Le vice-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant les forces armées aux Antilles, détaille le travail effectué par les FAA dans la zone concernant la lutte contre les trafics de stupéfiants.
Quelle zone couvre la Marine nationale pour la surveillance des trafics de stupéfiants dans la Caraïbe ?
Contre le narcotrafic maritime, les moyens maritimes et aériens des FAA agissent à la fois en mer des Caraïbes et dans l’océan Atlantique, en relation étroite avec la plupart des Etats qui s’y trouvent. Capables d’opérer loin et longtemps, les unités et les équipages de la Marine nationale conduisent essentiellement des interceptions de navires narcotrafiquants en haute-mer, souvent très au large des côtes.
La zone dans laquelle j’ai le contrôle opérationnel des moyens qui me sont confiés et où j’ai des responsabilités particulières en matière d’action de l’Etat en mer, est une large zone qui s’étend de la Floride au Brésil et qui recouvre le bassin fermé de la mer des Caraïbes, d’une surface équivalente à deux fois la mer Méditerranée. Cette zone maritime comprend une zone économique exclusive de 138 000 km2 principalement située en Atlantique.
Plus près des côtes des îles des Antilles françaises, je suis chargé de coordonner l’action des moyens maritimes des administrations (SGCD, gendarmerie, police et affaires maritimes) pour assurer la sécurité des approches de nos côtes vis-à-vis des trafics illicites.
« Un navire est d’alerte 7 jours sur 7 et 24h sur 24 »
De quels moyens disposez-vous ?
Les moyens des FAA s’articulent notamment autour des bâtiments de la Marine nationale dont cinq sont basés en Martinique : deux frégates de surveillance, un patrouilleur Antilles-Guyane, un bâtiment de soutien et d’assistance outre-Mer (BSAOM) et un remorqueur portuaire côtier, et un en Guadeloupe (patrouilleur côtier de Gendarmerie maritime). Cette composante aéromaritime joue un rôle essentiel dans l’action de l’Etat en mer (AEM), et particulièrement dans la lutte contre les trafics illicites qui structure une grande partie de l’activité des frégates de surveillance Germinal et Ventôse, du patrouilleur La Combattante, et du BSAOM Dumont d’Urville, ainsi que l’activité de coopération de ces unités avec les Etats partenaires. Nous pouvons également nous appuyer sur les moyens de ces partenaires dans la région, et notamment les moyens aériens de surveillance maritime, afin de localiser des embarcations suspectes.
Un navire est d’alerte 7 jours sur 7 et 24h sur 24, en mesure d’agir sans délai pour mener une opération d’opportunité sur la base de renseignements.
En parallèle, des opérations spécifiquement dédiées à la lutte contre le narcotrafic dénommées « Carib Royal » sont régulièrement réalisées en haute mer. Les frégates de surveillance sont alors renforcées d’une équipe à bord et d’un avion de patrouille maritime Falcon 50 venus de l’Hexagone.
Enfin, des radars de surveillance maritime seront installés en Martinique en 2025. Ils permettront d’avoir une connaissance plus fine des flux maritimes proches des côtes martiniquaises et ainsi d’orienter plus efficacement l’action des forces d’intervention en mer et à terre.
La coopération internationale est-elle effective ? Avec quels pays ? Comment ?
C’est un facteur crucial dans le succès des opérations NARCOPS. Cette coopération passe d’abord par le partage de renseignements qui permet d’orienter efficacement l’action des moyens d’intervention. Elle passe également par les accords diplomatiques qui permettent aux navires militaires français d’intervenir sur des bateaux portant des pavillons étrangers suspectés de narcotrafic.
Le trafic de stupéfiants constituant un fléau qui touche l’ensemble des Etats de la Caraïbe, la nécessité de le combattre requiert une action commune qui structure en grande partie les relations internationales dans cette zone.
Ainsi, de nombreuses coopérations régionales, multilatérales ou bilatérales ont été peu à peu développées. C’est le cas avec les Etats-Unis et les Pays-Bas en particulier, ou encore avec la Colombie, pays qui disposent de plusieurs moyens maritimes et aériens de surveillance et d’intervention. Nous nous appuyons également sur des organisations régionales comme le Regional Security System (RSS) basé à La Barbade.
Beaucoup d’informations sont échangées avec les services et organisations partenaires dans le cadre de la coopération internationale mais également interministérielle. Les FAA travaillent donc en étroite coordination avec des services français tels que la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) et l’Office Français Anti-Stupéfiants (OFAST) mais également les services de renseignement de certains pays partenaires, la Joint InterAgency Task Force-South (JIATF-S), structure américaine basée à Key West (Floride) qui coordonne le renseignement et les moyens déployés dans la zone Antilles, et le Maritime Analysis and Operations Centre (MAOC), agence européenne basée à Lisbonne en charge de la lutte contre le trafic de stupéfiants dans l’océan Atlantique.
« Les trafics de drogue sont menés par des organisations
criminelles aux moyens de plus en plus importants »
Si un bateau n’est pas dans les eaux nationales françaises ou dans les eaux internationales, pouvez-vous le poursuivre ? Demandez-vous le soutien logistique des marines ou douanes locales ?
L’action des FAA s’inscrit dans le cadre du principe de la coopération dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants fixé par la convention des Nations-Unies sur le droit de la Mer de 1982, complétée par la convention de Vienne de 1988 sur la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants et par l’accord de San José de 2003.
