole est-il considéré ? L’anglais est aussi une langue régionale… pour les Saint-Martinois. Cette donnée est-elle intégrée ? En ferez-vous état dans les travaux de ce groupe ? 

Comme vous le savez le créole guadeloupéen et le créole martiniquais sont reconnus de longue date comme langues régionales. Je serai aux cotés des guadeloupéens et des martiniquais pour toutes initiatives qu’ils jugeront utiles de prendre en défense de leurs langues. Pour ce qui concerne Saint-Martin, nous sommes fiers de pouvoir préserver cette particularité à nulle autre pareille au sein de la République, d’être versatile en matière linguistique, particulièrement l’anglais et le français.

Nous voulons garder l’atout du bilinguisme. Par ailleurs, la pratique orale par tous de notre anglais Saint-Martinois doit être conservé comme véhicule culturel essentiel. Pour cela, un travail de formalisation orthographique, grammatical et syntaxique reste à entreprendre. Lorsqu’on habite le territoire on prend pour acquis d’être au moins bilingue. En réalité c’est un atout important dans le monde mondialisé que nous connaissons aujourd’hui. Nous nous proposons de préserver à tout prix et de développer cet acquis de notre histoire particulière. Tel est le message que je porterai partout et toujours.

« Il reste à mieux connaître le potentiel foncier de nos territoires
par le recensement précis des parcelles constructibles,
des parcelles agricoles ou des zones naturelles à préserver »

Député, vous défendez vos territoires. Saint-Martin a-t-elle bénéficié de toute l’attention du gouvernement pour sa reconstruction après Irma, en septembre 2017, il y a 6 ans ?

D’une manière générale la reconstruction dépend de l’Etat pour une part importante. La solidarité nationale doit jouer (et a joué). L’eau est à mi-hauteur dans le verre. L’Etat le verra surement à moitié plein.

Mais la reconstruction dépend aussi beaucoup du taux de couverture des biens par les assurances, et des disponibilités budgétaires des Collectivités locales. C’est probablement ce qui explique que Saint-Barthélemy s’est relevé bien plus vite que Saint-Martin.

Nous continuons à solliciter des cofinancements de l’Etat et de l’Europe pour reconstruire mieux et satisfaire nos besoins en infrastructures essentiels, collège et lycée, équipements sportifs et culturels, routes et éclairages, réseaux eau, électricité, internet enfouis, bâtiments publics, etc.. Si nous reconstruisons mieux nous aurons moins à reconstruire, si jamais… 

Saint-Martin vit du commerce, du tourisme, des emplois administratifs et tertiaires. Quid de l’agriculture sur ce petit territoire dont 500 hectares sont en friches ? L’Etat et la Collectivité doivent ils soutenir l’installation de jeunes agriculteurs ? 

La réponse est oui, et la pêche aussi, ne doit pas être oublié. Saint-Barthélemy aussi bien que Saint-Martin encouragent l’agriculture et la pêche. Il va de soi que l’exiguïté de ces îles et le climat plutôt sec qui prédomine ne permet pas d’envisager la production de grandes quantités, mais des niches ciblées adaptées au terrain sont possibles. Des arbres fruitiers endogènes, des plantes aromatiques, les produits vivriers adaptés à l’hydroponie, les viandes fraiches, les œufs, etc., tous produits réputés de très bonne qualité puisque le territoire n’a pas subi de traitements intensifs de produits phytosanitaires plus ou moins nocifs.

Il reste à mieux connaître le potentiel foncier de nos territoires par le recensement précis des parcelles constructibles, des parcelles agricoles ou des zones naturelles à préserver. Il reste aussi à bien organiser la répartition de la ressource en eau. 

Nous ferons ces efforts parce qu’il est indispensable d’assurer un minimum d’autonomie alimentaire et aussi parce que là se trouve peut-être un gisement d’emplois et d’activités économiques non encore prospectés. 

Président du Groupe d’amitié France-Haïti, comment faut-il appréhender l’immigration croissante des habitants de ce petit pays tourmenté par les gangs ? 

Le groupe d’amitié France-Haïti à une existence virtuelle pour le moment, compte tenu du fait qu’il n’y pas de parlementaires élus dans le pays d’Haïti. Nous nous sommes focalisés sur la connaissance la plus objective possible de la situation d’insécurité qui gangrène ce pays frère, depuis trop longtemps.

Nous avons, naturellement, rencontré Monsieur l’Ambassadeur d’Haïti en France mais aussi des acteurs du monde associatif et culturel et des membres éminents de la diaspora haïtienne. Nous sommes davantage préoccupés par la réflexion sur la recherche de solution pour sortir le pays de l’ornière profonde et complexe où il se trouve, plutôt que sur les problèmes d’immigration. Nous sommes également en relation avec le groupe d’amitié France – République-Dominicaine.

Ce pays voisin limitrophe est concerné au premier chef par tout ce qui se passe en Haïti. Lui aussi sollicite la communauté internationale pour aider l’île à se stabiliser politiquement. Nous savons que différents conflits dans le monde attirent l’attention de tous. Notre désir est que le Pays d’Haïti, dont les liens historiques avec la France sont indéniables, ne soit pas oublié par la France et les Français. La France doit tendre une main plus ferme à Haïti.

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