La Grande interview. « L’octroi de mer n’explique pas à lui seul les écarts de prix »

Franck Desalme vient d’écrire à Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer. Que lui dit-il ? De ne pas toucher à l’octroi de mer.

PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL*

Vous venez d’écrire au ministre délégué chargé des Outre-mer concernant l’Octroi de mer. Que se passe-t-il ? 

Nos activités industrielles, et de façon plus générale les productions locales d’outre-mer, sont extrêmement dépendantes d’un système lié au régime de l’octroi de mer qui est celui de la compensation des surcoûts de production qu’elles supportent. Le simple fait de parler de refonte de ce dispositif qui reste un ressort de croissance et d’emplois, au motif que ce serait le seul moyen de lutter contre le phénomène de vie-chère, génère forcément une inquiétude au sein de nos milieux économiques. Par conséquent il nous a semblé opportun de rappeler un certain nombre de fondamentaux, et c’est précisément ce que nous avons souhaité faire à travers ce courrier adressé au ministre.

« C’est l’existence de la production locale qui permet de créer une concurrence sur les prix à l’importation. »

Pourtant, l’Octroi de mer renchérit le prix des produits que l’on trouve dans les commerces ! Parfois 40% plus chers que les mêmes dans l’Hexagone !

Une taxe reste certes une taxe, mais je serais tout de même plus nuancé sur ce point.

Qu’il s’agisse de la taxation à l’importation (octroi de mer externe), ou de la taxation de la production locale, le taux moyen est de 9,5% et concerne dans les deux cas environ 70% des produits.

L’octroi de mer n’explique pas à lui seul les écarts de prix constatés par rapport à l’hexagone même si c’est devenu très facile ou très pratique de l’affirmer. Au-delà de contraintes objectives qui sont liées à l’éloignement et à l’isolement géographique de notre région vis-à-vis de son principal marché émetteur, il est admis que notre marché exigu est caractérisé par le faible degré de concurrence qui concerne à la fois le fret maritime et le secteur de la grande distribution. On évoque aussi des écarts de revenus et une part plus importante consacrée à l’alimentation dans les habitudes de consommation. Ce sont des facteurs structurels sur lesquels il n’est pas si simple d’agir.

Ne faudrait-il pas plutôt demander aux commerçants, du lolo à l’hypermarché, d’arrêter de se gaver autant sur le dos des gens ? 

Le fait que les commerçants n’aient guère d’autre choix que de répercuter l’ensemble des interventions des opérateurs de la chaine logistique sur le prix de vente final des produits, alimente forcément ce type d’arguments. Je n’y souscris pas pour ma part.

« Que nous soyons entendus ou pas,
nous maintiendrons ces positions. »

Que proposez-vous pour que la vie soit moins chère dans nos régions ? 

Rappelons avant toute chose que la vie chère est une notion complexe qui intègre le niveau moyen de revenus, le niveau des dépenses et le coût des produits.

Ce que nous proposons est très simple : tout d’abord de maintenir le régime des différentiels d’octroi de mer, parce qu’ils ont pour effet de réguler le niveau des prix de vente. En clair, c’est l’existence de la production locale qui permet très clairement de créer une concurrence sur les prix à l’importation.

Nous proposons par ailleurs de réfléchir et d’agir sur une autre taxe qui entre dans la composition des prix des produits, à savoir la TVA. Une première piste consisterait à aligner son régime sur celui qui prévaut en Guyane et à Mayotte ; une deuxième piste consisterait à appliquer la loi, et donc à exclure l’octroi de mer de la composition du coût de revient des produits, et de ce fait à l’exclure de l’assiette de la TVA. C’est l’article 45 de la loi régissant l’octroi de mer en France qu’il conviendrait d’appliquer.

Vous savez bien que vous ne serez pas plus entendu aujourd’hui ou demain qu’hier. Alors ? 

Que nous soyons entendus ou pas, nous maintiendrons ces positions qui sont basées sur des analyses très précises et largement partagées par l’ensemble des acteurs de la production locale des régions d’Outre-mer. Le maintien d’un système de soutien à la production locale et à l’emploi industriel est justifié par l’existence de handicaps structurels, permanents et spécifiques, qu’il convient de compenser. J’ajouterai aussi que c’est ce même dispositif qui alimente le budget des collectivités. Ces points nous semblent difficilement contestables, y compris par les détracteurs du dispositif.

5 paroles fortes

1

« L’octroi de mer est décrit dans la feuille de route dont « Le Quotidien » se fait l’écho, comme un « impôt hérité du XVIIe siècle » qui « contribue au niveau élevé des prix ». Pour nous il est surtout un instrument efficace de compensation des surcoûts subis par les entreprises de production locale, et, partant, un levier essentiel pour la survie de notre tissu économique, dont vous connaissez la fragilité. »

2

« Depuis plus de 40 ans, ce sont les différentiels de taxation qui ont permis le maintien et le développement d’une activité de production dans nos départements. La progression de l’emploi dans les Départements d’outre-mer a été liée au développement des industries de transformation locale, avec la mise en place des premiers différentiels de taxation dans les années 1970. »

3

« Ce régime de différentiels d’octroi de mer génère aujourd’hui plus de 40.000 emplois directs dans les secteurs productifs des Outre-mer. Les nouvelles activités et les emplois qui ont été créés depuis 2004 l’ont été lorsque la liste des différentiels autorisés par Bruxelles a enfin permis l’émergence de projets de diversification des activités industrielles. Ces nouvelles avancées l’ont été avec l’appui à Bruxelles de tous nos gouvernements successifs depuis 2004. »

4

« Dans le cadre de cette négociation, les producteurs locaux, les importateurs, les distributeurs et les transporteurs ont fait des efforts très importants sur leurs marges. Simultanément, les collectivités locales ont modulé à la baisse, lorsque c’était possible, leurs taux d’octroi de mer sur les produits retenus, la plupart étant déjà proches de zéro. L’Etat reste le seul à percevoir, via la TVA aux Antilles et à La Réunion, un revenu inchangé sur les produits du BQP et du BQP+, non pas en raison d’une absence de volonté, mais bien parce que les règles rigides de la TVA ne lui permettent pas de la moduler à la baisse. »

5

« Nous souhaiterions donc, au nom de la lutte contre la vie chère, qu’une réforme de la TVA soit envisagée, par exemple en alignant le régime qui prévaut aux Antilles et à La Réunion, sur celui actuellement en vigueur en Guyane et à Mayotte. La production locale serait ainsi protégée, le pouvoir d’achat de nos compatriotes relancé, et la modularité exceptionnelle de l’octroi de mer préservée. »

Cet article a été publié dans L’Hebdo Antilles-Guyane : http://hebdoantillesguyane.com

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