En eaux internationales, si nous localisons un bateau arborant un pavillon étranger suspecté de trafic de stupéfiants, nous sollicitons alors l’accord de l’Etat du pavillon pour réaliser ce contrôle. Si le bateau suspecté de trafic de stupéfiants se trouve dans les eaux étrangères, nous informons les autorités de cet Etat de l’intérêt de poursuivre ce bateau et de réaliser un contrôle.
Compte tenu de la proximité entre les différentes îles des Antilles, la coopération avec les autres administrations étrangères disposant de moyens de surveillance et d’intervention est particulièrement importante pour le succès des opérations : service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, garde-côtes américains et néerlandais ou encore le Regional Security System précédemment mentionné qui est un système de sécurité mutualisant les forces aéromaritimes de sept États insulaires des Caraïbes, à savoir Antigua-et-Barbuda, la Barbade, la Dominique, la Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
D’où viennent ces bateaux de trafiquants ? Les équipages sont-ils composés de professionnels ?
La zone maritime des Antilles est une zone stratégique pour la lutte contre le trafic de stupéfiants par voie maritime, en raison de sa proximité d’une part avec les quatre principaux pays où est produite la cocaïne que sont la Colombie, la Bolivie, le Pérou et l’Equateur et d’autre part du Venezuela, nouvel épicentre du trafic régional et mondial de cocaïne.
L’imagination des narcotrafiquants est sans limite pour exporter la drogue vers les pays consommateurs. Ils utilisent notamment largement les possibilités offertes par les échanges commerciaux par voie maritime, qui représentent environ 90% des échanges mondiaux de marchandises. Je suis particulièrement chargé de contrer les trafics qui s’effectuent par des embarcations rapides « go-fast », les voiliers de plaisance, les tapouilles (bateaux de pêche) et les lanchas (embarcations rapides), des petits caboteurs ou encore des semi-submersibles. Ces différents types de vecteurs sont utilisés pour les acheminements entre le continent américain et l’arc caribéen, pour le trafic inter-îles ou encore pour effectuer des transatlantiques et rejoindre l’Europe ou l’Afrique.
Les trafics de drogue sont menés par des organisations criminelles aux moyens de plus en plus importants ; en mer, leur interception implique ainsi la mobilisation d’une chaîne d’acteurs hautement spécialisés. Nous faisons face à des personnes déterminées et souvent inventives pour essayer de mener à bien leurs trafics et échapper aux interceptions.
« Dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic,
2024 constitue en effet une année record pour les FAA »
L’an dernier, vous avez fait d’importantes saisies. Lesquelles ont marqué les esprits ?
Dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic, 2024 constitue en effet une année record pour les FAA avec un total de 12 saisies réalisées pour plus de 28 tonnes de produits stupéfiants soustraits du marché et quelques 50 personnes appréhendées.
A titre de comparaison, nous avions saisi plus de 5 tonnes en 2021 et 2022 et plus de 10 tonnes en 2023. Des quantités qui s’avèrent toujours plus conséquentes et qui peuvent s’expliquer à mon sens par différents facteurs. Tout d’abord, une remarquable coordination de l’ensemble des services de l’Etat impliqués dans cette lutte. Une politique plus « agressive » de notre part en déployant des moyens conséquents, en intervenant à chaque fois que nous recueillons du renseignement et en disposant d’équipages sur nos navires de plus en plus expérimentés dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic. De même, la coordination avec les services de renseignements, qu’ils soient français ou étrangers, est là aussi de plus en plus fluide et permanente, permettant une meilleure circulation des informations et donc des possibilités d’intervention plus rapides. Enfin, on constate également que les quantités transportées en mer sont de plus en plus conséquents : là où par le passé nous ne réalisions « que » des saisies de 300 à 500kg en moyenne, chacune de nos saisies dépasse désormais la tonne.
Deux moments ont particulièrement marqué cette année 2024 : février tout d’abord où en quelques jours, nous avons réalisé 4 saisies représentant plus de 8 tonnes de cocaïne ; cet été, l’arraisonnement d’un navire de pêche en Atlantique le jeudi 15 août qui a vu la saisie de 10 552 kg de produits stupéfiants, soit la deuxième plus grosse saisie réalisée par la Marine nationale. Mais de manière générale, chacune des saisies réalisées constitue une victoire qui permet de porter des coups aux narcotrafiquants, les privant d’une manne financière conséquente et perturbant l’organisation des réseaux par les enquêtes qui sont diligentées pouvant conduire à démanteler des organisations criminelles.
Le travail des FAA et des autres administrations œuvrant en mer, que ce soit au large ou plus près des côtes, participe ainsi à la protection directe de nos concitoyens, que ça soit en Hexagone ou au sein des iles des Antilles.
En effet, le narcotrafic fait peser une menace existentielle et sa prolifération s’accompagne souvent de calamités tout aussi désastreuses : trafic d’armes et d’êtres humains, corruption, contrebande ou encore ultra violence qui favorisent la déstabilisation.
Nous sommes ainsi pleinement mobilisés dans cette lutte et continueront à l’être afin de combattre ce trafic qui, pour reprendre les mots du ministre de l’Intérieur, « fragilise les fondements de la Nation et la démocratie. »
André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com