LA GRANDE INTERVIEW. « La violence des réseaux de narcotrafic est sans limite, sans conscience et sans échappatoire pour ceux qui en sont la cible »

Sénateur co-signataire d’un rapport tiré des interviews de la Commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, Jérôme Durain (PS) est en Guadeloupe. Ce lundi soir, il sera salle Rémy-Nainsouta, à Pointe-à-Pitre, pour un débat sur le sujet, avec Victorin Lurel, sénateur, et Jocelyn Sapotille, président de l’Association des maires de Guadeloupe. Il répond aux questions de Karib’Info.

On sait que les Outre-mer, notamment les Antilles françaises et la Guyane, sont très exposés aux trafics de stupéfiants. Pourtant, le rapport note que l’Etat réagit mollement quand il faut mettre en œuvre des moyens humains et matériels. Sait-on pourquoi ? 

C’est une excellente question. J’aimerais avoir une réponse satisfaisante à y apporter. Je n’en ai malheureusement pas. J’ai découvert, avec cette commission d’enquête, des spécificités ultramarines : on consacre des moyens qui semblent largement insuffisants au regard des enjeux. Pire, les solutions avancées par l’Etat ces dernières années s’avèrent au mieux peu efficaces, au pire loin des annonces attendues. Dans un contexte budgétaire alarmant ces dernières années, la vision de court terme a pu l’emporter. L’honnêteté me pousse à préciser que des moyens humains et matériels supplémentaires ne sont pas attendus que dans les Outre-mer…. Je suis cependant convaincu, comme beaucoup, que l’on ne peut plus se satisfaire de cette philosophie d’économies de bout de chandelle. A long terme, cela peut être beaucoup plus coûteux !

Je pense aux promesses d’équipements toujours pas concrétisées, notamment pour les équipements aéromaritimes de la douane ou de la gendarmerie, la question du traitement de leur obsolescence ayant pendant longtemps été mise de côté. La mutualisation des moyens aéromaritimes, évoquée depuis plusieurs années comme un « remède miracle » au vieillissement du parc des administrations impliquées dans l’action de l’État en mer, semble encore lointaine.

Ne comprend-on pas, à Paris, que la drogue qui passe par la Guyane ou les Antilles françaises aboutit à Paris ou Marseille pour alimenter le marché national ? Chaque année, la Marine nationale intercepte en Caraïbe des bateaux transportant des quantités énormes de stupéfiants…

Je crois au contraire qu’on le comprend très bien. Le sujet n’est malheureusement pas nouveau et est bien connu des pouvoirs publics. Il avait conduit par exemple conduit le Sénat, dès 2020, à constituer une mission d’information sur le phénomène des « mules » en Guyane. Ce qui a changé je pense c’est l’ampleur du phénomène, d’abord liée à ce qu’on appelle le « tsunami blanc ». La massification de l’envoi de cocaïne vers l’Europe a tout changé en raison des sommes d’argent en jeu. Il y a plus d’argent, plus de marges. Comme il y a plus d’argent, il y a plus d’enjeux. Comme il y a plus d’enjeux, on hésite moins à faire appel à la violence armée.

Le rôle de zones de rebond de la Guyane et les Antilles est donc selon moi très bien intégré par l’Etat. Je pense par contre que l’on minimise l’impact des stupéfiants sur place. C’est aussi ce que je veux comprendre en étant ici.

Votre commission a fait trois constations : quelles sont-elles

Les trois constatations principales concernent la submersion de notre pays, la flambée des violences et la réponse insuffisante apportée par les pouvoirs publics.

Notre pays est submergé : tout le territoire est désormais concerné par le narcotrafic, qui touche désormais l’intégralité du territoire, jusqu’aux zones rurales, et dont le « chiffre d’affaires » représente chaque année entre 3 et 6 milliards d’euros. Notre pays subit les conséquences d’une explosion du trafic de cocaïne depuis dix ans (le « tsunami blanc ») et de l’arrivée massive de drogues de synthèse toxiques et peu onéreuses, qui sont le danger de demain.

La commission d’enquête a constaté, tout au long de ses travaux, que la violence des réseaux de narcotrafic était sans limite, sans conscience et sans échappatoire pour ceux qui en sont la cible. Entre 80 à 90 % du nombre total des règlements de comptes, des meurtres et des tentatives de meurtre entre délinquants s’expliquent par des différends liés au trafic de stupéfiants. La violence débridée utilisée par les narcotrafiquants ne touche plus seulement les chefs de ces réseaux criminels. Elle vise aussi les délinquants de moyenne envergure, ceux qui sont accusés de « gêner » l’activité criminelle ou ceux qui dénoncent les méfaits des trafiquants, mais aussi des « petites mains ». Sans compter les innocents qui passent au mauvais moment où habitent au mauvais endroit.

Sur la réponse insuffisante, nous avons constaté une désorganisation de la réponse publique, avec des acteurs « éparpillés façon puzzle » et une stratégie tournée davantage vers les « petites mains » et les seconds couteaux que vers ceux qui structurent les réseaux – à savoir le haut du spectre, les logisticiens et les argentiers. Sans revenir bien sûr sur le manque de moyens ou la procédure pénale inadaptée.

Quelles recommandations faites-vous ?   

Il y en a beaucoup… D’abord il faut faire preuve de lucidité sur la nature du narcotrafic et le traiter pour ce qu’il est : une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation. Notre rapport a contribué à cette prise de conscience.

Ensuite, il faut selon moi se concentrer sur le « haut du spectre » et ne pas limiter la lutte à des opérations d’ordre public de type « place nette ».

Enfin, il faut mieux structurer l’action des services en charge de la lutte contre le narcotrafic.

André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​